C'est ce que l'on appelle une arrivée en fanfare. Après six mois de rebondissements, entre partie de poker menteur et jeu du chat et de la souris, Elon Musk a fini, en échange d'un chèque d'un montant exubérant de 44 milliards de dollars, par prendre les commandes de Twitter dans la nuit du 27 au 28 octobre dernier (heure française). Une arrivée remarquée à l'image de la stratégie de communication tous azimuts de l'imprévisible patron de Tesla et SpaceX, prompt à réagir en 280 caractères face à l'adversité.
Les employés de Twitter ont été les premiers à payer les pots cassés de l'irruption d'Elon Musk dans la vie de la société basée à San Francisco. "Environ 50% du personnel va être affecté" par des licenciements, soit environ 3.750 sur 7.500, a écrit, hier, la direction de la société dans un document certifié par l'AFP. Les employés du réseau social concernés par la vague de licenciement l'ont appris dans un mail au ton laconique...
La veille, jeudi 3 novembre, dans un autre mail révélé par le "Washington Post", la société justifiait sa décision en ses termes : "Nous reconnaissons qu'un certain nombre d'individus qui ont réalisé des contributions notables à Twitter vont être affectés, mais cette action est malheureusement nécessaire pour assurer le succès de l'entreprise à l'avenir".
Face aux critiques, dans la nuit du 4 au 5 novembre, Elon Musk a tweeté qu'il n'y avait pas "d'autre choix lorsque une entreprise perd plus de 4 millions de dollars par jour" et que "toutes les personnes licenciées sont parties avec 3 mois d'indemnités de départ, soit 50% de plus que l'obligation légale".
Une compensation bien maigre pour les employés licenciés. Certains d'entre eux comme Taylor Leese, directeur d'une équipe d'ingénieurs, ont dénoncé "une farce et une honte". Des sbires de Tesla prennent des décisions sur des gens dont ils ne savent rien à part le nombre de lignes de codes produites. C'est complètement absurde". Plusieurs cadres de l'entreprise ont été limogés, à commencer par le PDG Parag Agrawal, qui a tenu tête à Elon Musk, comme le souligne "Le Figaro" dans un portrait consacré à l'ingénieur indien, obligeant le milliardaire à surpayer le réseau social.
Ce plan d'économies, qui va jusqu'à proscrire le télétravail dès le 7 novembre, a des conséquences sur le plan social dans le monde entier. Contacté par puremedias.com, ce vendredi afin de dresser un état des lieux des conséquences des décisions d'Elon Musk pour les salariés de Twitter France, Damien Viel, directeur général de la firme dans l'Hexagone, n'a pas donné suite à nos sollicitations. "Soyons fiers de tout ce que nous avons fait et comment l'avons fait", a-t-il toutefois tweeté ce vendredi 4 novembre.
Outre des économies, Chief Twit cherche aussi de nouvelles sources de revenus. Si une option permettant de proposer des vidéos payantes serait à l'étude, comme décision cardinale, Elon Musk a décidé de faire payer 8 dollars par mois (8,08 euros par mois) les utilisateurs en possession d'un compte certifié - et qui souhaiteraient le rester - ainsi que les prétendants à la coche bleue.
Cette fonctionnalité, dans l'esprit d'Elon Musk, serait intégrée au sein de Twitter Blue, un service d'abonnement mensuel facultatif jusque-là et dont le coût est de 4,99 euros par mois aujourd'hui. "Le système actuel de seigneurs et paysans de Twitter pour qui a ou non une coche bleue, c'est des conneries. Le pouvoir au peuple ! Blue pour huit dollars par mois", a tweeté, mardi 1er novembre, le fantasque homme d'affaires.
Cette annonce a valu au milliardaire moult altercations. Stephen King, roi de l'épouvante, a pesté le 31 octobre - hasard du calendrier - contre cette décision. "20 dollars par mois pour conserver ma certification ? Et puis quoi encore, ils devraient plutôt me payer", s'est-il emporté. Ce jour-là, la somme de 20 dollars par mois était encore une hypothèse évoquée par la presse américaine. Elon Musk lui avait alors proposé une alternative. "Nous devons payer les factures d'une manière ou d'une autre ! Twitter ne peut pas compter entièrement sur les annonceurs. Que diriez-vous de 8 dollars ?".
Cette formule d'abonnement, dont le but est de générer des revenus et permettre à Twitter d'être rentable, a été retenue. Mais selon des documents internes relayés ce vendredi 4 novembre par le journaliste tech de BFMTV, Raphaël Graby, "le badge de certification ne certifiera rien du tout puisqu'il n'y aura pas de contrôle d'identité. C'est ce qu'on appelle, en termes techniques, un énorme foutage de gueule", a-t-il estimé.
À peine avait-il pris le contrôle de la société que celui qui se présente comme le chantre de la liberté d'expression a annoncé qu'il comptait doter le réseau social d'un "conseil de modération des contenus avec des points de vue très divers". Autrement dit d'assouplir les règles de modération des contenus malgré le risque de voir circuler une grande part de contenus de propagande ou de désinformation.
Selon la presse américaine, relate "Le Monde", l'équipe Trust and Safety (confiance et sécurité) du réseau social, chargée de lutter contre la désinformation, les messages haineux et le harcèlement, a vu ses capacités extrêmement réduites. Et ce, à deux ans de l'élection présidentielle américaine. Le milliardaire n'a pas apaisé les doutes en relayant, le 30 octobre, une fausse information, ce qui n'a pas échappé au "New York Times". "C'est faux. Je n'ai pas tweeté un lien venant du 'New York Times !'", a répliqué Elon Musk, sous-entendant que le quotidien américain postait régulièrement de fausses informations.
La Fédération internationale des journalistes s'était inquiétée en avril, au moment de l'annonce du rachat de Twitter par Elon Musk, que les décisions prises par le Sud-Africain puissent menacer la liberté de la presse. Elle alertait sur les dangers pour la protection de nombreux journalistes et de sources à travers le monde si l'anonymat devait être levé et s'inquiétait de la diminution de la modération et la réglementation sur la plateforme. Selon elle, cette mesure pourrait augmenter les théories du complot et la désinformation.
Le climat de défiance instauré par Elon Musk pourrait toutefois coûter cher à Twitter, dans sa quête de rentabilité. Plusieurs marques comme Cheerios, Häagen-Dazs, Audi ou Oreo ont mis fin, depuis l'arrivée d'Elon Musk à a tête de Twitter, à leur campagne de publicité en ligne sur le réseau social.
"Twitter fait face à une chute massive de revenus à cause de groupes d'activistes mettant la pression sur les annonceurs, bien que les règles de modération n'aient pas été modifiées et que nous ayons fait tout ce que nous pouvions pour calmer ces activistes. C'est très dommage! Ils essaient de détruire la liberté d'expression aux Etats-Unis", en a conclu Elon Musk.
Olivier Tesquet, journaliste à "Télérama" et auteur de "Etat d'urgence technologique", résume le raisonnement d'Elon Musk de la façon suivante : "En fait, le problème de Musk, c'est qu'il confond liberté d'expression et droit à être entendu, ou qu'il mélange la conversation publique - nécessairement civilisée au moyen de règles - et la vente à la criée d'idées contraires, ou la prime est à celui qui braille le plus fort".