Un intérim au long cours. Jean-Pierre Pernaut ayant décidé par précaution de rester chez lui pendant la crise sanitaire, Jacques Legros, son joker depuis 1998, a repris la présentation du "13 Heures" de TF1 depuis le 18 mars dernier. Pour la première fois, les deux journalistes figurent au sein de la même édition chaque jour puisque si Jacques Legros assure la partie principale, Jean-Pierre Pernaut a sa rubrique dédiée, baptisée "Le 13 Heures avec vous", consacrée à la vie quotidienne des Français.
Côté audiences, le journal de la mi-journée de TF1 enregistre des scores en nombre de téléspectateurs en nette hausse depuis le mois de mars, avec une moyenne de 7,29 millions de fidèles entre le 18 mars et le 19 mai, soit 41,0% du public selon Médiamétrie, contre 5,16 millions de téléspectateurs (41,4%) depuis le début de l'année. puremedias.com a interrogé Jacques Legros sur cet intérim pas comme les autres.
Propos recueillis par Christophe Gazzano.Vous avez repris la présentation du "13 Heures" depuis près de deux mois. Comment s'est passée la transition entre Jean-Pierre Pernaut et vous ?
Comme d'habitude ! Je rappelle que ça fait 22 ans que je suis son joker et que j'ai l'habitude de faire la transition avec Jean-Pierre plusieurs fois dans l'année. Le lundi, on me dit, "est-ce-que tu peux venir demain ?". Je suis venu le lendemain. Pour moi, ce n'était pas quelque chose d'exceptionnel.
Vous étiez-vous préparé à reprendre la présentation si nécessaire pendant la crise ou avez-vous été surpris d'être appelé si vite ?
Je n'ai pas été surpris car je suivais l'évolution des choses, même si je ne savais pas quel jour cela pourrait arriver. Mais quoiqu'il en soit, on a établi une règle du jeu entre la direction de TF1, Jean-Pierre et moi : c'est que le "13 Heures" doit être la priorité dans mon agenda. Il m'est arrivé un jour d'être appelé alors que j'étais dans la vallée de Chamonix et j'ai réussi quand même à être là pour le "13 Heures" ! Je suis susceptible de le faire à tout moment donc je me rends disponible quoi qu'il arrive. C'est une règle établie, je l'applique. Dans l'année, cela arrive de temps en temps.
Vous avez vraiment été appelé du jour au lendemain pour le "13 Heures" cette fois ?
Oui, mais j'étais déjà à Paris et préparé à cette éventualité. Cela s'est juste fait plus vite que prévu.
Si cette crise n'avait pas eu lieu, quand était prévu votre prochain intérim ?
Pour les vacances de Pâques. Jean-Pierre ne s'est pas arrêté car il avait sa rubrique dans le journal mais il a pris une semaine un peu plus tard, après les vacances. C'est pour cela qu'on ne l'a pas vu. Et, en principe, il va prendre ses vacances d'été, donc je serai à nouveau là.
Est-ce la première fois que vous présentez le "13 Heures" sur TF1 de façon ininterrompue sur une si longue période ?
Oui. Là, c'est la 10ème semaine d'affilée alors qu'en été, je le remplace en général 5 à 6 semaines.
"On est toujours en édition spéciale"
Cette durée inédite change-t-elle quelque chose pour vous ? Ne ressentez-vous pas une fatigue, voire une certaine lassitude ?
Non. Si lassitude il devait y avoir, ce serait lié à l'actualité, à ce mono sujet qui a tout phagocyté. Et c'est vrai qu'au bout d'un moment, on sature un peu, comme les téléspectateurs. On essaie de varier, de revenir à des préoccupations un peu plus quotidiennes, mais il y a forcément cette connotation coronavirus. On a du mal à y échapper et c'est normal. Imaginez qu'on parle d'autre chose, je crois que personne ne regarderait les journaux ! On est toujours en édition spéciale puisque nos JT font actuellement 50 minutes et non pas 36 et cela représente beaucoup de travail pour toutes les équipes dans des conditions plus compliquées.
A quelles difficultés avez-vous été confronté au quotidien durant la crise pour exercer votre métier ?
La principale difficulté a été de parler d'une pandémie qui entraîne des conséquences tragiques sur la santé de beaucoup de gens, des peurs, des conséquences économiques dramatiques... sans être trop anxiogène. C'est un équilibre subtil dans le choix des sujets, mais aussi dans le choix des mots. On était là pour alerter, pour conseiller, mais pas pour faire trembler. L'exercice n'est pas simple.
"On ne peut pas être deux pilotes dans l'avion en même temps"
Comment vous organisez-vous avec Jean-Pierre Pernaut pour élaborer le "13 Heures" au quotidien sachant que c'est la première fois que vous évoluez tous deux au sein du même journal ? Organisez-vous des visioconférences de rédaction avec lui par exemple ?
Non. On ne peut pas être deux pilotes dans l'avion en même temps. Quand on présente un journal, on en est le patron. Donc je suis le patron du journal en ce moment. Les choses sont bien réparties entre nous et ça se passe bien comme ça. Je fais le journal comme je le ferais quand Jean-Pierre est en vacances.
Y a-t-il un debriefing en fin de journal entre vous deux ?
Non, parce que ce n'est pas nécessaire. Je crois que ni lui, ni moi n'avons eu cette idée en tête. On débriefe simplement avec l'équipe sur l'actualité et sur la préparation du journal du lendemain.
Vos seuls contacts avec Jean-Pierre Pernaut se limitent donc à l'antenne lorsque vous lui passez le relais pour sa rubrique ?
Exactement. En temps normal, quand je viens à TF1, on discute avec plaisir, etc. Mais on se croise plus qu'on ne se rencontre.
Estimez-vous avoir pu apporter votre touche au "13 Heures" pendant cette période ?
Pas plus que depuis 22 ans. Rien ne change. Avec les équipes, on se connaît depuis plus de 20 ans pour la plupart. On fonctionne donc beaucoup à l'instinct. Comme dans les autres rédactions où je suis passé, c'est un travail très collectif, avec beaucoup d'échanges.
"Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà été aussi virulent"
Ces dernières semaines, Jean-Pierre Pernaut et vous-même vous êtes illustrés par des coups de gueule remarqués à l'antenne. Pour Jean-Pierre Pernaut, le 24 avril, il s'agissait de souligner les inégalités provoquées par le confinement. Et vous avez eu des mots durs contre la Poste le 17 avril en utilisant le mot "scandale" et en accusant l'entreprise de ne pas assurer sa mission de service public. N'êtes-vous pas sorti de votre rôle de présentateur de journal télévisé au cours de ces deux occasions ?
Pour ce qui concerne Jean-Pierre Pernaut, je vous laisse lui poser la question ! Pour le coup de gueule contre la Poste, c'était moi, donc je peux répondre. Est-ce-que je suis sorti de mon rôle ? Je vais vous dire : sans doute. Mais on s'implique dans le choix des sujets, dans la façon de les réaliser, dans le choix des mots.
Pourtant, je ne suis pas coutumier du fait. Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà été aussi virulent, mais dans ce cas précis, c'était lié à une histoire que j'ai vécue. Ce n'était pas contre les postiers. Mais j'ai assisté à une scène que j'ai estimé scandaleuse avec des personnes en pleurs, en détresse, qui n'ont trouvé en face d'elles aucune humanité.
J'y suis retourné le lendemain et le directeur de l'agence était dehors pour s'adresser à tout le monde. Ce n'était plus du tout le même accueil. Je revendique ma réaction, même si elle était sans doute maladroite, trop forte. J'ai fait mon mea culpa et cela ne nous a pas empêchés de diffuser de nombreux sujets tout à fait normaux et positifs sur la Poste. Mais la scène en question m'a fait mal. Ce qui m'a fait surréagir, c'est que j'ai vu des gens sans moyen de se défendre, face à une institution. C'est l'institution que j'ai attaquée, pas les postiers. Et cette institution-là n'a pas joué son rôle de service public ce jour-là.
Avez-vous été surpris par l'ampleur des réactions suscitées par votre coup de gueule ?
Il y en a eu beaucoup, c'est sûr. Cela est allé des réseaux sociaux aux lettres anonymes. Il est certain que dès que vous prononcez un mot devant 6 à 8 millions de personnes, vous pouvez susciter de nombreuses réactions. Si vous vous arrêtez à ce que vous entendez ou recevez dans ces cas-là, il vaut mieux arrêter ce métier. C'est plus facile de critiquer que de dire du bien...
Cela ne vous empêchera pas de pousser d'autres coups de gueule à l'avenir si vous en ressentez le besoin ?
Peut-être, peut-être pas. En tous cas, je ne supporte pas l'injustice. Quand on manque de respect à des gens qui n'ont pas les moyens de se défendre, je me sens une obligation morale, civique, citoyenne de prendre leur défense. Est-ce-que ça ne va pas trop loin ? Le journal est puissant. Mais, encore une fois, ce n'étaient pas les postiers que je visais. Je le referai peut-être, mais autrement.
Côté audiences, même si les journaux sont plus suivis en cette période, on remarque en temps normal que les scores restent les mêmes, qu'il s'agisse de Jean-Pierre Pernaut ou de vous à la présentation. Est-à-dire que le "13 Heures" de TF1 peut fonctionner quel que soit le journaliste qui officie à sa tête ?
TF1 est une chaîne puissante, les journaux de TF1 sont puissants. C'est aussi parce qu'on travaille bien avec des journalistes consciencieux et de talent. Ca ne veut pas dire que les autres médias n'ont pas de talent. Je parle de ce que je connais. Après, la force du "13 Heures" c'est aussi d'être incarné depuis 32 ans par Jean-Pierre Pernaut et depuis 22 ans par moi. Le "13 Heures" est un rendez-vous qui s'appuie sur des téléspectateurs fidèles. On leur ouvre alors une fenêtre sur le monde, sur la vie. Je pense que le fait de retrouver des présentateurs qu'on a l'habitude de voir joue aussi.
L'incarnation compte donc autant que le contenu ?
Ce sont les deux ensemble. C'est un tout. Le "13 Heures" est un beau journal, avec une belle équipe.
Un joker a vocation à devenir titulaire un jour ou l'autre. Est-ce-que c'est quelque chose que vous attendez ?
Non, pas du tout. C'est un peu tard (rires). J'assure le remplacement en ce moment et je le ferai le temps qu'il le faudra. Mais je n'ai pas d'ambition de cet ordre.
Jusqu'à quand assurez-vous l'intérim sur TF1 pendant l'épidémie ?
Bonne question. Je ne sais pas. Tant que cela sera nécessaire. Le virus est encore là.
"Ce dispositif a été mis en place pour protéger Jean-Pierre"
Vous verra-t-on malgré tout cet été à l'antenne pendant les vacances de Jean-Pierre Pernaut ?
Oui. Après, est-ce qu'il y aura jonction ou non entre lui et moi, je n'en sais strictement rien. Ce dispositif a été mis en place pour protéger Jean-Pierre. Ca durera le temps qu'il faudra.
Qu'est-ce-qui vous a le plus marqué pendant cette crise sanitaire ?
C'est le comportement des gens, qui a souvent été critiqué parce qu'ils ne semblaient pas réaliser la situation. Mais moi, je ne trouve pas. Les Français ont été d'un civisme incroyable. La peur a joué, bien sûr, mais pas que. Je pense qu'il y a eu, à quelques exceptions près, un comportement extrêmement responsable et civique. Il faut retenir que dans l'ensemble les gens - même si je n'aime pas ce mot - ont joué le jeu de façon admirable. Le confinement a été pourtant une vraie épreuve. Je les vois aujourd'hui faire la queue devant les magasins avec leur masque, en respectant les distances, sans râler. Je dis chapeau !