LCP a 20 ans. Partageant le canal 13 de la TNT avec Public Sénat, la chaîne parlementaire de l'Assemblée nationale a en effet été créée en 2000, avec notamment pour vocation de rendre compte du travail quotidien des députés. Alors que la défiance à l'encontre de ces derniers a rarement été aussi forte, puremedias.com a rencontré Bertrand Delais, un documentariste devenu patron de LCP depuis 2018, et dont la nomination avait provoqué des remous. L'occasion d'évoquer avec lui cet anniversaire, célébré ce soir par une programmation spéciale de sa chaîne, et le rôle en 2020 de cette antenne ne ressemblant à aucune autre.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : LCP va fêter ses 20 ans. Est-ce le plus bel âge de la vie ?
Bertrand Delais : C'est en tout cas un âge de vraie maturité pour la chaîne. Elle est dans un moment historique où les doutes sur la fonction représentative - qu'il s'agisse des parlementaires comme des corps intermédiaires - sont tels que la chaîne a un rôle particulier à jouer en ce moment. A l'inverse des chaînes info qui sont dans une hystérisation systématique de tous les sujets - ce qui n'est d'ailleurs pas pour rien à mon avis dans la défiance des Français à l'encontre des médias -, nous essayons modestement à LCP d'offrir une contre-programmation, un autre regard sur le moment. Force est de constater que cela marche puisque notre audience a augmenté de 15 à 20% en deux ans.
Quelle est l'audience de LCP justement ?
Le canal partagé entre LCP et Public Sénat est autour de 0,4% de part d'audience. Nous talonnons franceinfo:, à 0,5% de PDA en 2019.
Avez-vous un objectif d'audience ?
Je n'ai pas d'objectif d'audience. Je n'ai d'ailleurs jamais mis la pression aux équipes sur ce sujet. En revanche, j'ai la faiblesse de penser que lorsque l'on fait ce métier, c'est pour être regardé par le plus de monde possible...
Garderez-vous une mesure mensuelle d'audience comme c'est le cas actuellement, ou comptez-vous passer à une mesure quotidienne comme la plupart des autres chaînes de la TNT ?
Non, nous allons garder ce mode de mesure actuel. C'est notamment une question de budget. La mesure quotidienne de l'audience coûterait trop cher à une petite chaîne comme la nôtre.
"Je veux relégitimer la fonction parlementaire"
Quels sont les grands jalons de la double décennie d'historie de LCP ?
La naissance de la chaîne en 2000 d'abord, bien évidemment. Cela a été une avancée démocratique majeure. Ensuite, je trouve que Richard Michel a été un président très important pour la chaîne au début de sa vie. J'espère en être l'héritier d'ailleurs. Il a fait de cette chaîne un véritable laboratoire de la citoyenneté et de la politique. C'est lui aussi qui a porté le passage sur la TNT de LCP qui a été un moment important pour elle en termes de visibilité. Nous avons également eu des temps forts d'antenne comme les primaires socialistes que nous avons été les premiers à diffuser en 2006, ou la commission d'enquête parlementaire sur le procès d'Outreau, la même année. Avec cette tragédie d'Outreau, la chaîne a rempli à la fois sa mission d'information parlementaire et a pris le pouls de la société. Elle a su accompagner parfaitement ce moment traumatique pour toute la société française.
Vous répétez dans vos interviews vouloir "désinstitutionnaliser" la chaîne. Concrètement, qu'est-ce que cela veut dire ? Vous voulez la rendre plus branchée ?
Non, je ne veux pas la rendre plus branchée. Je veux simplement faire en sorte qu'elle soit plus audible alors même que le politique ne l'est plus aujourd'hui. Je veux relégitimer la fonction parlementaire, la rendre plus lisible.
Pour être accessible justement, vous avez notamment fait venir des visages connus de la télévision, comme Patrick Cohen, Guy Lagache ou Maïtena Biraben ? N'êtes-vous pas victime du syndrome "vu à la télévision" ?
Mon idée n'est pas la starisation de l'antenne pour la starisation. Je cherche seulement à trouver des bons passeurs dans chaque domaine que nous abordons à l'antenne.
Comment résumer la ligne éditoriale de LCP, alors que Public Sénat se positionne sur les territoires ?
Nous sommes la chaîne de la citoyenneté et du Parlement. Cela renvoie à la fonction représentative au sens large. Par exemple, au moment du Grand débat, nous avons fait venir uniquement des élus, des maires de petites communes, parfois membres du mouvement des Gilets jaunes eux-mêmes. Nous avons privilégié cette parole-là plutôt que celle de leaders autoproclamés sur Facebook.
"Lorsque j'ai pris les rênes de LCP, l'entreprise était en crise sociale"
Vous dites être la "chaîne de la citoyenneté". Lorsque le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti parle de filmer davantage les procès, cela peut-il intéresser une chaîne comme LCP ?
Oui. Peu pour les procès d'assises mais filmer par exemple une décision de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat se prononçant sur un arrêté de fermeture des bars en pleine crise sanitaire, cela nous intéresse. Cela permettra notamment aux Français de voir que ces décisions sont prises au terme d'un processus véritablement contradictoire. A charge pour nous d'avoir en plateau des vulgarisateurs permettant de passer outre l'aridité de certaines décisions administratives.
Quelle est votre stratégie en matière de documentaires, le pilier de votre grille en prime time ?
Nous essayons de monter en gamme en proposant le plus de contenus exclusifs possible à l'antenne. Auparavant, nous co-produisions une quinzaine de documentaires. Le reste était des documentaires pré-achetés pour une deuxième diffusion après celle de France Télévisions ou Arte. Si LCP a ainsi longtemps pu jouer "la télévision de rattrapage", c'est devenu de plus en plus compliqué de fonctionner de cette manière. L'arrivée des plateformes et la multi-diffusion a fait qu'on nous donnait une fenêtre de diffusion de plus en plus tardive. Tant et si bien que le film que nous diffusions avait déjà largement trouvé son public avant d'arriver sur notre antenne, voyant ainsi son potentiel d'audience très amoindri. Nous préférons désormais acheter des productions internationales dont la première diffusion nous coûtera à peu près aussi cher qu'une deuxième diffusion d'un doc français. Nous allons aussi favoriser la co-production avec des chaînes à péage, de manière à être le premier diffuseur des oeuvres sur la TNT.
Pourquoi avoir souhaité réintégrer la production de la plupart de vos émissions ?
La réintégration de la production obéit à une double logique. D'abord, elle est indissociable du développement de LCP en média global puisque cela nous permet de nous constituer un catalogue de droits au moment où les chaînes vont se transformer en éditeurs. LCP n'échappe pas à cette évolution. Mais la réinternalisation était aussi un moyen de faire revivre la chaîne. Lorsque j'ai pris les rênes de LCP, l'entreprise était en crise sociale. Il fallait redonner de la fierté à tous les collaborateurs. Dans une entreprise de presse, l'éditorial est aussi un support du management au nom d'un projet d'entreprise. Dans ces conditions, transformer le plus possible les salariés de la chaîne en acteurs du développement de la chaîne passait par cette réinternalisation.
Avez-vous dû embaucher pour assumer cette réinternalisation de la production ?
Non, mais nous avons redéployé nos moyens. Nous sommes toujours près de 80 personnes.
"Nous aurons des programmes disponibles sur Salto"
Votre budget annuel de 16,5 millions d'euros est-il menacé par la crise sanitaire ?
Je pense qu'il ne bougera pas.
La mutualisation des moyens avec Public Sénat est-elle toujours à l'ordre du jour ?
Je pense que des rapprochements sont à faire. Nous devons encore en discuter les modalités précises.
Vous aviez évoqué l'année dernière une possible sortie de la TNT de LCP ? Est-elle toujours à l'ordre du jour ?
Il faut se remettre dans le contexte de cette déclaration qui, je le précise, avait le soutien de mon conseil d'administration. Nous étions alors dans une négociation serrée avec TDF (organisme gérant la diffusion de la TNT, ndlr) avec le risque d'une forte augmentation de nos coûts de diffusion. Ces derniers sont déjà très élevés - plusieurs millions d'euros chaque année - pour une petite chaîne comme la nôtre. Alors que 80% de nos téléspectateurs nous regardent via les box des opérateurs télécom, se posait ainsi la question de la pertinence d'accepter une telle augmentation de nos frais de diffusion sur la TNT.
Et finalement, que s'est-il passé ?
Finalement, nous avons trouvé un accord avec TDF qui satisfaisait les deux parties. Nous resterons donc bien évidemment sur la TNT.
Mettrez-vous vos contenus sur Salto ?
J'en discute avec Delphine Ernotte. Nous aurons probablement des programmes disponibles sur Salto. Je ne peux pas encore dire lesquels car cela reste à affiner. Nous sommes aussi en discussion pour être sur la plateforme de TV5 Monde et sur le portail éducatif de France Télévisions. Pourquoi ? Parce que plus il y a de bretelles d'accès à l'autoroute, plus il y a de gens qui prennent l'autoroute ! Nous sommes éditeurs de contenus et avons intérêt à ce que les produits LCP soient accessibles au plus de monde possible.
Comptez-vous viser un public plus jeune à l'avenir, alors que le vôtre est historiquement assez âgé ?
Nous le faisons déjà. Nous réfléchissons à une offre avec Molotov par exemple. Nous avons déjà une offre dédiée avec notre chaîne Youtube. Nous tâchons aussi de créer des passerelles entre notre fort public sur Twitter, plus jeune, et le reste de nos contenus, dans une stratégie à 360. Nous avons intégralement refait notre site web pour favoriser cette consommation circulaire de nos contenus. En revanche, je ne crois pas aux programmes dédiés spécifiquement aux jeunes.
"J'ai la confiance de Richard Ferrand"
Vous avez été nommé par François de Rugy, alors président de l'Assemblée nationale, pour votre premier mandat. Vous êtes candidat à votre succession et ce sera cette fois à Richard Ferrand de vous nommer ou non. Cela complique-t-il la donne pour vous ?
Le changement de président ne constitue pas en soi un problème particulier... J'ai sa confiance et au-delà, celle de mon conseil d'administration, c'est-à-dire des représentants de tous les groupes parlementaires. Depuis mon arrivée, je veille à ce que toutes les opinions portées au Parlement puissent trouver une place sur la chaîne. Toutes les décisions importantes sont prises à l'unanimité car c'est là la condition même de vitalité de la chaîne.
A votre poste, est-on soumis à des pressions politiques constantes en provenance de tous les camps ?
En venant de tous les camps, ces pressions politiques s'annuleraient justement. En réalité, vous ne pouvez pas avoir de politique partisane à ce poste. C'est impossible. Au conseil d'administration, j'ai des représentants de tous les groupes à l'Assemblée. Si je fais un film qui apparaît téléguidé par la majorité ou l'opposition, j'aurais fatalement une partie des membres du CA qui viendrait me demander des comptes.
Vous êtes un documentariste passionné par la politique. Avez-vous rêvé de faire un documentaire depuis votre arrivée à la tête de LCP, ce coeur du réacteur parlementaire ?
En fait, je vis ce mandat comme un prolongement de mon travail de documentariste. L'amoureux de la chose publique que je suis se considère en mission lorsqu'il s'agit de relégitimer la démocratie représentative à un moment où elle est terriblement fragilisée. A la tête de LCP, je me sens utile et aujourd'hui, c'est pour moi le plus important.