Une manipulation critiquée. En plein débat à l'Assemblée nationale sur la loi contre les fake news, la presse internationale a massivement relayé mardi 29 mai ce qui s'est avéré être une fausse information. Il faut dire que les médias avaient toutes les raisons de croire à la mort par balles, à Kiev, de leur confrère Arkadi Babtchenko, journaliste russe réfugié en Ukraine, connu pour son opposition féroce au Kremlin. La triste nouvelle avait en effet été confirmée à la fois par la famille d'Arkadi Babtchenko, mais aussi par la police à Kiev. Dans le contexte actuel des récents assassinats de journalistes en Europe - à Malte, en Slovaquie par exemple - la presse a couvert en profondeur l'information. "Le Monde" par exemple, a même consacré sa Une à l'affaire dans son édition datée de jeudi.
Sauf que cette histoire était en réalité un coup monté par les autorités ukrainiennes, avec la complicité d'Arkadi Babtchenko lui-même. Lors d'une conférence de presse surréaliste organisée hier, le journaliste russe est ainsi réapparu devant les caméras. Les responsable des services secrets ukrainiens ont alors expliqué que cette manipulation visait à empêcher un projet d'attentat bien réel contre le journaliste. Cette opération aurait ainsi permis d'arrêter le donneur d'ordre intermédiaire, un Ukrainien agissant pour le compte des services russes, à en croire Kiev.
Les annonces des autorités ukrainiennes, dignes d'un James Bond, ont en tout cas suscité de nombreuses critiques de la part de la communauté journalistique. Dans un éditorial, "Le Monde" dénonce aujourd'hui une "manipulation toxique". "La crédibilité des autorités policières et judiciaires ukrainiennes est à présent sérieusement entamée", estime ainsi le journal du soir, qui regrette que ce mensonge "donne du grain à moudre aux fanatiques des théories du complot et autres pourfendeurs des médias et des journalistes, nombreux à triompher sur les réseaux sociaux". "Rien ne comble plus d'aise les adeptes des 'fake news' que de voir les médias classiques pris au piège de ces fausses informations, que nous mettons tant d'énergie à combattre", soupire enfin "Le Monde".
"Ça ne fait pas avancer la liberté de la presse", a pour sa part regretté Christophe Deloire, le patron de Reporters sans frontières, dénonçant à l'AFP une "simulation navrante". D'autres journalistes ont eux aussi exprimé des critiques contre Arkadi Babtchenko. "Babchenko est un journaliste, pas un policier, nom de dieu !", a par exemple écrit le reporter d'investigation russe Andrei Soldatov, sur Twitter. Cet ancien collègue du journaliste a fait part de sa joie de le savoir en vie, tout en estimant qu'Arkadi Babtchenko avait "affaibli un peu plus la crédibilité des journalistes". Simon Ostrovsky, un autre journaliste et ami d'Arkadi Babtchenko a pour sa part fait savoir à la BBC qu'il ressentait "autant de soulagement que de colère".