Interview
Djamel Mazi et Christophe Kenck ("Sur la ligne") : "On a une pression vis-à-vis des téléspectateurs"
Publié le 12 janvier 2023 à 14:00
Par Florian Guadalupe | Journaliste
Passionné de sport, de politique et des nouveaux médias, Florian Guadalupe est journaliste pour Puremédias depuis octobre 2015. Ses goûts pour le petit écran sont très divers, de "Quelle époque" à "L'heure des pros", en passant par "C ce soir", "Koh-Lanta", "L'équipe du soir" et "La France a un incroyable talent".
A l'occasion du lancement ce jeudi 12 janvier 2023 du nouveau magazine d'information de France 2, puremedias.com a échangé avec les deux journalistes de "Sur la ligne", Djamel Mazi et Christophe Kenck.
Bande-annonce de "Sur la ligne" présenté par Djamel Mazi et Christophe Kenck sur France 2 © Jean-Luc POLION
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Ils incarnent un nouveau rendez-vous d'information internationale. Ce soir, à 23h, France 2 lance une émission d'enquête à dimension internationale, baptisée "Sur la ligne". Pour le premier numéro du magazine, le programme s'est penché sur la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique et la vie des habitants de ces deux pays, séparés par un mur quasi-infranchissable.

Et pour en parler, puremedias.com a échangé avec les deux journalistes incarnant "Sur la ligne", Djamel Mazi, ancien présentateur sur franceinfo:, et Christophe Kenck, reporter de guerre, ayant notamment collaboré avec "Envoyé spécial". En plein tournage du prochain numéro, le tandem nous a accordé un entretien par téléphone depuis le lieu du deuxième épisode de l'émission.

Propos recueillis par Florian Guadalupe.

puremedias.com : Comment est née cette émission ?
Christophe Kenck :
D'une histoire toute simple. La direction de l'information cherchait à remettre un magazine international à l'antenne sur France 2. Le dernier qui avait été proposé est "Un oeil sur la planète". Il s'était arrêté il y a six ans. J'étais au courant de ça. J'ai exhumé un projet que j'avais écrit il y a cinq ans, qui s'appelait "Frontières". Je m'étais dit que c'était pas mal de rappeler les histoires des frontières à travers le monde et les histoires des personnes qui vivent d'un côté comme de l'autre. Les frontières à la fois physiques, mais aussi naturelles, sociétales, psychologiques, etc. J'ai sollicité Djamel. On s'était rencontré il y a maintenant presque sept ans à franceinfo:. Je lui ai demandé s'il acceptait de venir incarner ce magazine et de le fabriquer avec moi.
Djamel Mazi : Je n'ai pas hésité. On a pris un café tous les deux. Moi, j'avais envie de repartir sur le terrain après plusieurs années à la présentation et à l'info en continu. Christophe m'en a parlé en avril dernier. Il m'a montré son projet et on a monté un dossier ensemble. La direction a été tout de suite très emballée. Ca a été très rapide. Début juillet, ça a été annoncé officiellement.
CK : Il a fallu qu'on apprenne beaucoup de métiers en même temps.

Comment ça "beaucoup de métiers" ?
CK :
Il a fallu apprendre la production, mais également comment le fabriquer et le structurer. On a été accompagné par Germain Dagognet et par la direction des magazines, qui a été très présente et très à l'écoute. Ensuite, on a dû apprendre à organiser le tournage et le montage.
DM : La création de l'habillage aussi ! Ca a été une sacré aventure !
CK : Oui, on a appris tout ça, avec une petite équipe. Il y a aussi Yvan Martinet qui nous a rejoints. Je voulais que dans la conception du magazine, il y ait aussi des reportages. Il y en a quelques-uns dans la première émission. Je voulais quelqu'un de talentueux.

"On voulait montrer comment on fabrique l'enquête et comment on amène les personnages" Christophe Kenck

Pourquoi avoir fait le choix d'être à deux pour incarner le programme à l'antenne ? Un reporter et son caméraman.
DM : Ce qu'on cherche dans ce magazine, c'était l'authenticité. On veut être le plus proche possible de la réalité. La réalité d'un reportage, c'est un travail d'équipe. Il y a un reporter certes, qui peut être incarnant, mais il y a aussi quelqu'un derrière la caméra, qui a une grande expérience. L'une des raisons pour lesquelles j'ai accepté de faire partie de l'aventure, c'est Christophe. Il a une longue expérience de Grand reporter, notamment sur les terrains de guerre. Il a aussi une capacité de mise en perspective. L'idée était d'avoir une deuxième caméra pour apporter ce contre-champ, qui est fondamental. Ce qu'on voulait, c'était échanger. Il y a le reporter aguerri qui est sur le terrain et qui tient la caméra, et moi, qui suis un peu plus jeune, avec un regard un peu plus neuf. Ca rend des échanges intéressants. Ils permettent de distiller à la fois des infos et à la fois du ressenti. Comme on a toujours parlé comme ça dans la vraie vie, on s'est toujours dit : "C'est ça qu'on veut voir à l'antenne. Du parler-vrai ! Tout en faisant du reportage". C'est ça l'intention de départ.
CK : Dans la conception du magazine, c'est aussi le fait qu'il ne parle pas à la caméra, mais qu'il parle à moi. Ca rajoute de l'authenticité, qui n'est pas ce que l'on voit aujourd'hui dans les magazines d'information. Tu as quelqu'un qui est en plateau et qui lance des sujets. Parfois, il est un peu incarné par le journaliste. Là, on a voulu l'incarner tous les deux, du début jusqu'à la fin. Il y a des échanges où on peut avoir des doutes et des interrogations.
Puis, il y a un peu ce côté coulisses. On voulait montrer comment on fabrique l'enquête et comment on amène les personnages. A l'époque des fake news - je l'ai vu dans le numéro d'"Envoyé spécial" que j'ai fait en Ukraine -, les gens aiment bien voir comment on fabrique et comment on porte notre regard sur le sujet qu'on est en train de réaliser.
DM : C'est un exercice de transparence. On n'avait pas envie de faire propre à l'image.

A quel point, Christophe, votre expérience en tant que reporter de guerre a apporté à l'émission ?
CK :
C'est une expérience de rencontres tout au long de ma carrière. Quand je partais sur les lignes de front, c'était pour raconter ces histoires humaines. Et souvent, les lignes de front, c'est une séparation. Il y a des histoires différentes d'un côté et de l'autre. Moi, ce que j'ai toujours aimé, c'est rencontrer les gens qui sont sous les bombes et qui te racontent des histoires extraordinaires. Par exemple, en Ukraine, on est allé sur les lignes de front. Ca bombardait dans tous les sens. On a rencontré des gens qui n'ont pas pu quitter le village. On est resté avec eux. On a essayé de comprendre pourquoi ils restés et comment ils comprenaient la guerre. C'est ce que je fais depuis maintenant 33 ans de ma carrière, et 25 ans avec les reportages de guerre.

"Ca a été un chamboulement personnel et professionnel" Djamel Mazi

Djamel, qu'est-ce que ça vous a fait de quitter les plateaux télés ? Vous avez été présentateur sur franceinfo: et joker des JT de France 2 et France 3.
DM : Ce n'est pas du tout le même logiciel. Encore une fois, j'ai accepté l'aventure parce qu'il y avait Christophe et sa grande expérience. Pour moi, ça a été un chamboulement personnel et professionnel. J'ai été reporter un certain moment. Mais pour moi, le grand reportage de cette envergure, c'est une grande première... partir aussi longtemps... Et c'est aussi nouveau pour moi d'incarner sur le terrain. Je ne suis pas là seulement devant une caméra ou sur un plateau, et maquillé. Là, on voyage longtemps. Ca nous a pris deux jours pour aller là-bas. Sur place, il y a 9h de décalage horaire. Ce n'est pas simple. Tout de suite, sur le premier numéro, on se pose la question : "Comment je vais parler ?". Très vite, il fallait jouer la carte du naturel, et pas comme si on lançait un JT en studio. C'est totalement différent. Même dans l'approche. Quand on fait des interviews et qu'on va toquer à la porte des gens, on est chez eux. Les gens, quand ils viennent sur ton plateau, ils viennent chez toi. Tu es en position de force. Alors que là, c'est l'inverse. Tu es dans l'intimité des gens qui nous reçoivent. C'est pour ça que je parle de chamboulement personnel.

Avez-vous été surpris par ce que vous avez vu sur place ?
DM : Surpris d'abord par l'existence de murs. Moi, je n'avais jamais vu de murs qui séparent deux pays et qui sont aussi imposants et hauts. L'autre surprise, c'est quand on est parti du côté Etats-Unis et Mexique, même s'il y a beaucoup de similitudes - ça parlait des deux côtés espagnol -, on voit que culturellement il y a un fossé. Aux Etats-Unis, on utilise la grosse voiture et personne ne marche dans la rue, tandis qu'au Mexique, c'est plus chaleureux et les gens sont dans la rue.
Ce qui m'a surpris - il faut le voir pour le croire -, c'est la forte présence des cartels au Mexique. Le chef de la police mexicaine est extrêmement rassurant en disant : "Ma ville est la plus sûre de la frontière". Nous, il nous a suffi de rencontrer des familles pour entendre : "Il y a quelques jours encore on est venus nous proposer de vendre notre maison de force pour construire un tunnel et faire passer de la drogue". On a rencontré un petit jeune dans la rue et il nous a montré son flingue. Il nous a expliqué qu'il faisait partie des narcos. Sa famille est à côté et elle est membre des cartels. Donc, c'est toujours surprenant de voir cette réalité-là sur le terrain. Puis, ce mur qui sépare de nombreuses familles... La cruauté de ce mur qui renvoie des vétérans qui aiment le drapeau américain, au Mexique... C'est ça que j'ai trouvé étonnant sur le plan étonnant.
CK : Ce que j'ai trouvé particulièrement émouvant, ce sont ces "hugs" (câlins, en anglais) à la frontière... Tu as trois minutes pour te retrouver au pied du mur, entre des personnes vivant de chaque côté de la frontière. Il y a ces familles qui ne se sont pas vues depuis quatre, cinq, vingt et même vingt-cinq ans... Il y a ces deux soeurs qui ont retrouvé leur maman, qui malheureusement est morte peu de temps après. C'est la cruauté du système des murs. C'est aussi la cruauté d'un système où on vous autorise à rencontrer un membre de votre famille trois minutes. Je trouve ça complètement fou.
DM : C'est une sorte de parloir ouvert !
CK : Et encore, le parloir, tu as un peu plus de temps.

"On nous a dit de nous méfier du cartel de Sinaloa" Christophe Kenck

Avez-vous senti de l'hostilité sur place ?
CK : De l'hostilité, non. On n'est pas dans un pays hostile. On nous a dit de nous méfier du cartel de Sinaloa. C'est le cartel qui tenait la ville où on était. Mais du moment où on a averti les autorités, la police et le maire, on n'a pas été embêtés. Puis, du côté américain, c'est le 4e amendement de la constitution, c'est la liberté de la presse. Alors, là, on a eu le droit de faire ce qu'on veut.
DM : Et du côté Mexique, on a même eu le droit d'être invité à un barbecue au pied du mur. C'était chaleureux.

Les habitants autour de ce mur et les migrants, ont-ils facilement accepté de vous parler ?
CK : C'est la force d'avoir choisi Yvan Martinet. Il a cette capacité exceptionnelle d'aller à la rencontre des gens et de les faire parler. On n'a pas eu de soucis.
DM : On a cette facilité d'aller vers les gens. Eux se confient assez facilement. On le voit à l'image. Après, c'est aussi le talent des journalistes comme Yvan Martinet, de rassurer et de convaincre pour une interview.

Combien de temps a pris le tournage de cette enquête ?
CK : Ca se fait en deux parties. Il y a celle d'Yvan. Il est parti 14 jours et a monté 14 jours. Ca fait un mois. Et nous, on est partis 14 jours et on a monté pendant 4 semaines. En gros, on est à deux mois et demi.
DM : Sachant qu'il y a eu un petit travail d'enquête un peu avant. Il fallait organiser des calages et il y avait le décalage horaire... 9h de décalage horaire... (rires) Il fallait très souvent se coucher à 3h du matin pour passer les coups de fil. A côté, on était en plein préparatif du premier numéro, avec les habillages et des réunions. Tout ça, ça nous faisait de très grosses journées.
CK : Oui, les réunions... C'est une vraie nouveauté aussi pour nous. Il y a beaucoup de réunions. C'est hyper important et fondamental. Ca permet de faire évoluer le projet de manière sereine.

Etait-ce facile pour vous de traverser la frontière ?
CK : Franchement oui. C'était aussi l'objet du premier numéro, de pouvoir incarner ce principe d'aller d'un côté comme de l'autre. La frontière américaine et mexicaine, tu la traverses sans problèmes et à toute heure de la journée.
DM : Après, c'est vrai que quand tu vas au Mexique depuis les Etats-Unis, c'est comme une lettre à la Poste. Ca va assez vite. Dans l'autre sens, tu as l'attente avec la douane. Sinon, c'était relativement facile.

"On ne se met pas la pression par rapport à l'audience" Djamel Mazi

Allez-vous regarder les audiences de l'émission demain matin ?
CK :
Il y a le décalage d'où nous sommes actuellement. Il y a deux heures en plus. L'émission sera à 1h du matin. Le lendemain, on doit préparer notre retour. En plus, ici où on est, il y a une organisation à avoir. Non, on ne va pas les regarder.
DM : Après forcément, on va le voir sur les réseaux sociaux. On va forcément nous les envoyer. Après, on ne se met pas la pression par rapport à ça parce que ce que nous avons fait, nous l'avons fait avec passion. On y croit. On a voulu apporter de l'authenticité et de l'humain. Puis, on a la chance d'être salariés. On est en interne. On n'est pas des producteurs extérieurs. On a une pression vis-à-vis des téléspectateurs, mais aussi de nos collègues et de la direction, qui nous ont fait confiance. Ils ont pris des risques. On les prend avec eux. Si ça marche, tant mieux. Si l'audience n'est pas au rendez-vous, je dirai : "Dommage". En tout cas, on sera content et fier de ce qu'on a fait.

Notre interview est actuellement faite par téléphone. Vous êtes en tournage du deuxième numéro. Où êtes-vous ?
DM : On est à Porte de la Chapelle. (rires) Je plaisante ! Désolé, mais on ne peut pas dire.
CK : On tourne le numéro deux. Pour des raisons de communication, on ne peut pas dire.
DM : Le seul indice : si vous prenez un compas sur une carte, on est entre 5.000 et 10.000 kilomètres de la métropole.

Mais c'est encore près d'un mur ?
DM : Joker !

Entre temps, France 2 a communiqué sur le lieu de tournage du deuxième numéro de "Sur la ligne", qui a eu lieu à Mayotte et aux Comores.

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