Des dirigeants sceptiques et inquiets. Les quatre grands patrons de l'audiovisuel privé ont accordé ce jeudi une interview commune au "Figaro" alors que le projet de loi de réforme de l'audiovisuel doit être présenté en conseil des ministres le mois prochain, avant son examen à l'Assemblée nationale et au Sénat en début d'année prochaine. L'ambition du texte porté par le ministre de la Culture, Franck Riester, est de trouver un plus juste équilibre entre les acteurs historiques français et les nouveaux entrants, les plateformes de vidéo à la demande.
Les acteurs du privé ont déjà obtenu plusieurs concessions de la part du gouvernement avec la possibilité dès le mois de janvier de programmer un troisième écran publicitaire lors de la diffusion des films et téléfilms de plus de 120 minutes ou le fait de pouvoir à l'avenir diffuser de la publicité segmentée et géolocalisée.
Néanmoins, à en croire Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6, Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+ et président de l'Association des chaînes privées, Gilles Pélisson, PDG de TF1, et Alain Weill, PDG d'Altice France, la réforme ne va pas assez loin en particulier à l'égard des plateformes telles que Netflix, Amazon Prime Video ou le futur Disney+. Les grands patrons, qui ont demandé à être reçus par le Premier ministre pour évoquer cette question, se posent dans les colonnes du "Figaro" en "défenseurs de l'exception culturelle française".
"Ces plateformes (...) peuvent pénétrer directement dans les foyers français, sans obligations", regrette ainsi Gilles Pélisson pour qui, "malgré les déclarations du gouvernement, la promesse de simplification n'est pas au rendez-vous. C'est même tout le contraire, puisque la réforme aboutit à un choc de complexité". Pour Alain Weill, "la bonne nouvelle de cette loi est pour les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon, ndlr). Qu'il s'agisse du cinéma ou de la publicité adressée, ils ne seront pas gênés par les chaînes de télévision françaises qui ne récupéreront que les miettes". "Ces acteurs ont l'habitude de contourner des règles qui pourtant semblent être acquises", pointe par ailleurs Nicolas de Tavernost, peu convaincu par les futures obligations auxquelles seront soumis les acteurs du numérique, comme le quota d'oeuvres européennes à respecter ou une taxe sur leur chiffre d'affaires pour financer la création d'oeuvres françaises.
L'autre principal motif de mécontentement provient des futures relations entre producteur et diffuseurs qui seront, à en croire les dirigeants de l'audiovisuel, toujours aussi déséquilibrées à l'avenir. "Nous, les chaînes de télévision, avons l'impression d'être considérées comme de simples réceptacles à obligations, voire pire, des banques auxquelles l'on ne rembourserait ni le capital ni les intérêts, puisque nous n'avons aucun droit sur des oeuvres que nous finançons en quasi-totalité", déplore Maxime Saada.
"Si l'on veut donner la possibilité aux groupes audiovisuels français de se renforcer, il faut accepter qu'ils puissent être mieux intégrés dans la production. Notre situation est unique au monde", souligne pour sa part Nicolas de Tavernost qui souhaite voir les chaînes de télévision pouvoir produire "dans les mêmes conditions que les plateformes". Le cas échéant, selon lui, "ce qui est financé par les GAFA appartiendra toujours aux GAFA. Et ce que nous finançons appartiendra aussi aux GAFA". Et le patron du groupe M6 d'avancer son argument favori en conclusion pour convaincre du bien-fondé de la démarche : "Les médias français ne réclament rien d'exorbitant et surtout aucune mesure qui coûterait de l'argent à l'État".