Sébastien Lecornu écrit à Delphine Ernotte. Comme la communauté médicale, le ministre des Outre-mer n'a que peu goûté les choix éditoriaux de l'émission "Regards croisés". Diffusé le 9 décembre dernier sur la chaîne publique Guadeloupe la première, qui appartient au groupe France Télévisions, le magazine, présenté par Lise Dolmare, s'intéressait aux "effets indésirables de la vaccination" contre le covid-19.
"Doit-on réduire au silence ceux qui disent avoir un autre vécu que le nôtre ? Dans 'Regards croisés', à cette questions, nous répondons 'non'", lançait, ce jour-là en introduction, Lise Dolmare. Avant de donner la parole à Priscilla Loferne, une personne vaccinée qui depuis sa première injection "traîne une fatigue" comme elle n'en a "jamais connue". "A cause de mes symptômes et de ma fatigue, dorénavant, toute activité est pénible", déplorait-elle, dénonçant "un fossé entre les chiffres et la réalité". Une allégation accréditée par l'avocate Ellen Bessis qui réagissait en duplex.
Partageant "l'émoi" de la communauté médicale devant de telles affirmations, Sébastien Lecornu a "appelé à la responsabilité des acteurs (...) surtout médiatiques au sujet de la vaccination, a-t-il écrit dans un courrier, révélé par l'AFP, à l'attention de Delphine Ernotte. Il est indéniable que votre mission de service public consiste à ouvrir le débat et à répondre aux inquiétudes de la population", mais, "dans la réalité, aussi bien l'intitulé de l'émission que la composition de plateau, ainsi que les échanges entre les intervenants ont laissé s'installer dans l'opinion l'idée que les vaccins n'étaient pas sûrs, alors que les études scientifiques nous disent l'inverse".
Face à cette témoin, la journaliste avait pourtant convié le docteur Antoine Talarmin, directeur de l'Institut Pasteur en Guadeloupe parce que, justifiait-elle, "considérer toutes les paroles" est "notre farouche volonté". Si ce dernier a confirmé que "le vaccin anti-covid, comme tout vaccin ou comme tout médicament, peut présenter des effets secondaires", il a attesté que "l'important en santé publique est de considérer le bénéfice-risque". Le docteur a par ailleurs constaté : "Il semblerait qu'il y ait à peu près 1 pour 1.000 effets secondaires recensés" et que "2 (vaccinés) pour 10.000" ont des effets secondaires graves "sans mortalité pour la plupart".
Malgré tout, le ministre n'en démord pas : "Ce type de diffusion ne peut qu'alimenter les doutes et je le regrette", écrit encore Sébastien Lecornu, qui rappelle que "c'est aujourd'hui l'un des moyens les plus efficaces pour protéger nos concitoyens des formes graves de cette maladie". "Ce courrier fait suite à plusieurs signalements que nous avons reçus", indique-t-on au ministère des Outre-mer. Plusieurs médecins, mais aussi des représentants de la société civile comme le président de la chambre de commerce et d'industrie, qui a qualifié l'émission de "propagande délirante antivax", ont écrit à Delphine Ernotte et au ministre.
"Nous avons répondu au collectif de médecins", a indiqué à l'AFP France Télévisions, où l'on ajoute qu'une réponse sera également formulée au ministre. Dans le courrier adressé au collectif de médecins, Delphine Ernotte a rappelé "20 mois de sensibilisation quotidienne" aux gestes barrière, à la vaccination, la diffusion de "conférences publiques" sur le sujet, en partenariat avec les instances hospitalières et de gouvernance locale.
Par ailleurs, "l'ampleur de la très forte réticence à l'encontre de la vaccination d'une partie de la population, rend impossible le fait de ne lui réserver aucun traitement journalistique", a-t-elle estimé. À l'heure actuelle, moins de 50% de la population guadeloupéenne de plus de 18 ans est primo-vaccinée.