Il en a fait sa signature. Jean-Pierre Elkabbach, mort ce mardi 3 octobre 2023 à l'âge de 86 ans, avait plus d'un tour dans son sac pour déstabiliser les personnalités politiques qu'il interviewait à la télévision – CNews fut son dernier employeur – et à la radio, notamment sur Europe 1. puremedias.com vous propose un florilège – évidemment non exhaustif et dans un ordre subjectif – des punchlines restées dans les mémoires de celui qui était aussi proche et fasciné par le pouvoir.
Pour marquer les esprits, l'intervieweur soignait tout particulièrement la question inaugurale de ses entretiens. "Il disait 'Il faut surprendre sur la première question, mais aussi sur la deuxième'", s'est remémorée Léa Salamé ce mardi. André Vallini est resté ainsi bien malgré lui dans les annales radiophoniques. Le secrétaire d'État à la Réforme territoriale est resté circonspect, ce matin du 13 mai 2014, après une entrée en matière déroutante de l'intervieweur.
"Quelle couleur vous préférez pour le mur ?", a débuté Jean-Pierre Elkabbach. "Pour le mur, quel mur ?", lui a rétorqué celui qui occupe aujourd'hui un siège au palais du Luxembourg. Impassible, Jean-Pierre Elkabbach de s'étonner : "Comment quel mur ? Le mur contre lequel votre réforme territoriale va se fracasser".
Cet échange éphémère est resté mythique à tel point qu'André Vallini, près de dix ans après cet échange, en a fait état dans son hommage au journaliste. "Cher Jean-Pierre Elkabbach, nous ne saurons jamais de quelle couleur était le mur ! Grande tristesse après la disparition de cette légende du journalisme politique...", a ainsi écrit l'élu isérois sur X ce mardi. Il a d'ailleurs été invité à répondre à la même question ce mercredi 4 octobre 2023 dans le "12/13 info" de Émilie Tran Nguyen sur Franceinfo.
Même soin apporté à la première question lors d'une interview de Marine Le Pen, toujours sur l'antenne de la station qui appartenait encore au groupe Lagardère. "Bonjour Marine Le Pen, vous n'avez pas honte ?!", attaque ainsi le "clasheur" Jean-Pierre Elkabbach le 12 janvier 2015, sans préciser de quoi il parle. "Pardon ? Honte de quoi ?", lui rétorque Marine Le Pen.
"Vous n'avez pas de regret ?" poursuit l'intervieweur d'Europe 1 comme si de rien n'était. "De quoi me parlez-vous ?", finit par demander, agacée, la leader du Front national. "Je vous reconnais bien là dans la provocation", enchaîne-t-elle. Avant que Jean-Pierre Elkabbach, le sourire aux lèvres, explique qu'il faisait référence au rassemblement post-attentats du 11 janvier auquel Marine Le Pen n'avait pas participé. Et d'ajouter : "Le monde entier était à Paris hier, c'était au-delà de l'Union nationale, l'Union européenne, l'Union planétaire pour lutter contre le terrorisme. Une sorte de rassemblement et les démocrates se sont passées de vous parce que vous n'y étiez pas".
Le 9 septembre 2014, c'était au tour de Gérald Darmanin d'être victime d'une question désarmante de Jean-Pierre Elkabbach. Invité d'Europe 1, le responsable Les Républicains à l'époque s'est vu demander ce que faisaient ses parents dans la vie. Expliquant que sa mère était toujours femme de ménage, le jeune député-maire de Tourcoing inspire alors cette relance à l'intervieweur : "Et vous la laissez être femme de ménage ?". "Je trouve que cette question est un peu indécente", répond Gérald Darmanin.
Fin 2016, Jean-Pierre Elkabbach participe avec son style direct au débat qui réunit les prétendants à l'investiture des Républicains pour la présidentielle de 2017. Dans un élan de franchise, et sous les rires de l'ensemble des concurrents, le journaliste lance à l'attention de Bruno Le Maire : "Pourquoi ça ne fonctionne pas alors avec vous ?", se demande Jean-Pierre Elkabbach au vu des prédictions pessimistes des sondages en ce qui le concerne.
"Qu'est-ce qui vous dit que ça ne va pas fonctionner ? Vous connaissez déjà le résultat de dimanche ?", réplique l'intéressé. "On en reparlera lundi matin", l'interrompt Jean-Pierre Elkabbach. "Monsieur Elkabbach. Je suis candidat à la primaire, ça mérite tout simplement le respect de votre part", s'emporte Bruno Le Maire. Et de glisser : "Je n'ai pas à recevoir de leçons de votre part sur ma candidature".
Jamais avare d'un petit mépris moqueur, Jean-Pierre Elkabbach avait décidé d'en donner une petite dose à Fleur Pellerin le 20 mai 2015. Alors ministre de la Culture, cette dernière avait été épinglée pour ne pas avoir su citer un livre de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature.
"Il paraît maintenant que vous lisez ?", glisse Jean-Pierre Elkabbach, un brin perfide, en fin d'interview. "Qu'est-ce que ça veut dire ?", lui rétorque Fleur Pellerin, se défendant une nouvelle fois sur cette affaire. "Je veux vous offrir les deux dernières Pléiade", lui lance alors son intervieweur en lui montrant deux livres. "Je n'aime pas cette espèce d'approche un peu méprisante", relève, agacée, la ministre de la Culture. "Ce n'est pas du tout méprisant. Moi, j'aime beaucoup la culture et la lecture", précise Jean-Pierre Elkabbach, avant de faire la publicité de son émission "Bibliothèque Médicis" sur Public Sénat.
Au tour de Benoît Hamon de passer dans la lessiveuse Elkabbach le 18 octobre 2016. Invité sur Europe 1, l'intervieweur lui lance à partir de 2'55 : "Bientôt vous allez obtenir la victoire que vous attendez depuis longtemps ?". "Laquelle ?", demande le candidat à la primaire du Parti socialiste. "La victoire de la droite. Parce que vous êtes très actif pour réussir la défaite de votre camp", précise le serial-clasheur Jean-Pierre Elkabbach dans son style tout particulier. Avant de moquer la candidature de son invité : "Qui va penser, même en rêve, que Benoît Hamon peut être président de la République ?".
Mais le meilleur était à suivre avec une dernière question de Jean-Pierre Elkabbach sur "Une ambition intime", l'émission de Karine Le Marchand. "Vous venez de refuser de vous asseoir, vous, sur le canapé de Karine Marchand (sic) sur M6 alors que la plupart sont allés dire : 'Papa, maman, ma première masturbation c'était à tel âge'. Qu'est-ce qu'elle vous a proposé à vous ?".
Bonus. Jean-Pierre Elkabbach a été l'un des animateurs de soirées électorales sous la Ve République mais aussi d'émissions politiques dans les années 1970 et 1980. Avec Alain Duhamel, il a, à ce titre, interviewé Georges Marchais dans "Cartes sur table" en 1980. Un entretien très accroché avec l'homme fort du Parti communiste de l'époque a été relayé ces dernières heures. "Vous n'arrivez pas à mettre dans votre petite tête que moi aussi, j'ai un cerveau", avait lâché Georges Marchais à Jean-Pierre Elkabbach sous les applaudissements. Le journaliste de sermonner le public : "Une minute : je voudrais dire, parce que vous avez pas mal d'amis ici, que nous ne sommes pas au music-hall. Alors, s'il vous plaît, les applaudissements, c'est pour d'autres émissions. Merci".
"Compagnon de route de la Ve République, Jean-Pierre Elkabbach aura marqué l'histoire médiatique de notre pays. Ses échanges mythiques avec Georges Marchais resteront gravés. J'ai apprécié, à mon tour, ses interviews, toujours respectueuses", a écrit Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste.