Un débit, une présence, un ton... Quand Jean-Luc Delarue meurt d'un cancer de l'estomac et du péritoine le 23 août 2012 à l'âge de 48 ans, la télévision perd l'un de ses monstres sacrés. Au cours de deux soirées distinctes, TF1, le mercredi 24 août, et C8, le jeudi 1er septembre, raconteront l'animateur dans des documentaires respectivement produits par Reservoir Prod, société fondée par Jean-Luc Delarue, et l'alliance H2O-Genton Productions.
Au-delà des circonstances exceptionnelles dans lesquelles sa carrière s'est brutalement arrêtée, si le présentateur de "Ca se discute" (1994-2009) a marqué l'histoire de la télé, il le doit surtout à un esprit créatif, une capacité d'adaptation et à un sens aiguisé de la formule. Le présentateur, également producteur de nombreux formats avec sa boîte Reservoir Prod créée en 1994, fourmille ainsi d'idées pour ses émissions - de l'ordre de l'éditorial comme de l'image - qui ont changé la télé de l'époque, au point que certaines de ses trouvailles subsistent encore dans le petit écran aujourd'hui.
Jean-Luc Delarue sur un plateau était notamment indissociable de son oreillette. En juin 2004, rapportait "Libération" à l'époque, l'animateur a expliqué qu'il avait fait le choix de porter une oreillette visible sur le plateau de "Ca se discute" sur France 2 afin de signifier aux téléspectateurs qu'une émission est "un travail d'équipe qui ne repose pas seulement sur les épaules d'un animateur".
Dans l'émission culte, programmée le mercredi en deuxième partie de soirée, Stéphanie Guérin était celle qui murmurait à l'oreille de l'animateur. "Être son oreillette, c'était une espèce de graal", a-t-elle avancé ce mois-ci à "Télé Star". Je devenais la confidente, la psy, l'infirmière... Je le nourrissais d'anecdotes sur les invités et quand il a été en proie à ses addictions, je me suis chargée de l'alerter lorsqu'il transpirait ou que son débit devenait incompréhensible", a raconté celle qui anticipe aujourd'hui, dans le même rôle, les demandes de Faustine Bollaert.
"Ca commence aujourd'hui", le programme testimonial que l'ancienne complice de Michel Drucker dans le canapé rouge de "Vivement dimanche" anime chaque après-midi après le journal de "13 Heures" de France 2, est d'ailleurs un concept hérité des années Delarue, ponctuées de programmes allant de "C'est mon choix", présenté par Evelyne Thomas et qu'il a produit sur France 3 entre 1999 et 2004 à "Toute une histoire", qu'il a présenté à la même heure de 2006 à 2010 sur France 2, en passant évidemment par "Jour près jour" et "Ca se discute".
Dans son ouvrage "La star qui ne s'aimait pas" (éditions Fayard), paru en 2018, Vincent Meslet, pointure des médias, raconte, comment en coulisses Jean-Luc Delarue a fait évoluer la marque "Ca se discute", l'une de celles qui contribuera à l'accroissement de sa popularité. Lors de la première saison de l'émission, en 1994-1995, "les audiences ne décollent pas alors l'équipe (Reservoir Prod) travaille à des changements plus radicaux pour la saison suivante", relate l'auteur.
Fini le direct, tranche alors en réunion le producteur. Dorénavant, ses émissions seront toutes enregistrées, "ce qui donnera la possibilité de les remonter, et avec une ou deux semaines d'avance". Un montage décisif grâce auquel la patte Delarue va s'imposer dans le temps. Les invités ne seront, par ailleurs, plus installés les uns à côté des autres "mais sur une ligne légèrement incurvée" afin que leurs histoires puissent accentuer l'interactivité en plateau et donner lieu à des échanges - forts - entre eux.
Surtout, "l'éditing", comprenez par là la dénomination des débats sur le bandeau en bas de l'écran, est complètement revu. "En réunion, Delarue dit qu'il ne veut plus de titres 'pourris' qui ne donnent pas envie", raconte Vincent Meslet. Les grandes thématiques "Les hommes/les femmes", "Parents/enfants", "Grands-parents/petits-enfants" sont ainsi gommées au profit d'intitulés plus anglés et davantage vendeurs.
Jean-Luc Delarue demande à ses équipes des "putains de selling propositions", des intitulés accrocheurs à l'image de "L'avenir est-il aux garces ?" ; "Homo : Faut-il le dire ou pas" ou encore "Nos mères sont-elles trop possessives ?". Un changement de ligne qui divise la rédaction à l'époque et durant de nombreuses années...