Le capitaine ne quitte pas le navire. Depuis la mise en place de mesures du gouvernement pour lutter contre la propagation du coronavirus Covid-19 en France, Yves Calvi est toujours aux manettes de la matinale de RTL en studio. Il n'est pas le seul de son groupe à rester dans les locaux puisque Pascal Praud, Christelle Rebière et Thomas Sotto sont également présents au quotidien, ainsi que Gregory Ascher et Justine Salmon sur RTL2, ainsi que Bruno Guillon sur Fun Radio. De plus, outre sa matinale, Yves Calvi est le dernier présentateur en studio dans le groupe Canal+ (hors CNews) avec sa quotidienne "L'info du vrai". Le journaliste a accordé un entretien à puremedias.com dans ces temps si particuliers.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Pourquoi avoir fait le choix de continuer à présenter la matinale de RTL en studio ?
Yves Calvi : Je suis journaliste et c'est mon métier de travailler avec mes équipes. C'est un moment exceptionnel. Il faut être dans son élément naturel, qui est un studio de radio, pour amener des éléments de qualité à ceux qui nous écoutent. Pour moi, c'était une évidence. Le problème était plutôt de convaincre ma radio et ma télé que ça valait le coup qu'on soit là. Il se trouve que c'est le cas. Ça s'est fait sans difficulté. Je comprends très bien qu'on ne fasse pas son émission dans son studio. Mais nous, nous sommes une petite équipe. Nous prenons soin des uns et des autres. Il doit y avoir 10% de la rédaction qui est présent en ce moment. Je veux vraiment remercier mes équipes. On partage des moments formidables. C'est une situation exceptionnelle. Donc, premièrement, c'est mon métier de journaliste de travailler dans ma radio et ma télé. Deuxièmement, j'ai la chance d'avoir des employeurs et des équipes, tous corps de métier confondus - ça va des techniciens aux reporters en passant par les éditorialistes - qui acceptent de le faire avec moi. Je pense que le journaliste doit être là quand il se passe quelque chose.
"Dans ces moments-là, on se rend compte que les équipes qui travaillent depuis longtemps ensemble ont des automatismes et des facilités."
Comment vous organisez-vous avec vos équipes ?
On a réduit le nombre d'intervenants. On pense à notre santé et à celle de ceux avec qui l'on travaille. On n'a pas de contact physique. On s'éloigne les uns des autres. On passe notre vie à nettoyer tout autour de nous. Comme on est moins nombreux, les choses se font plus rapidement. Puis, à RTL, je n'ai plus que deux présentateurs qui se répartissent les journaux. La meneuse de jeu qui habituellement donne l'heure n'est plus avec moi. La plupart du temps, je suis en studio tout seul. Les moyens techniques que nous offrent la radio aujourd'hui sont exceptionnels. L'autre jour, Alba Ventura recevait Bruno Le Maire. Alba Ventura était chez elle cloîtrée. Bruno Le Maire était dans son ministère. Moi, j'étais en studio à RTL. C'était exactement comme si nous étions tous les trois ensemble. Il est resté à distance pour répondre aux questions des auditeurs. On l'a ré-interviewé Alba et moi. Ce sont des habitudes de travail. C'est dans ces moments-là qu'on se rend compte que les équipes qui travaillent depuis longtemps ensemble ont des automatismes et des facilités.
Pensez-vous que ce dispositif pourra tenir sur le long terme ?
Oui. Je n'imagine même pas que le problème se pose. Mon souci est plutôt de convaincre mes employeurs qu'il faut le faire, qu'il y a une carte à jouer, que l'on travaille dans de meilleures conditions et que l'on est plus complet comme ça. C'est tout à fait légitime. RTL et Canal+ pensent d'abord à notre santé. On a répondu par une grande diminution du personnel et une mise à distance. Tous les soirs, dans mon grand plateau de "L'info du vrai" sur Canal+, c'est la même chose. Le personnel technique a été réglé en plateau. Je me maquille moi-même. D'ailleurs, ce n'est pas brillant (rires). Mes invités sont bien à distance. Ça faisait déjà trois semaines qu'on ne se serrait plus la main. On travaille en nombre réduit, mais la qualité de ce qu'on fait n'est pas remise en cause. On s'en est rendu compte dans "L'info du vrai" parce qu'on a battu trois fois nos records cette semaine. Ça donne raison à notre présence. L'engagement qui a été le nôtre est pour l'instant récompensé par les auditeurs - je vois les messages qu'ils m'envoient - et par les téléspectateurs qui sont venus en nombre parce que l'actualité s'y prêtait.
"La course à l'anxiété, à la peur et à l'angoisse est malsaine."
N'avez-vous pas peur de prendre des risques en vous rendant dans deux studios tous les jours ? Un risque pour vos équipes et pour vous ?
Absolument pas. D'abord, je suis totalement hypocondriaque. Ensuite, je suis un obsessionnel de l'hygiène. Je n'ai fait qu'aller un tout petit plus loin dans mes lavages de main que je fais 40 fois par jour. C'est juste une question d'attention. Je ne prends plus les poignées de porte. Je ne touche plus un bouton d'ascenseur. Je fais tout avec mes coudes. A chaque instant, on est vigilant. Ça crée un climat entre nous. Il y a une fraternité de travail en ce moment qui est formidable. Si la question se posait qu'il y ait quelqu'un de malade, immédiatement, nous prendrons des mesures. Le réalisateur de la radio, tous les matins pendant 40 minutes, nettoie mon studio. Quand j'arrive, je fais la même chose pour mes camarades qui vont me suivre. On n'est pas comme les infirmiers et les aides soignants, confrontés à des choses terribles. Un journaliste qui aime le direct et son métier, dans des moments comme ça, je pense qu'il faut qu'il réponde présent. Si on a une inquiétude sur l'un d'entre nous, on aura l'intelligence de défaire les équipes. Je ne suis pas obstiné. Ce n'est pas un combat personnel. Ce sont des moments importants dans une vie de journaliste.
Comment crée-t-on des respirations dans cette actualité anxiogène, à une période où la culture et le sport sont mis à l'arrêt ?
Je pratique un journalisme sérieux dans le quel on a confiance, sans jamais dramatiser les choses. Je pense que la course - au sens le plus pervers du terme - à l'anxiété, à la peur et à l'angoisse, c'est malsain. Ce n'est pas le journalisme que je pratique. Je suis exactement comme les médecins en ce moment. Les choses évoluent. La vérité de la veille n'est pas celle du lendemain. On est en train de découvrir cette maladie et comment on doit vivre avec. J'essaie de ne pas en rajouter. Je fais du factuel le plus possible. Quand on a un doute, on l'exprime. Je pense que ces moments-là nous obligent à pratiquer au meilleur de nous-mêmes le métier et les règles qui font que cette profession mérite encore d'avoir une carte de presse. Face aux réseaux sociaux qui colportent des milliards de conneries en ce moment, les gens se tournent un peu plus vers la radio et les médias traditionnelles. Ça me rassure sur la finalité de mon travail. C'est motivant et flatteur. C'est un privilège de pouvoir faire ce que je fais actuellement le matin à RTL et le soir à Canal+. C'est intéressant d'être journaliste en ce moment.
"Je souhaite savoir si cette crise va nous amener à un peu plus de raison et à un carrefour dans nos vies."
Le gouvernement a haussé le ton ce week-end en voyant des Français qui continuaient à sortir et à se rassembler. Les médias ont-ils une part de responsabilité en ayant un peu trop rassuré au sujet du coronavirus ces dernières semaines ?
Je ne peux pas vous parler des médias. Moi, je fais deux heures et demi de radio le matin, qui sont précédées d'une préparation. Le soir, j'ai le direct à la télé. Je ne suis pas collé sur ce que font mes confrères et mes consoeurs. Hier, sur RTL, j'ai posé une question au professeur Delfraissy, qui est le président du conseil scientifique qui apporte des informations au président de la République. Je lui ai demandé : "Est-ce que vous avez négligé l'épidémie ?". Il m'a répondu : "Je ne veux pas répondre à la place de mes confrères. Mais à titre personnel, je pense un peu. Je ne pensais pas que ça allait prendre une pareille tournure". Je crois tout simplement qu'on vit les choses au jour le jour. On panse le fonctionnement de la société française et le manque de civisme. Vous avez vu ce qu'il s'est passé ce week-end. Les gens sont allés dans les parcs et les jardins. Il se trouve que moi je suis moins cloîtré que tout le monde car deux fois par jour, je monte sur mon scooter pour me rendre à mon travail. C'est peut-être idiot mais ça m'aère. Je sais que c'est un privilège. On est un pays qui n'est pas discipliné (rires). Les Sud-Coréens ont quasiment réussi à dominer la situation chez eux sans confinement, simplement avec des masques et de la distanciation. Donc, je ne veux pas accuser les médias ou les médecins. On est au milieu de choses exceptionnelles que je n'essaie pas de rendre angoissantes. Mon rôle est de transmettre et de donner la vérité, à une époque où les journalistes sont remis en cause en permanence. Je trouve que le journalisme d'angoisse, avec des titres qui claquent, est du journalisme populiste. J'essaye de ne pas le pratiquer.
En tant que journaliste, avez-vous eu une frustration d'être passé à côté d'un rendez-vous politique avec ces élections municipales masquées par l'épidémie ?
Absolument pas. Je suis allé voter. J'ai été très admiratif de mon pays en ces circonstances. L'organisation dans mon bureau de votes était exceptionnelle et les gens autour de moi - qui sont des Parisiens avec des professions proches de la mienne - se sont impliqués. L'histoire de ces municipales m'intéressait pour beaucoup de raisons. Je suis quand même payé dans mon boulot pour m'intéresser à tout et ça ne me demande pas d'efforts. Mais ces municipales sont passées derrière. La seule chose qu'on puisse souhaiter est de savoir si cette crise va nous amener à un peu plus de raison et à un carrefour dans nos vies. C'est une question que je me pose et que doivent se poser un certain nombre de gens. Quand on est confinés, il faut un peu se livrer à la méditation.
"Patrick Le Lay était un grand capitaine d'industrie."
On a appris hier le décès de Patrick Le Lay, l'ancien dirigeant du groupe TF1. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
Patrick Le Lay a fait appel à Jérôme Bellay, mon producteur depuis 35 ans, pour créer LCI. Il nous a fait confiance. Cette chaîne, il n'arrivait pas à la démarrer. Il a pris l'homme qu'il fallait pour le faire. 30 ans après, LCI vit toujours et ça a un sens. Mon lien à Patrick Le Lay, il n'est pas à TF1, mais à LCI. Je l'ai peu fréquenté. J'avais plutôt affaire à Etienne Mougeotte. J'ai dû lui serrer la main trois fois. Patrick Le Lay a été un grand dirigeant. Il ne faisait pas d'efforts de relations publiques. Je pense que c'était quelqu'un qui se protégeait pour pouvoir prendre des décisions. J'ai toujours trouvé chez cet homme une finesse et une intelligence qui dépassait le cadre des propos excessifs qu'il tenait. J'en ai gardé un bon souvenir. Il était en effet un grand capitaine d'industrie.