Censure tardive pour "La Belle Saison". Le dernier film de Catherine Corsini, sorti en salles le 19 août dernier, raconte l'histoire d'amour entre Delphine et Carole, une parisienne et une provinciale, au début des années 70. Sur l'affiche du film, Cécile de France et Izïa Higelin, qui jouent les deux personnages principaux, que l'on imaginent nues, s'enlacent dans les bois et sont sur le point de s'embrasser.
Une affiche censurée à Camaret-sur-Aigues, une petite ville du Vaucluse de 4.600 habitants, ravie aux dernières municipales par le Front National. En effet, Philippe de Beauregard, le maire de la ville, a fait retirer l'affiche de sa mairie et de son site internet. "Il nous a dit que ce film n'était pas compatible avec ses idées, que certaines scènes étaient choquantes, et qu'il ne voulait pas faire la promotion de ce film", a expliqué Christophe Ricard, le directeur de Cineval, cinéma itinérant qui propose des films dans une vingtaine de communes du département, à France 3 Provence-Alpes.
"J'ai vu le film, il est émaillé de scènes érotiques en gros plan, je n'ai pas voulu en faire la promotion avec les moyens municipaux. J'ai utilisé ma liberté d'expression pour avertir les parents qu'à mon sens ce n'est pas un film pour les enfants", a confirmé le maire frontiste à nos confrères, assurant que sa décision n'était en rien homophobe puisqu'il aurait pris la même décision si l'histoire avait concerné "un couple hétérosexuel". Il s'agit simplement du retrait des affiches, pas de l'annulation de la projection, puisque la municipalité n'a aucun regard sur la programation de l'association.
En colère, Catherine Corsini a adressé une lettre ouverte à Philippe de Beauregard où elle dénonce une "censure" et un "acte autoritaire, intolérable" et fait un cours d'Histoire de l'art à l'élu. "La nudité dans l'art est apparue dès les premiers dessins de l'époque préhistorique. La nudité féminine était là, bien avant l'apparition de la religion chrétienne, symbole de fertilité, d'érotisme, et symbole de la famille", écrit la réalisatrice.
"Est-ce la caméra qui découvre les poils pubiens d'une actrice, en gros plan comme un tableau, qui vous trouble, ou est-ce de voir deux femmes s'aimer ?", interroge-elle en dénonçant un "procès d'intention" face à une affiche que personne n'a contesté lors de la sortie du film en salles. "On se demande qui est le pervers dans l'accusation que vous portez au film. Monsieur, votre censure s'inscrit dans une lignée qu'on connaît bien, celle qui sous couvert de protéger les valeurs familiales, répand les passions tristes et la haine du corps", conclut-elle.
"Cachez ce sein que je ne saurais voir" (Molière)
A vous en croire, Monsieur Philippe de Beauregard, on devrait rhabiller les statues de nues, mettre un voile sur les peintures de Courbet, Manet, Renoir et de tous les peintres qui ont su croquer la nudité avec réalisme. Nous devrions aussi interdire les musées à la jeunesse, fermer les salles qui montrent des corps de femmes entre elles, nus, alanguis, accouplés dans des poses suggestives.
Pourtant, la nudité dans l'art est apparue dès les premiers dessins de l'époque préhistorique. La nudité féminine était là, bien avant l'apparition de la religion chrétienne, symbole de fertilité, d'érotisme, et symbole de la famille.
Ce qu'on voit dans La Belle Saison, c'est la nudité des corps, dans leur liberté, dans leur beauté et dans leur insouciance face au désir, ce sont les visages, les rires, les sourires de deux femmes qui évoquent l'appétit de la vie. Est-cela qui vous choque ? Est-ce la caméra qui découvre les poils pubiens d'une actrice, en gros plan comme un tableau, qui vous trouble, ou est-ce de voir deux femmes s'aimer ?
Ce procès d'intention pourrait faire sourire, tant ni le film en salles depuis des semaines, ni l'affiche placardée dans toute la France n'ont suscité de polémique. Mais vous n'en êtes pas resté aux mots et vous avez fait retirer l'affiche de votre mairie et de votre site internet, ce qui constitue un acte autoritaire, intolérable. On se demande qui est le pervers dans l'accusation que vous portez au film. Monsieur, votre censure s'inscrit dans une lignée qu'on connaît bien, c'est celle qui, il y a quelques mois voulait faire interdire l'affiche de 'L'Inconnu de lac' d'Alain Guiraudie, celle qui sous couvert de protéger les valeurs familiales, répand les passions tristes et la haine du corps.
Mais souvenons nous que c'est cette censure qui s'est attaquée aux poèmes de Baudelaire, pour qu'on ne l'entende jamais parler dans Lesbos de "baisers chauds comme les soleils" de "baisers qui sont comme les cascades orageux et secrets, fourmillants et profonds", des "filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses". "Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre pour chanter le secret de ses vierges en fleurs".
Catherine Corsini