Elle ne reconnait pas son héros. Virginie Despentes est à la Une ce jeudi de "Society", magazine auquel elle accordé un long entretien, dans lequel elle se confie sur sa vie et sur sa vision de la société d'aujourd'hui. "Aujourd'hui, à bientôt 50 ans, devenue auteure à succès, elle voit Canal+ massacrer son 'Vernon Subutex', les Gilets jaunes troubler ses repères politiques et #MeToo citer son oeuvre", décrivent en préambule les deux journalistes qui l'ont rencontrée.
Interrogée sur l'adaptation de ses romans "Vernon Subutex" pour Canal+, Virginie Despentes ne cache pas son scepticisme sur le traitement réservé à la psychologie de son personnage principal. Faisant allusion à la réalisatrice Cathy Verney et à son co-scénariste Benjamin Dupas, qui ont présidé à ce portage pour le petit écran, la romancière déplore leur absence de vision et de cohérence. "Ils n'avaient aucune idée de rien, la seule chose à laquelle ils tenaient, c'était que Vernon doive plus de deux ans de loyer, observe-t-elle. Et tu leur dis : 'Mais pourquoi est-ce-que vous voulez qu'il doive deux ans de loyer ? C'est très rare de rester deux ans sans se faire expulser, dans un logement en plein Paris !'". C'est d'ailleurs le point de départ de la mini-série : un impayé de longue date qui provoque l'expulsion du héros et le début de son chemin de croix.
Virginie Despentes qualifie également de "vision du prolétariat par la bourgeoisie" la volonté des scénaristes de conduire Vernon Subutex à aller chercher son RSA en premier réflexe, immédiatement après avoir été expulsé. "Je ne sais pas si c'est resté, mais ils y tenaient comme des fous. (...) Mais qui fait ça ? Vous connaissez quelqu'un qui fait ça, vous ? Non, personne", assène l'auteure de "King Kong Théorie". Au final, cette scène n'a pas été retenue puisque dans les premiers épisodes, le disquaire est davantage préoccupé par le fait de trouver un toit que d'aller toucher les aides sociales.
Une évolution que n'a pas pu constater l'intéressée puisque, comme elle l'avoue elle-même, elle n'a pas regardé la série. "Au début, j'ai accepté de bosser dessus parce que la réalisatrice avait fait un truc qui s'appelait 'Hard' (également diffusé sur Canal+, ndlr), que j'avais pas trouvé horrible. Mais au bout de trois mois, ça s'est délité", déclare-t-elle. Virgine Despentes s'en prend même personnellement à Cathy Verney. "Elle, en plus, c'est la soeur d'un très haut placé de Vivendi ; très, très proche de Bolloré. Ca, je l'ai compris quand on a commencé à travailler, et tu te rends vite compte qu'il n'y a pas de discussion possible : toi, tu vas partir, et elle va rester faire ce qu'elle veut. Et c'est ce qui s'est passé", relate l'écrivaine, qui confie avoir eu de nombreux points de désaccord.
Dans la suite de l'entretien, Virginie Despentes relativise cependant sa colère, à l'aune de l'argent touché pour la vente des droits de son oeuvre à Canal+. "C'est une douche de thunes, qualifie-t-elle. C'est pas que je m'en fous, mais ça passe quoi. C'est politiquement que je suis vraiment déprimée. Et la réalisatrice, la pauvre, elle habite dans mon immeuble. Je la terrorise depuis un an et demi avec ma 'désagréabilité'", résume-t-elle, toujours très franche.