On y est ! En juillet 2023, à l'issue de la présentation à la presse de la grille de France Télévisions pour la saison à venir, Hugo Clément prédisait à puremedias.com "un grand challenge" le concernant. Sept mois plus tard, le journaliste se lance dans l'arène dès ce mercredi 7 février 2024 à 22h45 en direct sur France 2 avec "Nos grandes décisions", un programme dans lequel trois témoins, installés dans le fauteuil des décisions, cherchent à trancher un dilemme. Avec ce format imaginé par Thierry Ardisson et qu'il co-produit avec son complice de l'ombre Régis Lamanna-Rodat, l'animateur écrit un nouveau chapitre de sa carrière. "Un tournant de plus", minimise le chef d'orchestre de l'émission qui s'installe dans la case historique du magazine de société de Jean-Luc Delarue, "Ça se discute". Entretien.
Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret
puremedias.com : À quoi les téléspectateurs doivent-ils s'attendre ce soir sur France 2 ?
Hugo Clément : À un programme à la croisée des chemins entre l'émission de société, testimoniale et de conseil. L'objectif, c'est d'aider des témoins (trois par émission, ndlr) à prendre des décisions personnelles importantes. Qu'elles touchent à la santé, l'écologie, l'organisation du couple ou la vie professionnelle, ces questions seront toutes à résonance sociétale. Ce soir, une infirmière se demandera si elle doit démissionner, un homme de 77 ans réfléchira à l'opportunité de s'inscrire sur un site de rencontre et une mère de famille s'interrogera sur la pertinence d'offrir un smartphone à son enfant scolarisé en 6e...
"Dans quelle émission demande-t-on réellement l'avis du public ?"
Comment les choses vont-elles s'articuler exactement ?
"Nos grandes décisions, c'est un repas entre amis au cours duquel je demande conseil parce que je ne sais pas quoi faire entre deux choix qui s'ouvrent à moi. Dans un premier temps, le témoin explique le dilemme auquel il est confronté. S'ouvre alors une séquence d'échanges entre le témoin et un groupe d'experts – composé au choix de spécialistes du domaine évoqué et/ou de personnes venues partager leur expérience – chargées de le conseiller. Ensuite, les téléspectateurs votent gratuitement par SMS, ce qui explique en partie le choix d'une diffusion en direct... À la fin, après trente minutes, le témoin rendra sa décision en direct.
Qu'est-ce que va apporter le vote du public ?
Il va permettre de prendre le pouls de la société sur les sujets abordés. Il y a peu d'espaces aujourd'hui où l'on demande leur avis aux gens. Dans quelle émission demande-t-on réellement l'avis du public, hormis les concours du type Miss France ou "Star Academy" qui n'ont pas la même vocation ? Là, l'idée c'est d'impliquer les gens dans des débats qui concernent tout le monde et susciter les échanges à la maison.
Répondre par oui ou par non en trente minutes à des questions souvent complexes, n'est-ce pas réducteur ?
On ne traitera que les questions pour lesquelles c'est approprié. Les gens qui sont face à un choix de vie sont la plupart du temps devant un choix binaire. L'après ne l'est pas et la diversité des conseils délivrés par les experts en témoignera. Par exemple, derrière la question "Dois-je acheter un smartphone à mon ado ?", thème que l'on avait déjà retenu pour le pilote, on avait par exemple évoqué les méthodes de régulation du temps d'écran.
"'Nos grandes décisions', c'est un dîner entre amis avec des gens qui savent de quoi ils parlent"
Un autre exemple ?
Pour le pilote encore, nous avions traité de la contraception masculine. Nous nous sommes demandés comment les hommes pouvaient soulager les femmes sur la question de la contraception. Et bien, j'ai appris plein de choses sur la vasectomie. J'avais plein d'idées reçues. Le médecin français, spécialiste de la vasectomie, qui était en plateau nous a tout expliqué et a répondu à toutes les questions que les gens se posaient : est-ce que ça diminue le désir ? Est-ce que ça empêche d'avoir des rapports sexuels ? etc. C'est la mission du service public d'informer les gens sur ces questions. Je nourrirai aussi la discussion avec des capsules vidéo, des images, des chiffres pour faire réagir les gens.
Vous nous garantissez donc que vous éviterez les facilités et ne tomberez pas dans le café du commerce ?
Nous défendons une émission de service public. C'est un diner entre amis, certes, mais avec des gens qui savent de quoi ils parlent.
Saura-t-on ce que deviennent les témoins après leur passage sur le plateau ?
Il y aura effectivement un suivi des gens après leur prise de décision. On retrouvera au fur et à mesure les témoins des émissions précédentes afin de savoir quels ont été les effets de leur décision sur leur vie.
"Ce n'est pas sale de parler d'audience"
Malgré tout, peut-on prendre raisonnablement une "grande décision" sous pression devant les caméras ?
Les gens qui viennent savent où ils mettent les pieds. Ils sont dans l'attente de conseils, qui doivent bénéficier à tout le monde. Pour cela, quoi de mieux que la puissance de la télévision pour toucher beaucoup de gens. J'allais dire des millions de gens, c'est ce que je nous souhaite (rires).
Justement, à partir de quelle audience, considérerez-vous que le lancement est un succès ?
C'est difficile de se prononcer sans point de comparaison. La case du mercredi soir aujourd'hui n'est pas du tout dévolue à l'émission de plateau. C'est du documentaire. Les comparer n'aurait donc pas de sens puisque ce ne sont pas du tout les mêmes produits. Ceci dit, je n'ai aucun problème avec l'audience. Ce n'est pas sale d'en parler et j'allais dire surtout quand on est sur le service public. Vous faites des émissions pour les gens, pas pour vous faire plaisir à vous. Il est donc normal d'avoir une forme de pression d'audience même s'il ne faut pas tomber dans l'extrême et qu'elle influe le contenu de l'émission.
L'horaire n'est-il pas trop tardif pour impliquer un maximum de personnes dans l'émission ?
Je ne pense pas. Personnellement, dans ma vie, les débats, les discussions, je les ai au moment de me coucher avec ma femme quand on se raconte nos journées. Quand je lui demande des conseils, c'est souvent à ce moment-là. La deuxième partie de soirée est une super case qui permet de tenter plus de choses. Il n'y a pas la pression du prime qui parfois peut être écrasante. Il y a des émissions de deuxième partie de soirée, dont "Quelle époque !" qui sont de gros succès. Puis, encore une fois, c'est la case historique de "Ça se discute".
"Au début, je me suis demandé si j'étais la bonne personne pour animer l'émission"
On avait l'impression que le testimonial et le sociétal étaient l'apanage de Faustine Bollaert sur France Télévisions. Comment avez-vous été retenu ?
Thierry Ardisson est venu nous voir, Régis Lamanna-Rodat, mon associé chez Winter Productions, et moi, en nous disant qu'il voulait faire cette émission avec nous. Au début, je me suis demandé si j'étais la bonne personne pour animer l'émission mais très vite, j'ai eu envie de la regarder et donc de la faire. C'était à la fois intéressant et ludique.
Comment appréhendez-vous ce nouveau rôle d'animateur ?
C'est un exercice différent, forcément. Heureusement, j'ai quand même fait beaucoup de plateau par le passé, en tant que chroniqueur dans "Quotidien" sur TMC, dans "Le petit journal" de Canal+ ou lorsque j'étais membre de la rédaction nationale de France 2. C'est surtout sur la forme que je vais sortir de ma zone de confort car l'émission est en direct, sans filet. Il faut arriver à gérer un plateau avec énormément d'invités, à peu près 20 par émission (4 invités pour chaque témoin), avec beaucoup d'axes caméras. Je dois encore me perfectionner mais j'y travaille. Sur le fond, en revanche, le métier est le même : être curieux, s'intéresser aux gens, savoir ce qu'ils ont à raconter, accompagner le public dans des changements de société, faire évoluer les mentalités et apporter de l'information.
"Faire croire aux gens que les journalistes sont des machines imperméables à ce qu'il y a autour d'eux n'a pas de sens"
Considérez-vous qu'il s'agit là d'un tournant dans votre carrière à France Télévisions ?
J'ai l'impression d'avoir connu plein de tournants dans ma vie de journaliste. Quand je suis parti de France 2 pour "Le petit journal", c'était un sacré tournant. Quand j'ai quitté "Quotidien" pour "Konbini", c'était un autre gros tournant, un gros pari sur le numérique. Quand on a lancé une émission de reportages sur l'écologie, ce n'était pas gagné, c'était aussi un sacré tournant. Donc oui, c'en est un autre à ceci près que ce mélange d'information et de divertissement n'est pas complètement une nouveauté pour moi.
Les programmes testimoniaux sont parfois dépeints comme des émissions tire-larmes...
Chercher la larme, non ! Je n'ai jamais fait semblant de jouer un rôle et je continuerai à être moi-même à l'antenne. Après, s'il y a des larmes, on ne va pas les cacher. Je pense que l'émotion peut être un vecteur intéressant. Quand on est face à des grands choix dans la vie, l'émotion joue un rôle important. Il ne faut pas la bannir, au contraire. Notre démarche, c'est qu'à la fin de l'émission, les gens y voient plus clair sur des grandes questions qui se posent.
Malgré tout, l'émotion est un registre que vous découvrez...
C'est déjà un peu le cas dans "Sur le front". Si je ne suis pas dans une démarche de conseil à la prise de décision sur France 5, il m'arrive d'être dans l'émotion, on voit quand je suis touché. D'ailleurs, on me l'a reproché, on m'a dit que ce n'était pas le rôle d'un journaliste, qu'il faut savoir se blinder. Pour ma part, j'ai toujours considéré que c'était plutôt sain de laisser transparaître certaines émotions, de dire ce que je pense d'une situation à un certain moment parce qu'en fait, tout le monde est comme ça. Vouloir faire croire aux gens que les journalistes sont des machines totalement imperméables à ce qu'il y a autour d'eux n'a pas de sens.