Faut-il donner les noms et/ou montrer les visages des terroristes menant des attaques en France ? Complexe, cette question à la confluence des principes de responsabilité et de droit à l'information agitent depuis plusieurs jours les rédactions des grands médias français.
Elle a commencé à émerger après l'attentat de Nice suite auquel de nombreuses photos du terroriste Mohamed Lahouaiej Bouhlel ont été publiées dans les médias français. Le débat a repris de plus belle après l'attaque d'une église à Saint-Etienne-du-Rouvray mardi matin.
Dès le lendemain de ce nouvel attentat, "Le Monde" a ainsi expliqué avoir pris une résolution sur le sujet. "A la suite de l'attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs de tueries pour éviter d'éventuels effets de glorification posthume", a ainsi annoncé hier matin et en des termes imprécis, son directeur, Jérôme Fenoglio, dans un long éditorial intitulé "Résister à la stratégie de la haine".
Cette décision du "journal de référence" a immédiatement inspiré d'autres médias. Dans la foulée, BFMTV a ainsi annoncé sur Twitter son intention de ne plus diffuser de photos des terroristes, illustrant sa décision par la publication de deux photos d'identité volontairement floutées.
Dans la foulée, Europe 1 a franchi un nouveau pas en annonçant sa volonté de ne pas diffuser les photos des terroristes sur son site internet mais aussi de ne plus donner leurs noms à l'antenne. La station a justifié ce choix en affirmant ne pas vouloir "glorifier les auteurs d'attentats". La radio était rapidement rejointe sur sa position par le quotidien "La Croix". Dans la journée, France 24 et RFI annonçaient pour leur part leur refus de publier les photos des terroristes à l'avenir.
Ces décisions ont été immédiatement saluées par un certain nombre de personnalité du PAF, à l'image d'Alessandra Sublet, de Nagui ou de Maïtena Biraben.
"Le nom des terroristes est un élément d'information objectif essentiel"
L'unanimisme qui semblait se dessiner sur cette question s'est cependant rapidement fissuré. Dès aujourd'hui, Alexis Brézet a ainsi expliqué dans son journal, "Le Figaro", pourquoi ce dernier continuerait à publier et les noms et les photos des terroristes. "Le nom des terroristes est un élément d'information objectif essentiel pour comprendre ce qui se joue sur notre sol, et notre devoir est de le porter à la connaissance de nos lecteurs ou de nos internautes. Ne pas le faire, ce serait alimenter les fantasmes complotistes de tous ceux qui estiment que les médias 'nous cachent la vérité'", a-t-il expliqué sur la question de l'identité des terroristes.
Concernant les photos de ces derniers, le directeur des rédactions du "Figaro", a ajouté : "Il y a, c'est vrai, le risque de 'glorification' des terroristes. Il y a aussi celui de choquer les lecteurs qui peuvent se sentir agressés par ces clichés. Mais, d'un autre côté, il s'agit là encore d'une information dont on voit mal au nom de quel principe nous devrions la dissimuler à nos lecteurs ou à nos internautes. Je crois que tout est affaire de mesure, de prudence et de bon sens. Publier dans nos pages, ou sur notre site, une photo neutre et discrète du terroriste, c'est nécessaire", a-t-il fait valoir. Avant d'ajouter : "Surtout, ne tombons pas dans le piège de ce monde imaginé par Orwell où les noms des 'méchants' (où s'arrêtera la liste ?) sont systématiquement effacés des livres d'histoire".
La position du "Figaro" est aussi celle de "Libération". Dans un éditorial intitulé "Une photo publiée ne changera rien à la stratégie des terroristes", Laurent Joffrin explique ainsi que "la liberté d'informer doit primer". Appelant à un usage réfléchi des clichés de terroristes, le patron du quotidien estime malgré tout que "ce n'est pas le glorifier que de montrer le visage d'un tueur. Le lecteur n'est pas si bête. Si on lui montre Landru, il ne le confond pas avec ses victimes", souligne-t-il.
"Marianne" aussi a l'intention de continuer à publier les noms et les photos des terroristes. Dans un éditorial, Renaud Dély explique le choix de son hebdomadaire "L'essence même du métier de journaliste consiste à informer le public et à lui délivrer des informations complètes, bref à raconter la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, même si celle-ci est douloureuse", rappelle le journaliste. "Le fait de masquer une partie de cette vérité ne peut avoir qu'un effet contre-productif dévastateur pour la société elle-même", estime-t-il.
Et de conclure : "Contrairement à ce que prétendent certains, 'l'innommable' a un nom, et même un visage. C'est même le propre de l'humanité que d'engendrer en son sein des barbares qui ne sont pas des créatures extra-terrestres venues d'autres planètes. Pour la presse, connaître et dévoiler les informations qui les concernent, c'est une exigence professionnelle mais aussi citoyenne. Elle participe de la lutte contre le fléau du terrorisme, mais aussi de la défense de la cohésion de notre société".
Aujourd'hui, le directeur du "Monde", Jérôme Fenoglio, est revenu sur son éditorial de la veille dans un email envoyé aux salariés de son journal. Contrairement à ce qu'il avait laissé entendre dans son texte initial, il a ainsi précisé que sa demande "porte principalement sur des images tirées de leur vie quotidienne ou sur celles, souvent prises par eux-mêmes, précédant leur passage à l'acte".
Elle "ne concerne pas les documents de type pièce d'identité, ou les images apportant différents type de preuves (par exemple capture écran attestant d'une présence à tel endroit, photo de groupe donnant des informations sur des proximités entre personnes ou réseaux), accompagnées d'explications, et/ou éventuellement recadrées".