Elisabeth Moreno prend la parole sur puremedias.com. La ministre en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, répond aux questions de notre site tout au long de la journée à l'occasion de la diffusion ce soir de "Il est elle" sur TF1. Un téléfilm primé au festival de Luchon et qui traite du thème de la transidentité. Elisabeth Moreno a pu découvrir cette fiction en avant-première lors d'une projection organisée au sein de TF1 il y a quelques semaines. Dans cette première partie, elle nous explique pourquoi ce téléfilm est selon elle important pour la télévision et la société française dans son ensemble.
Propos recueillis par Christophe Gazzano et Benjamin Meffre.
puremedias.com : Cet unitaire de TF1 marque-t-il selon vous un tournant dans la représentation des questions LGBT+ à la télévision ?
Elisabeth Moreno : Avant toute chose, je tiens à vous dire combien ce téléfilm m'a bouleversée. Avec la Culture, l'Art, vous pouvez dire des choses qui ne sont pas dicibles autrement ; c'est la force de la fiction. A travers un téléfilm, vous avez des possibilités de dialogue et de débat infinies pour les téléspectateurs. Cela délie les langues et facilite les conversations entre les générations. Il y a des sujets complexes dont j'ai pu parler avec ma fille grâce à un film ou une série. La deuxième chose concernant "Il est elle", c'est que les acteurs sont incroyables. Les parents sont extraordinairement justes dans leur rôle. En général, quand on parle de la transidentité, on parle souvent de la seule personne transgenre, on ne parle que rarement de la famille, de l'entourage. Or, une telle situation ne se vit pas seul. Elle a évidemment un impact sur le reste de la famille. Ce téléfilm a eu l'intelligence de regarder la situation dans sa globalité. Et puis la troisième chose, c'est que l'actrice principale est elle-même transgenre et j'ai trouvé cela très intelligent. Elle incarne et raconte son histoire. Tous ces éléments font que "Il est elle" est véritablement réussi selon moi.
Ce téléfilm n'aurait-il pas eu sa place sur France Télévisions ?
Bien sûr que oui. Mais le service public fait aussi beaucoup de choses sur ces questions-là ! Plus largement, je pense que concernant ces sujets de société, il faut trouver une manière pédagogue d'en parler et c'est là que les chaînes de télévision ont un rôle fondamental à jouer.
"Le monde est en métamorphose et l'école n'est pas à l'écart de la société"
Dans "Il est elle", le personnage principal a recours à des bloqueurs de puberté pour faciliter son éventuelle future transition. Cet acte médical, encore méconnu en France, doit-il être davantage médiatisé selon vous ?
Ce sont des sujets très nouveaux que la plupart des gens découvrent. Il s'agit d'un véritable changement culturel pour notre société. Cela nécessite d'avoir une discussion libre et ouverte sur ces nouveaux enjeux et sur les réponses à y apporter, sans tabou. Certains candidats putatifs parlent même "d'idéologie LGBT+"...
Eric Zemmour, puisqu'il s'agit de lui, a comparé sur Europe et CNews le 6 octobre ces bloqueurs de puberté aux expériences du docteur Joseph Mengele durant la Seconde guerre mondiale. Que lui répondez-vous ?
Mais quelle honte ! Quelle irresponsabilité ! A la diffusion de "Il est elle", j'ai rencontré Marie Cau, la première maire transgenre de France. Elle m'a dit : "Madame la ministre, si j'avais pu avoir recours aux bloqueurs, j'aurais beaucoup moins souffert. Je suis né dans un corps que je n'ai jamais reconnu. Il était trop tôt à mon époque pour qu'on s'empare des solutions possibles pour que je vive mieux". Notre responsabilité aujourd'hui est générale : il s'agit de voir quelles réponses on peut apporter aux jeunes transgenres, en leur permettant de mieux vivre leur identité.
Ce téléfilm de TF1 aborde aussi la question de l'accueil des élèves transgenres à l'école. Une récente circulaire de Jean-Michel Blanquer s'est penchée sur ce sujet récemment. Va-t-elle suffisamment loin selon vous ?
Cette circulaire est déjà un très grand pas. Elle s'inscrit dans le cadre du plan national d'actions LGBT+ 2020-2023 que j'ai lancé le 14 octobre 2020. C'est une première ! Je crois que cette circulaire va avoir l'avantage d'ouvrir le dialogue sur ce sujet qui a longtemps été complètement tabou. Elle va faire en sorte que les élèves trans aient un meilleur accueil. Elle va surtout permettre au corps enseignant de se saisir d'outils qui n'existaient pas afin qu'ils se sentent plus à l'aise sur ces sujets. Il faut pouvoir les accompagner ! Le monde est en métamorphose et l'école n'est pas à l'écart de la société. Ces sujets arrivent dans les cours d'école. Si on ne prépare pas nos enfants à s'en emparer, ils peuvent devenir des victimes. C'est un très grand pas !
"Invisibiliser une partie de nos concitoyens conduit à sécréter un sentiment d'exclusion"
Il a fallu attendre "Plus belle la vie" pour avoir une premier personnage transgenre dans une fiction française. Pourquoi la France a-t-elle mis si longtemps selon vous ?
La télévision est un miroir de la société. Comme le révèle le baromètre annuel du CSA sur la représentation de la diversité ou le rapport de la députée Céline Calvez sur la place des femmes dans les médias durant la crise sanitaire, les femmes ou les personnes dites issues de la diversité demeurent sous-représentées sur l'espace audiovisuel. Nous avons progressé ces dernières années mais beaucoup de progrès restent à accomplir. Je salue d'ailleurs toutes ces chaînes de télévision, de TF1 à M6, en passant par France Télévisions, qui cherchent à montrer la société telle qu'elle est, dans toute sa pluralité. Parce que c'est ça qui nous rassemblera, cette culture commune.
Qu'est-ce qui fait que la télévision est désormais moins réticente à traiter ces sujets selon vous ?
Ces sujets se sont imposés dans le débat public. #Metoo, #Metoo gay, #Metoo inceste, tous ces sujets nous ont sauté au visage. La société évolue et devient plus mature sur ces questions et les médias, omniprésents dans nos vies quotidiennes, ne peuvent y être hermétiques. Prenons par exemple les violences conjugales qui datent de la nuit des temps. Le fait que le président de la République ait décidé que l'égalité entre les femmes et les hommes soit la grande cause du quinquennat nous a permis de mettre la lumière sur des injustices et des inégalités remontant à des millénaires et qui demeuraient encore taboues. C'est pour cela que je salue une nouvelle fois ces initiatives dans les médias qui aident à faire évoluer les mentalités.
Vous avez fait un déplacement officiel sur le tournage d'"Ici tout commence". Qu'appréciez-vous dans ce feuilleton en matière d'inclusion ?
Ce type de fiction reflète la pluralité de la France du XXIème siècle. Regardez les personnages : il y a des blancs, des noirs, des hétérosexuels, des homosexuels... Et c'est extrêmement important. Car invisibiliser une partie de nos concitoyens conduit à sécréter un sentiment d'exclusion, de rejet. Nous avons donc besoin de fictions de ce type.
"Si 'Plus belle la vie' a marché, c'est qu'elle montrait la société telle qu'elle est"
Est-ce que cette représentation des personnes trans dans les fictions ne masque pas une invisibilisation dans les autres programmes ?
Non, ça ne masque rien. Nous savons qu'ils manquent. Mais plutôt que de souligner qu'il n'y en a pas à tel ou tel endroit, je pense qu'il faut davantage saluer qu'il commence à y en avoir à d'autres. Si "Plus belle la vie" a marché, c'est qu'elle montrait la société telle qu'elle est. L'idée doit être de se dire : "Quand je regarde cette fiction, je vois mon pays". C'est très important.