"Une trahison". Un an jour pour jour après la diffusion d'une enquête de "Zone interdite" sur l'islam radical à Roubaix, dans le Nord, deux témoins interrogés dans l'émission ont déposé plainte pour escroquerie et provocation à la haine de la part des auteurs du sujet et du diffuseur, la chaîne M6, a appris hier l'AFP.
Ces deux personnes ont déposé deux plaintes distinctes, ce lundi 23 janvier 2023 à Paris, à l'encontre de la réalisatrice, la société Tony Comiti Productions et le groupe M6. Une première plainte simple vise les infractions d'escroquerie, recel d'escroquerie et atteinte à la représentation des personnes. Une seconde plainte avec constitution de partie civile vise la provocation à la haine en raison de la religion et la publication d'informations fausses de nature à troubler la paix publique.
"Rapidement, certaines personnes figurant dans le reportage dénonçaient une trahison de la 'journaliste' ayant réalisé le reportage et affirmaient avoir été trompées, manipulées et escroquées", rappelle Me Jean-Christophe Basson-Larbi dans un communiqué transmis à l'AFP. "Elles avaient accepté d'intervenir sur le sujet de la laïcité afin de promouvoir son respect et le vivre-ensemble pour finalement se voir stigmatisées et assimilées à de dangereux islamistes radicaux grâce aux artifices coupables d'un montage tendancieux et falsifié, d'une voix off à charge, et d'une musique anxiogène", ajoute-t-il.
"Parmi ces victimes (...) figurent l'étudiante Lilia Bouziane - qui avait immédiatement dénoncé publiquement la trahison dont elle avait été victime - ainsi qu'un ancien chauffeur de la RATP dont les propos ont été trafiqués", d'après lui.
D'après leur avocat, Me Basson-Larbi, ses clients "restent durablement marqués et meurtris" par ce reportage. Saisie par les téléspectateurs, l'Arcom n'avait pourtant constaté aucun manquement de la part de M6. "Les propos tenus n'avaient pas constitué un encouragement à des comportements discriminatoires ou une incitation à la haine en raison de la religion", avait-elle déclaré plusieurs mois après la diffusion de l'enquête.
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Et de relever qu'il "avait été rappelé à plusieurs reprises que l'ensemble des personnes de confession musulmane n'était pas visé par les propos dénonçant la radicalisation". "L'autorité n'a pas davantage constaté de manquement de l'éditeur à ses obligations en matière de respect des droits et libertés, notamment au regard du respect des droits de la personne", a poursuivi l'Arcom. Et de conclure : "Il apparaît en effet que les personnes qui s'exprimaient à visage découvert l'ont fait librement tandis que celles filmées en caméra cachée n'étaient pas identifiables".
Auprès de l'AFP, Me Richard Malka, avocat de Tony Comiti Productions, répète que son client est "extrêmement fier de ce document qui a participé à ce qui est l'essence même du journalisme, investiguer, informer et faire bouger les lignes, malgré les menaces et les risques". L'avocat, qui encourageait à l'époque d'autres chaînes à diffuser le reportage, "attend très sereinement ce débat judiciaire".
Intitulé "Face au danger de l'islam radical, les réponses de l'État", celui-ci avait notamment poussé la préfecture du Nord à fermer un restaurant roubaisien qui apparaissait dans l'émission. Cet établissement, "Le familial", mettait des box séparés du reste du restaurant par des rideaux, à disposition des femmes voilées. L'émission du 23 janvier 2022 avait valu des menaces de mort, notamment à la présentatrice Ophélie Meunier qui avait été placée sous protection policière. Ces menaces font l'objet d'enquêtes pénales.
Très commenté, ce numéro de "Zone interdite" avait été regardé par 2,11 millions de Français soit 10,6% de l'ensemble du public et 15,9% des Femmes responsables des achats âgées de moins de 50 ans.