En juin 2020, les parlementaires français adoptaient la loi de protection des victimes de violences conjugales. Au milieu de celle-ci, un amendement porté par la sénatrice Marie Mercier (LR), qui s'attaque à une tangente : la pornographie consommée par les mineurs. Le but de son texte - adopté sans accrocs -, forcer les sites pornographiques à mieux contrôler l'âge des utilisateurs, pour barrer l'accès aux mineurs. En clair, ne pas se contenter d'un "J'ai plus de 18 ans, oui/non", qui ne protégeait pas grand-chose.
Deux ans après le vote de cette loi... Rien, ou plutôt, pas grand-chose. Un décret d'application a, dans les faits, accordé à l'Arcom le pouvoir de contrôler les sites qui ne se plient pas aux règles, de les mettre en demeure, puis de les assigner en justice pour, peut-être, demander leur blocage. Le régulateur est aujourd'hui engagé devant les tribunaux avec quelqu'une de ces plateformes, Pornhub, Tukif, XHamster, Xnxx et Xvidéos. Aucun n'a mis en ligne de système de vérification de l'âge considéré comme fiable.
Comme le montrent ces longues procédures, face à la justice, le régulateur peine à faire entendre ses arguments. Et pour cause, jusqu'à très récemment, les sites avaient une défense difficile à contrer. Si la loi exige que les sites contrôlent l'âge des internautes intéressés par le contenu pour adultes, dans les faits, aucun dispositif de vérification ne pouvait être mis en place. Si bien que la justice a ordonné aux différents acteurs de s'asseoir autour d'une table pour une médiation.
La raison de ce cul-de-sac est technique. Pour contrôler l'âge d'une personne, il faut en obtenir des données personnelles. Or, la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (Cnil) a pour mission de protéger les internautes des collectes qui pourraient leur porter préjudice. Elle s'est par exemple opposée à ce que les sites puissent demander la carte d'identité des visiteurs. Dans un avis rendu en 2021, elle jugeait que ces données étaient trop sensibles, surtout puisqu'il s'agit d'un contenu aussi intime.
Protection des données personnelles versus protection des mineurs, sur ce dossier, Arcom et Cnil s'opposent. Sans que l'une ou l'autres des autorités n'ait l'ascendant sur l'autre. Une difficulté à se mettre d'accord qui a courroucé Roch-Olivier Maistre, le président de l'Arcom. Comme l'a révélé "Le Figaro", il a critiqué en privé la Cnil et menacé de leur "voler dans les plumes" s'ils n'y mettaient pas du leur.
Mais, pour la première fois, la question semble aboutir. Comme l'a annoncé le ministre délégué au Numérique Jean-Noël Barrot au "Parisien", le gouvernement a repris les choses en main. "Ce qui va changer c'est que, l'Arcom et la Cnil, ont trouvé un moyen d'établir un référentiel, des lignes directrices pour que des solutions soient robustes, fiables, ne puissent pas être facilement contournées", a-t-il expliqué jeudi soir chez franceinfo: "Ce n'est pas l'Etat qui va mettre en place cette solution, les deux régulateurs vont fournir un cahier des charges, ensuite, les sociétés privés vont ensuite développer des solutions". Il devrait être rendu public prochainement.
Voici comment vont devoir procéder les sites, grâce au système dit du "tiers de confiance". Jamais l'utilisateur ne communiquera ses données directement aux sites X. Il devra les transmettre à un acteur tiers, "peut-être votre opérateur télécom", qui fournira une attestation de majorité. Elle doit ensuite être transmise par l'utilisateur au site pour adulte. Un mécanisme qui contourne les principales craintes de la Cnil mais peut être plus embêtant pour les utilisateurs. "Cela fonctionnera un peu comme le contrôle demandé par votre banque lorsque vous réalisez un achat en ligne, sauf que ce certificat de majorité sera anonyme", a expliqué le ministre délégué. Le plus important, le tiers ne sait pas pourquoi l'attestation est demandée et le site pour adulte ne sait pas à qui appartient l'attestation.
Avec son système, le gouvernement veut mettre fin à un problème qui n'a que trop duré. En France, 19 millions de visiteurs pour adultes ont été recensés par Médiamétrie en avril 2022. Parmi eux, 2 millions (12%) sont mineurs, et parfois vraiment très jeunes. Le dossier est pourtant loin d'être bouclé. Si Jean-Noël Barrot espère une entrée en vigueur d'ici le mois de septembre, son projet doit obtenir l'aval du Conseil d'État, de l'Arcom, de la Cnil, de l'Union Européenne... Sans oublier les nombreux recours que les sites X s'apprêtent à déposer. Armés des meilleurs avocats de Paris, ils ne comptent pas lésiner sur le moyens pour bloquer ce texte qui pourrait porter un sérieux coup à leur business.