Télé réalité
La production de "Top Chef" fait le bilan : "La durée ne décourage pas les gens"
Publié le 6 mai 2013 à 11:47
Par Charles Decant
Alors que Naoëlle D'Hainaut et Jean Imbert s'affronteront ce soir dans un combat des champions de "Top Chef", entretien avec Matthieu Bayle de Studio 89, qui produit l'émission culinaire pour M6. L'occasion de faire le bilan de la saison 4.
Le jury de "Top Chef" 2013 autour de Stéphane Rotenberg Le jury de "Top Chef" 2013 autour de Stéphane Rotenberg© Daniela JEREMIJEVIC/M6
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Lundi dernier, Naoëlle D'Hainaut devenait la quatrième gagnante de "Top Chef" à l'issue d'une saison plus longue que d'habitude et qui, comme souvent, a enthousiasmé le public autant qu'elle l'a frustré. Entre les inégalités des épreuves pour les candidats, les dégustations rarement à l'aveugle, le comportement de Naoëlle pas sanctionné ni même souligné, ou encore la durée toujours excessive de l'émission, les fans de l'émission ont eu, une fois encore, de nombreux reproches à formuler à l'encontre du programme. Mais même si les audiences sont en sensible baisse sur un an, le programme reste fédérateur et apprécié des téléspectateurs, y compris des visiteurs de puremedias.com qui l'ont classé l'an dernier encore en tête des TV Notes.

Ce soir, Naoëlle affrontera Jean Imbert dans un face-à-face en direct qui s'annonce intense. L'occasion pour puremedias.com de faire le bilan de cette quatrième saison avec Matthieu Bayle, directeur des programmes de Studio 89 Productions, qui produit l'émission pour M6.

Propos recueillis par Charles Decant.

puremedias.com : Quel bilan tirez-vous de cette quatrième saison de "Top Chef" ?

Matthieu Bayle : Un bilan excellent ! Les audiences sont au rendez-vous, la saison a été très variée. On a eu des personnalités fortes encore cette année... On est très satisfait. Ca a très bien performé en audiences donc on est très content.

"On a surperformé l'année dernière"

Ces audiences, justement, sont en sensible baisse sur un an, et même en très légère baisse sur deux ans... Comment expliquez-vous cette érosion ?

Il faut prendre en compte deux choses : la première, c'est que la concurrence n'est pas du tout la même. L'année dernière, il y avait beaucoup de soirées électorales, politiques, etc. Ce ne sont pas des choses qui sont extrêmement suivies, notamment par les ménagères. Ca fait qu'on a surperformé sur la saison précédente. Cette année, on avait une concurrence beaucoup plus dure, du divertissement, de la fiction française, des choses comme ça. Donc si on regarde juste les chiffres, ça a effectivement un peu baissé, mais vu ce qu'il y a en face, ça reste extrêmement performant. On est quand même quasiment toujours leader en ménagères, on a battu un record sur le premier épisode... Donc on est très satisfait.

Selon vous, quels ont été les meilleurs et les pires moments de la saison ?

Vu le nombre d'épreuves qui sont inventées pour les candidats, c'est sûr qu'il y en a des plus ou moins efficaces ou spectaculaires. Après, elles ne jouent pas toutes sur la même corde. Quand on fait la guerre des brigades, c'est une épreuve en plateau qui est assez forte en enjeux humains parce que les candidats sont en brigades, ils doivent s'aider les uns les autres, donc il y a beaucoup d'échanges entre eux. Après, quand on part en Norvège, on insiste sur autre chose. C'est pour parler d'une cuisine un peu émergente en ce moment, ça fait voyager et le téléspectateur et le candidat. Donc les choses sont difficilement comparables.

Mais du coup, pas de souvenir d'une épreuve particulière qui vous a surpris en bien, ou d'une qui vous aurait déçu ?

Moi j'ai beaucoup aimé l'épreuve avec le commis mystère, qui est très drôle, avec des animateurs de M6. On les a un peu maltraités une fois de plus, parce qu'on leur a fait travailler des abats. Ca surréagit un peu de partout et ça donne quelque chose de très drôle. Je trouve que l'humour est aussi un élément de "Top Chef". Après, des épreuves peut-être un tout petit peu trop sérieuses ou culinaires... Je pense à une épreuve où il fallait réinventer des plats classiques sous une forme imposée comme le hamburger ou la pièce montée... Ca n'a peut-être pas décollé autant qu'on l'avait voulu.

Ah bon ? Pourtant le burger tartiflette avait l'air très appétissant !

Ah, vous voyez ! Je pense que chacun vient chercher des choses extrêmement variées, c'est aussi ça, "Top Chef".

"Chaque saison, on essaie d'analyser la tendance gastronomique"

La ligne directrice de cette saison, c'était de cuisiner pas cher dans un contexte de crise. Vous êtes content de ce positionnement a posteriori ?

Oui. Enfin, ce n'est pas nous qui avons créé ça, on est juste raccord avec une tendance culinaire. Je pense que ça répondait à une réalité de la gastronomie aujourd'hui. Je trouve que c'était intéressant de positionner la saison comme ça. C'est une matière vivante, vous savez, la cuisine. C'est très volatil. Qu'on soit un peu en prise sur la réalité extérieure, je pense que c'est une bonne chose.

Du coup, vous pensez que ce genre de positionnement, de ligne directrice, est nécessaire pour la saison suivante ?

Chaque saison, on se pose cette question. On essaie d'analyser la tendance gastronomique du moment, pour voir si les lignes bougent, et on essaie de s'adapter à ces lignes.

Question un peu plus précise sur les épreuves principales de chaque épisode : souvent, on a pu remarquer que quand les candidats sont séparés en deux groupes, chaque épreuve n'envoie pas nécessairement le même nombre de candidats en dernière chance. Par exemple, si les candidats sont six, divisés en deux groupes de trois, les deux moins bons du premier groupe peuvent être sanctionnés, mais seulement un du deuxième. En termes d'égalité, est-ce qu'il ne faudrait pas y remédier pour l'année prochaine ?

Non... Dès qu'il y a des constitutions d'équipes, des groupes séparés, ce sont quasiment toujours des tirages au sort qui décident. Après, l'un dans l'autre, chaque épreuve est un petit peu bouclée comme une histoire à part entière. Il se trouve qu'un jour, vous pouvez avoir X% de chance d'aller en dernière chance et le lendemain deux fois moins. On ne tient pas les comptes. Et ce n'est pas nouveau, il y a toujours eu ça. On a déjà eu des épreuves à deux d'un côté, à six de l'autre. Chaque typologie d'épreuve a un enjeu différent avec des conséquences différentes. Si on allait dans l'équité numéraire absolue, on ferait 50 fois la même épreuve... Et si je pousse un peu, celui qui aura eu les abats, un produit imposé sur une, alors que l'autre aura eu un plat libre, on pourra aussi dire qu'il avait plus de chance de faire un truc bon.

"Si on généralisait la dégustation à l'aveugle, le jury existerait beaucoup moins"

Toujours dans cet esprit d'équité, pourquoi ne pas utiliser plus souvent les dégustations à l'aveugle ?

Le problème, c'est qu'on a besoin d'un décryptage de chef. Ca fait partie des promesses du programme aussi, d'avoir un décryptage, des astuces, des explications. Si c'est à l'aveugle, on ne peut pas avoir tout ça car les chefs ne voient pas les candidats travailler, ne savent pas ce qu'ils font et dégustent juste à la fin. Pour nous, c'était très important que les dégustations soient à l'aveugle quand une élimination est en jeu, pour ne pas que ce soit entâche du moindre parti pris. Après, dans les épreuves, ça fait partie du contenu qu'on propose, les conseils, les prises de position des chefs. On a besoin de cette matière-là. Sinon, on n'aurait pas de jury dans notre concours... Ca les ferait beaucoup moins exister.

Après, vous avez quatre chefs mais il n'y en a toujours que deux qui commentent au maximum... Vous pourriez faire goûter les deux autres !

Euh... Oui... Mais après, pour plein de raisons... Souvent, on a une épreuve extérieure et une épreuve en plateau, donc on divise nos jurés parce qu'on tourne le même jour. Donc ça nous poserait des problèmes logistiques d'avoir systématiquement nos quatre jurés sur la même épreuve.

Parlons de la finale. Vous avez laissé tomber le format tout en direct, que vous aviez essayé pour la saison 2. Mais cette année, le nom de la gagnante a été spoilé sur Twitter plusieurs jours avant la diffusion. Comment avez-vous réagi ?

Mal, évidemment. Tous les ans, on signe des contrats de confidentialité avec les gens qui ont cette information. Voilà, quelqu'un a mis un tweet. Je ne saurai jamais si c'était de la malveillance ou de la maladresse. A la limite, peu importe. Ca justifie en tout cas ce qu'on fait, c'est-à-dire de tourner la révélation cinq à six jours avant la diffusion de la finale, pour éviter ce genre de fuite. Mais vu le score qu'on a fait sur la finale, ça n'a pas empêché les gens de regarder le programme. Après, oui, je trouve ça dommage. Ca enlève un petit peu de sel pour les téléspectateurs qui regardent et qui ont envie de choisir leur camp et d'avoir la surprise de découvrir qui gagne.

"La révélation du gagnant en direct, un format qui ne nous plaît pas"

Du coup, pourquoi vous ne faites pas la révélation en direct ? C'est ce que font "Koh-Lanta" ou "Masterchef", par exemple. Ce n'est pas un format qui vous satisfait ?

Non, c'est un format qui ne nous plait pas. La puissance de "Top Chef", c'est sa post-production. C'est un programme extrêmement monté, avec une narration très forte, une dramaturgie dans chaque séquence, et c'est le montage qui donne ça. On a tenté une finale en direct il y a deux ans. Ca événementialise votre format, mais on préfère la facture montée.

Mais je parlais juste de la révélation, pas de l'émission en entier...

Oui oui, mais la révélation fait partie de l'émission. Si c'est juste pour rentrer en plateau, deux personnes qui tirent un couteau, un mec déçu, un mec heureux... Ca ne sert pas à grand-chose. C'est difficile de prendre l'antenne pour dix minutes de programme.

Parlons maintenant de l'incroyable "affaire des crevettes". Vous aviez anticipé que ça fasse réagir à ce point ?

Non, bien sûr ! Mais vous savez, des faits de match comme ça, vous en avez dans chaque saison. En saison 1, vous aviez Brice Morvant qui avait laissé brûler le beurre d'un concurrent. Ce sont des petites choses... Après, les gens ont beaucoup réagi à ça et on ne s'attendait pas à ce que ça prenne une telle ampleur ! Mais on est dans un concours, chacun a sa manière d'avancer, de faire ses plats. Jean Imbert était extrêmement winner et il ne faisait pas non plus de cadeau à ses concurrents.

"Je pense que le jury n'a pas vu le vol des têtes de crevettes"

Il y a quand même une différence entre laisser quelqu'un aller dans le mur, et le fait d'aller lui prendre des ingrédients, d'autant que Naoëlle avait elle-même réservé des ingrédients pour éviter que ses concurrents ne les utilise dans des épreuves précédentes...

Oui, sans doute.

Dans ce cas, pourquoi personne n'en a-t-il parlé ? Ni le jury, ni l'animateur, alors que, quelques semaines plus tôt, Florent avait été critiqué assez vivement par Jean-François Piège pour une attitude moins condamnable... En tant que téléspectateur, on aime ne pas être les seuls à être indignés et voir qu'au sein du programme, quelqu'un souligne aussi quand un candidat va trop loin...

Au moment du tournage, je pense que le jury ne l'a pas vu, n'a pas assisté à ça. Du coup, ils n'ont pas réagi, alors qu'effectivement ils avaient vu l'attitude de Florent. Evidemment, le montage fait une sélection d'un moment qui s'est passé, mais il y a une matière énorme quand on filme une épreuve. Il y a autant de candidats que d'épreuves, donc s'ils sont six sur une épreuve de deux heures, vous avez douze heures d'images. Je pense très honnêtement qu'ils ne l'ont pas vu. Après, rien ne stipule que c'est interdit.

Non, elle n'a pas triché au sens propre. Mais rien n'empêchait non plus Florent de laisser Valentin aller dans le mur...

Si les chefs avaient vu la séquence, peut-être qu'ils seraient intervenus pour aller parler à Naoëlle. Mais il n'y a pas eu d'entorse à un réglement ou autre. Mais Yoni l'a dit. Ils sont très amis dans la vie, c'est une vraie rencontre qui s'est passée sur le tournage, et en fait, les quelques têtes de crevettes que Naoëlle a prises à Yoni ne l'ont pas du tout pénalisé sur sa recette. Mais l'histoire ne le dit pas quand c'est monté.

La version de Naoëlle et Yoni, c'est d'ailleurs qu'elle lui a demandé après, mais qu'on ne l'a pas vu... C'est une décision de montage ?

Non... En fait, ça c'est fait a posteriori. Elle est allée prévenir Yoni, elle lui a dit "Je t'ai pris quelques têtes de crevettes tout à l'heure", il a répondu "Pas de problème". Mais comme ça s'est fait un peu après la bataille, c'était très compliqué à raconter dans ce sens-là. Ca aurait fait une espèce de petite verrue qui arrivait à la fin, pour expliquer quelque chose qui s'était passé avant... Ce n'était pas montable.

"Il faut avoir des idées pour remplir 2h30 de programme"

Parlons aussi d'un sujet qui revient très souvent à propos de "Top Chef", c'est la durée du programme. On est bien conscient, parce que Stéphane Rotenberg le répète en interview, qu'il y a un public qui ne vient qu'en deuxième partie de soirée. Mais si vous demandez à 1.000 personnes si elles trouvent que "Top Chef" est trop long, on peut imaginer que 95% vous répondront "oui"...

Absolument. Mais après, ce sont les audiences qui parlent. Je le vois avec ma propre mère, qui à chaque fois me dit "C'est drôlement bien mais qu'est-ce que c'est long". Je lui dis "Tu es restée jusqu'au bout ?" et elle me répond "Oui, mais je me suis couchée tard". Donc ça veut dire que le programme reste efficace. Il y a tellement de matière qu'on a ce qu'il faut pour faire la durée de ces épisodes. Si on a la matière et que l'audience suit, il n'y a aucune raison de faire plus court. J'entends le fait que c'est trop long pour certains. Après, les programmes aujourd'hui, on rentre, on sort... Il y a des gens, après avoir regardé la concurrence, quand ils arrivent sur M6 et qu'ils voient qu'il y a encore une épreuve de "Top Chef", ça leur fait plaisir et ils profitent du programme.

Vous dites que vous avez de la matière, mais vous en créez spécifiquement pour que ça dure aussi longtemps. Il y a des épreuves artificiellement rallongées qui n'apportent pas grand-chose à part du temps d'antenne en plus...

Bien sûr ! Notre objectif, c'est de fabriquer un programme de 2h30. C'est la différence entre notre adaptation et la formule américaine, où les épisodes durent 50 minutes. Là où eux ont deux épreuves, nous on en a mis quatre et on les remplit avec des mécaniques, avec toute une série de choses. Il faut avoir des idées pour remplir.

"La durée du programme ne décourage pas les gens"

Ca ne se mesure pas, mais est-ce que vous ne pensez pas que, au bout de quatre ans, cette durée excessive peut décourager les gens ? Est-ce que vous pensez que ça a pu jouer dans les 500.000 téléspectateurs que vous avez perdus sur un an ?

Pas du tout. C'est ascendant. A l'exception de la saison 3 où on a surperformé, on fait plus qu'en saison 1 et en saison 2...

... Vous faites un peu moins qu'en saison 2 ! Vous êtes à 3,7 millions sur la saison 4, contre 3,8 millions en saison 2.

Oui. Enfin, à 100.000 près...

Oui, c'est peu mais ce n'est pas ascendant.

En effet. Mais c'est stable ! Donc les gens reviennent.

Donc pas d'effet décourageant selon vous...

Non non.

Ce soir, Naoëlle et Jean s'affrontent dans un combat des chefs. Pourquoi juste entre ces deux candidats-là ?

Romain Tischenko et Stéphanie Le Quellec se sont affrontés il y a deux ans, déjà. Le principe du "Choc des champions", c'est le gagnant face au sortant. On fait affronter les Top Chef entre eux.

Vous n'avez pas peur du direct ?

Non, parce qu'on le maîtrise quand même. D'abord, on l'a déjà fait puisqu'on a fait un "Choc des champions" il y a deux ans. Et pour le coup, contrairement à ce que je disais tout à l'heure, on sort du format, c'est comme une émission spéciale. "Top Chef" est terminé. On a le vainqueur "Top Chef" 2013, c'est Naoëlle. On a besoin d'une émission supplémentaire et pour le coup, on l'événementialise en la faisant en direct. L'histoire est racontée différemment.

"Un Top Chef all-stars, pour le moment, non"

Est-ce que, dans un coin de votre tête, il y a déjà l'idée d'un "Top Chef" all-stars ?

Pour le moment, non. Ce qui se passe, chaque saison, c'est qu'on fait revenir des anciens. On a une épreuve nouveaux contre anciens, on a fait revenir Jean Imbert, en saison 3 on était retourné chez Stéphanie Le Quellec. On se sert des personnalités fortes comme un réservoir éditorial, ce qui fait qu'il peut y avoir des interactions avec les uns et les autres. Mais un "Top Chef" all-stars, pour le moment, non.

Comment vous voyez la multiplication des formats de cuisine ? On pensait qu'on avait tout vu et aujourd'hui on a les meilleurs pâtissiers sur la Six mais aussi sur France 2... Vous pensez qu'à moyen terme, ça peut causer une lassitude ?

C'est l'éternelle question... Pour le moment, les programmes de cuisine sont populaires. Je pense qu'ils correspondent à quelque chose d'extrêmement rassurant dans une situation morose. La nourriture reste une valeur refuge universelle. Après, je crois que les programmes de cuisine peuvent coexister dans la mesure où ils racontent une histoire différente. Si vous prenez "Cauchemar en cuisine", "Le chef en France", "Un dîner presque parfait", "Top Chef"... On est à chaque fois dans des couleurs de programmes très différentes. Ca commence à se marcher dessus quand il y a plusieurs programmes qui racontent la même chose, et ça peut lasser les gens. En vrai, au moment où on se parle, les audiences restent bonnes sur tous ces programmes, donc ça ne lasse pas encore. Mais je pense que la cuisine n'est pas éternelle. A un moment donné, les gens auront envie qu'on leur raconte d'autres histoires.

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