Chaque semaine, retrouvez "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5. Julien Bellver, co-rédacteur en chef de puremedias.com et chroniqueur dans "Médias le mag" le dimanche à 12h35 interroge une personnalité des médias toutes les semaines. Pour ce 32e numéro, Julien Bellver reçoit Loïc Prigent, réalisateur de "Habillé(e)s pour l'hiver", dimanche à 22h35 sur Canal+, et auteur de magnétos dans "Le Supplément" chaque dimanche.
Vous l'avez droguée avant le tournage, Mademoiselle Agnès ?
Elle est naturellement comme ça, et elle est tout le temps comme ça !
C'est un peu l'anti-Anna Wintour, non ? Hyper accessible, hyper souriante...
Anna Wintour est assez souriante ! En fait, quand vous la voyez dans les défiles elle est dans une espèce de bulle qui la protège des mille caméras qui veulent l'interviewer, du coup il y a ce côté très, très glacial. Mais une fois qu'elle vous a repéré, elle est plutôt très sympa.
Sa folie et vos commentaires, c'est aussi une manière de montrer tous les deux que vous ne prenez pas ce sujet totalement au sérieux ?
On le prend assez au sérieux en fait. Mais on le prend tellement au sérieux qu'on s'en moque ! C'est une espèce de cercle infernal.
Qui est le plus connu dans les coulisses des défilés, vous ou elle ?
C'est Agnès, quand même !
Elle est hyper connue du milieu ? Vous, on vous reconnaît ?
Je commence à traîner dans les parages... Mais c'est elle qui est emblématique, au premier rang.
Ce qui est marquant dans votre doc, c'est de voir que la plupart des grands noms du luxe ont perdu leur créateur star. Raf Simons a démissionné de Dior, Alber Elbaz a quitté Lanvin, Hedi Slimane a lâché Saint-Laurent. En prêt-à-porter, le rythme est devenu insupportable pour ces artisans ?
Je crois que ça n'a rien à voir. Dior avait ajouté un second studio pour Raf Simons, il devait produire beaucoup mais il avait l'outil à sa disposition. Je ne pense pas que le problème soit la surproduction, même s'il y a un problème de surproduction
Le rythme n'est pas pire qu'il y a quelques années ?
Le rythme est complètement dingue ! Il a été multiplié par dix, mais les recettes ont été multipliées par dix, les salaires aussi... Le créateur qui signe sait sur quoi il s'engage.
Combien il y a de défilés par an ?
Il y a deux défilés de haute couture, deux défilés de prêt-à-porter par an pour une maison. Il y a parfois des maisons qui ont aussi deux défilés pour le prêt-à-porter masculin. Après vous avez les collections croisières, les prix collections, les collections capsules... Je pense que si vous bossez bien, vous pouvez en avoir 24 ! La Fashion Week, c'est tout le temps. Pourquoi s'arrêter ?
Il y a une séquence dingue dans votre sujet, la plus marquante : un buffet, des mannequins et quelques feuilles de persil. La mode aime toujours autant les corps décharnés... ?
Oui, c'est vraiment assez dingue. C'est un sujet tabou. C'est très difficile de leur en parler, ils refusent d'en parler. Les mannequins mangent des bouts de persil. Et quand elles s'aperçoivent qu'on les filme, le réflexe n'est pas "Non, ne me filmez pas !", c'est "Attention, mon booker va me voir en train de manger !".
Pourtant, la loi a changé...
Mais la mode s'en fout des lois. La mode, c'est l'image.
Il n'y a pas de sanctions ?
Il devrait y en avoir, je pense. Mais non, il n'y en a pas vraiment, pour l'instant en tous cas. D'où vient le diktat ? C'est ça la question ! Pourquoi y a-t-il cette espèce de désir d'un mannequin qui fait deux mètres, qui n'a pas de seins - quand elles en ont, souvent, on leur met un bandeau pour les écraser. On a cette nouvelle dictature d'un corps très échange, qui ne correspond pas à la réalité en plus.
Ca peut changer ?
Evidemment ! Ce sont des espèces de constructions mentales qui vont durer quelques saisons, et après on va passer à autre chose. C'est une névrose.
Karl Lagerfeld vous surnomme le Médiapart de la mode. Ca veut dire quoi ?
Je ne sais pas vraiment, je ne suis pas abonné à Médiapart !
C'est parce que vous êtes un journaliste un peu intrusif dans ce milieu-là ?
Je n'ai pas la prétention... J'ai l'impression que Médiapart fait des investigations... Je ne crois pas avoir le mérite qu'ils ont. Je n'ai pas la carte de presse. Je ne suis pas vraiment un journaliste d'investigation.
Et vous n'avez pas la moustache d'Edwy Plenel !
Non, j'aimerais bien...
C'est ringard la moustache ou c'est toujours à la mode ?
Non, c'est bien !
Vous réalisez aussi des films pour des marques et des créateurs. Récemment pour Alexandre Mattiussi. Est-ce qu'on peut être ami avec la marque AMI tout en gardant un regard critique ?
C'est un exercice difficile mais on peut, tout à fait. Quand on travaille ensemble, la marque a un droit de regard, mais c'est plus moi qui propose une vision de leur travail. C'est assez intéressant à faire, surtout avec lui, qui fait un travail qui me plait bien. Je ne me retrouve pas à faire des choses indignes...
Vous tweetez beaucoup les verbatims de ce que vous entendez lors des défilés auxquels vous assistez. Vous savez combien de followers vous avez ?
180.000 je crois.
Ce que vous tweetez est très drôle, toujours très partagé. Tout est vrai, ou il y a une part de création ?
Tout est vrai ! Il y en a qui disent "malheureusement"... Il y en a que je prononce moi-même, mais c'est quand même vrai, puisque ça a été prononcé !
On vous a déjà proposé d'adapter ce compte Twitter en livre, en série... ?
Oui, il y a eu des propositions. Mais j'aime bien que ça reste désincarné. J'avais des propositions et j'ai dit non à tout, sauf si c'est Catherine Deneuve qui les lit. Et du coup, elle a accepté ! Donc on s'est retrouvé à filmer Catherine Deneuve interprétant les tweets sur Arte, à la rentrée prochaine pendant les défilés de mode. C'est dingue !
On finit avec une interview "Sexy Demain", du nom de votre magnéto avec Willy Papa sur Canal+ le dimanche. Emmanuel Macron qui lance son mouvement, "En marche". Sexy demain ?
On ne fait jamais de personnages français, figurez-vous !
Est-ce qu'il joue de son look ?
Je l'ai vu sur une photo où sa femme était en Vuitton, avec un sac Vuitton. Ca m'a beaucoup étonné à un moment où on se présente, où on présente des idées... C'est un geste très très fort, enfin, dans mon cerveau à moi !
Ces grandes marques comme Dolce & Gabbana qui font du voile un accessoire de mode ? Sexy demain ? Pierre Bergé dit que c'est "une prison" Pierre Bergé...
C'est la religion, donc je n'ai pas d'avis sur la religion. Je m'intéresse à la mode. Dolce & Gabbana ont pillé toutes les églises de Sicile depuis des années. Il n'y a pas un autel, un ex voto qu'ils n'ont pas transformé en bijou donc c'est un peu paradoxal qu'ils s'intéressent au voile...
Canal+ sans "Le Petit Journal". Sexy demain ?
Ah non !
Vous êtes inquiet pour l'avenir de cette émission ?
Pas vraiment.
Canal+ sans " Le Supplément ", émission à laquelle vous participez ?
Je ne sais pas du tout. Je ne suis pas du tout dans ce circuit de raisonnement...
Vous pourriez vous retrouvez dans la nouvelle émission culturelle "Stupéfiant !", produite par Bangumi ? La mode, c'est culturel...
Oui, bien sûr !