La marque France Bleu s'apprête à disparaître sous un ciel éclairci. Après une succession de tempêtes, la vague de septembre-octobre 2024, dont les résultats ont été publiés ce jeudi 14 novembre 2024 par Médiamétrie, lui laisse un peu de répit. La station aux 44 locales du réseau Radio France a (enfin !) recruté des auditeurs. 87.000 précisément ! Un petit exploit pour celle qui n'avait plus progressé à la rentrée depuis... 2020. Nommée en début d'année 2023 à la tête du réseau France Bleu, Céline Pigalle, par ailleurs directrice de l'information et de la proximité à Radio France, réagit à ces résultats un peu meilleurs. Elle raconte aussi à Puremédias la réflexion menée autour de la notion de "proximité" qui, selon elle, a conduit à cette légère embellie et comment Ici, nom qu'adoptera la station en 2025, devrait la poursuivre. Entretien.
Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret
France Bleu a été écoutée par 2,59 millions d'auditeurs en cette rentrée. Quel regard portez-vous sur cette légère embellie ?
Depuis mon arrivée, France Bleu est engagée dans un travail de long terme. Les jalons d'une forme de reconquête s'implantent petit à petit. L'année dernière, comme vous le savez, nous nous étions employés à stabiliser nos résultats. Cette fois-ci, on gagne presque 90.000 auditeurs sur un an. C'est un motif de satisfaction, d'autant plus que l'on repart de l'avant dans un environnement difficile : le média radio souffre et les locales sont plutôt en difficulté.
Les nouveautés ont-elles été des choix payants ?
Tout ce que l'on a changé fonctionne. C'est vrai pour "Au taquet", présenté par Valérie Damidot entre 12h05 et 13h00 (259.000 auditeurs jouent avec l'animatrice en moyenne chaque jour, + 31.000 pour la case sur un an, ndlr), et pour "Ma France" avec Wendy Bouchard (déplacée cette saison de 13h00 à 13h30à, ndlr). Le dernier élément d'analyse qui me paraît très important est que ce gain d'auditeurs se produit à l'heure où nous accordons plus de place au local dans notre grille. Nous avons en effet remplacé un programme national par un programme local entre 13h30 et 16h. Quand vous faites des changements, vous avez toujours le risque de perdre ceux qui aimaient bien l'existant et de ne pas réussir à convaincre de nouveaux auditeurs. Là, en l'occurrence, donner sa juste place aux programmes de proximité, ça marche.
"L'idée, avec Ici, c'est de balayer l'idée selon laquelle la proximité s'adresserait à une population vieillissante"
Cette promesse de proximité renforcée va se traduire par un nouveau nom pour France Bleu, qui deviendra Ici en 2025. Si les programmes régionaux de France 3 ont été affublés du logo Ici dès le 5 novembre, France Bleu n'a pas encore basculé. Pouvez-vous nous préciser le calendrier exact de déploiement de cette nouvelle bannière ?
Non, pas encore précisément ! Début 2025, France Bleu deviendra pleinement Ici. Après avoir réaffirmé la promesse de local, l’heure est venue de la renommer avec cette nouvelle identité commune avec le réseau régional de France 3.
Quel est l’objectif derrière ce changement de marque ?
Le point essentiel, c'est de balayer l'idée selon laquelle la proximité s'adresserait à une population vieillissante. Au contraire, la proximité est profondément inscrite dans l'époque. Jean Viard, un célèbre sociologue français, expliquait récemment comment, dès lors que vous vivez dans un monde très numérisé, vous avez besoin d’être ancré là où vous vivez. Ce changement de marque va permettre d'y répondre. Et cela devrait donc nous valoir des niveaux d’audience supérieurs à ceux qu'on a pu connaître.
Mais France Bleu paraît déjà dans ce registre de la proximité. C'est quoi la plus value d'Ici par rapport à France Bleu ?
Ce sur quoi nous travaillons, c’est le renouvellement des contenus au niveau local. La proximité, c'est quoi ? C’est aider les auditeurs dans leurs choix du quotidien, pas forcément là où vous habitez mais dans la sphère intime et personnelle. Par exemple, depuis la rentrée, nous avons lancé une chronique quotidienne avec un vétérinaire. Cela n'existait pas dans le paysage médiatique.
"Je ne vais pas faire de pronostics sur les conflits sociaux qui pourraient advenir"
Le projet Ici suscite des résistances en interne. Les élus du personnel de France Bleu ont demandé à la direction du réseau de Radio France l’ouverture d’une procédure d’information-consultation sur le projet de rapprochement avec France 3, demande à laquelle la direction a accédé. Les personnels de France Bleu ainsi que les techniciens de France Bleu Paris et France Bleu national sont appelés à la grève mercredi 20 novembre afin de protester contre "une dégradation constante des conditions d’exercice de leurs missions", selon un préavis déposé par la CFDT, la CGT, SUD, l’UNSA et FO de Radio France. Redoutez-vous un mouvement social qui s'inscrive dans la durée ?
Je ne vais pas faire de pronostics sur les conflits sociaux qui pourraient advenir, ce n'est pas du tout mon état d'esprit. Mon leitmotiv, c'est d'expliquer les choix que nous faisons, d'essayer de convaincre et d'accompagner au maximum les changements pour que les équipes de France Bleu aient envie de s’embarquer dans nos différents projets. Deuxième chose : pour alléger le rythme de travail des journalistes, nous avons le souci de mettre la tête de réseau au service des locales. Cela signifie produire des éléments au niveau national et les proposer ensuite aux locales, afin qu’elles puissent les intégrer dans leur grille. C'est une façon de les soulager d'une partie du travail.
Ces programmes communs – mais aussi l'intégration de flashs sur le national et l'international dans les matinales – ne viennent-ils pas réduire la place de l'information locale ?
Les chroniques "Les conseils du vétérinaire", dont je parlais, ou "Par ici les économies" assurée par Valère Corréard, ne sont pas de l'information locale, mais elles contribuent à renforcer cette dimension de proximité. Elles couvrent des enjeux au plus près de la vie de ceux qui nous écoutent. Notre vision, si je peux dire, c'est de soulager les rédactions d'une partie de travail de proximité avec ces contenus qui s'inscrivent dans notre offre globale. Cette possibilité est donnée aux rédactions afin qu'elles se concentrent sur l'économie locale, les événements locaux, l'actualité locale afin qu'elles disposent de plus de temps pour nourrir la promesse d’actualité locale.
"S'il y a des gens aujourd'hui pour regretter France Bleu, j'espère qu'il y en aura dans 20, 25 ans pour déplorer la suppression de la marque Ici"
Un changement de marque aussi identifiée que France Bleu est toujours un risque. À quel moment direz-vous que cette transition est une réussite ?
Si le réseau France Bleu a été créé en 2000, il y a eu une vie des radio locales avant ça. Et les radio locales chez Radio France, elles ont porté des noms différents avant France Bleu. J'ai donc envie de vous dire que si aujourd'hui, il y a des gens pour regretter France Bleu, il y a eu à l'époque où ce nom-là a été lancé des gens pour regretter les précédentes dénominations. Si l'un de mes successeurs dans 20, 25 ans voulait de nouveau changer cette nouvelle marque, j'espère qu'à ce moment-là, il y aura des gens pour la regretter. Plus sérieusement, vous avez raison de dire que c'est un très gros enjeu. Mais vous imaginez bien que nous ne le faisons pas à la légère, que nous l'avons pesé et réfléchi.
Un mot plus personnel pour finir. Vous êtes passée par i>Télé, LCI et BFMTV avant de rejoindre France Bleu. Qu'est ce qui change dans le fait de passer de modèles privés à un modèle public ?
Fondamentalement, c'est sensiblement le même travail. Il y a deux missions qui m’animent au quotidien, celle qui consiste à essayer de développer une promesse éditoriale forte et de la porter. Et puis celle qui a vocation à accompagner les équipes. De ce point de vue là, il n’y a pas de différence. Mais travailler pour le service public, c'est un honneur, tout simplement.