Le ticket journalistique qui animera le débat d'entre-deux-tours de la présidentielle 2022 enfin confirmé. Aujourd'hui, TF1 et France 2 ont annoncé officiellement que Gilles Bouleau et Léa Salamé interrogeront Emmanuel Macron et Marine Le Pen le mercredi 20 avril à partir de 21h sur TF1 et France 2. Le présentateur du "20 Heures" de la Une et la présentatrice d'"Elysée 2022" sur la Deux se connaissent déjà pour avoir mené tous les deux l'interview présidentielle du 14 juillet 2020.
Après une campagne de premier tour percutée par la guerre en Ukraine et marquée par le peu (pour Marine Le Pen) voire l'absence (pour Emmanuel Macron) de débats entre candidats, la soirée du 20 avril s'annonce déjà comme le point d'orgue de cette présidentielle.
Pour en savoir plus sur les coulisses de son organisation, puremedias.com a interrogé Thierry Thuillier, le directeur de l'information de TF1. L'occasion de revenir avec lui sur l'éviction d'Anne-Sophie Lapix du dispositif, la scénographie attendue le 20 avril, sans oublier les éventuelles exigences des deux candidats.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Gilles Bouleau a-t-il toujours été votre premier choix ?
Thierry Thuillier : Oui, dans la mesure où le cahier des charges que nous nous sommes donnés avec France Télévisions, était d'avoir un tandem paritaire. S'il s'agissait d'une femme du côté de France 2, cela devait être Gilles Bouleau chez nous. Si cela avait été une homme, cela aurait été Anne-Claire Coudray pour TF1. C'était pour moi une évidence et ces choix n'ont pas été soumis à l'approbation de France 2 et des candidats.
Anne-Claire Coudray aurait-elle été validée par les deux candidats quand on sait que Marine Le Pen s'était opposée à sa participation au débat d'entre-deux-tours de 2017 ?
Je le pense. Anne-Claire a fait une magnifique campagne présidentielle. Elle a réalisé beaucoup d'interviews, notamment dans son "Partie de campagne" le dimanche soir sur TF1. Elle a aussi fait une très belle prestation aux côtés de Gilles Bouleau le 14 mars dernier en prime time ("La France face à la guerre", avec huit candidats à la présidentielle, ndlr). Concernant sa relation avec Marine Le Pen, je ne pense pas qu'il y ait un sujet. Marine Le Pen a accepté plusieurs fois et sans réserve d'être interviewée par Anne-Claire Coudray durant cette campagne. Plus largement d'ailleurs, nous avons reçu sur TF1 les 12 candidats de cette présidentielle, ce qui n'a pas été le cas partout.
"Plusieurs hypothèses ont été évoquées par France 2 pour l'animation de ce débat : Léa Salamé mais aussi Anne-Sophie Lapix"
Votre homologue de France Télévisions, Laurent Guimier, a affirmé hier au "Figaro" que le nom de Léa Salamé avait été proposé "dès le départ" et pas celui d'Anne-Sophie Lapix. Vous confirmez ?
Plusieurs hypothèses ont été évoquées par France 2 : Léa Salamé mais aussi Anne-Sophie Lapix. France 2 a ensuite fait son choix souverainement et nous n'avons pas à le discuter.
Anne-Sophie Lapix, a été publiquement récusée par l'équipe de Marine Le Pen. Celle d'Emmanuel Macron s'est-elle également opposée à sa participation au débat de mercredi ?
Très honnêtement, je ne sais pas. C'est davantage à France Télévisions qu'il faudrait poser cette question.
Cette récusation d'une journaliste n'est-elle pas choquante ? Ne pouviez-vous pas vous y opposer ?
D'un point de vue des principes, je pense qu'on devrait faire confiance aux médias pour désigner les journalistes. N'importe quel journaliste doit pouvoir faire les interviews et toutes les questions doivent pouvoir être posées. C'est la règle d'or de la liberté d'expression et de la presse. Je ne peux cependant pas m'opposer à un choix de France 2, non. Encore une fois, je ne connais pas les tenants et les aboutissants de cette affaire, n'étant pas chez France Télévisions.
"Le débat durera au minimum 2h30"
Gilles Bouleau a déjà assuré une interview présidentielle le 14 juillet 2020 avec Léa Salamé. C'est un avantage pour mercredi soir ?
Oui car cela s'était très bien passé entre eux. Léa et Gilles sont deux grands professionnels. Ils se connaissent, s'apprécient et se respectent. Ca ne peut que bien se passer.
Où sera organisé le débat de mercredi ?
A la Plaine Saint-Denis, dans un studio qui s'appelle le Lendit. Il s'agit du même que celui utilisé pour notre émission politique de prime-time le 14 mars dernier.
Combien de temps durera-t-il ?
2h30 environ, au minimum. Il y a cinq ans, le débat d'entre-deux-tours avait duré près de 2h40. Ce sera le grand débat décisif de cette présidentielle avec beaucoup de thèmes à aborder. Il faudra donc se donner du temps.
Quels thèmes justement comptez-vous aborder au cours de cette soirée ?
Il y en aura beaucoup. Il faut encore que nous les affinions avec France Télévisions. Je pense pouvoir déjà affirmer que le pouvoir d'achat occupera une place centrale, tout comme le thème de la transition écologique et du changement climatique. La souveraineté de la France sera aussi abordée longuement, qu'il s'agisse de l'économie ou de la géopolitique, avec la guerre en Ukraine.
"Nous n'aurons pas une table unique mais trois desks et il n'y aura pas de public"
La scénographie du débat évoluera-t-elle ?
Je préfère rester prudent sur ces sujets car ils sont encore en discussion. Ce que je peux déjà vous dire, c'est que nous n'aurons pas a priori une table unique. Nous nous dirigeons vers trois desks séparés : un pour les journalistes et un autre pour chacun des candidats. Comme ce format très particulier l'impose traditionnellement, les journalistes seront plus en retrait que dans des émissions politiques classiques. Nous voulons formaliser cet état de fait par ce dispositif nouveau. Après en avoir discuté avec France Télévisions, nous avons aussi décidé qu'il n'y aurait pas de public. Nous estimons que dans ce moment démocratique clé, ce sont les deux candidats qui comptent et rien d'autre. Il y aura d'ailleurs peu d'illustrations et un décor sobre.
L'éloignement entre les candidats sera-t-il aussi grand qu'en 2017 ?
Nous essayons de les rapprocher mais c'est encore en discussion.
Les candidats apparaîtront-ils assis à leur place d'entrée de jeu comme il y a 5 ans ?
Ils seront assis pendant l'émission, au vu de sa longueur. Concernant le début de l'émission, c'est encore en discussion. Je pense que nous pourrions les faire venir sur le plateau pour les voir s'y installer. De la même manière, nous pourrions voir s'installer à leur place les deux animateurs du débat. Ces innovations sont possibles mais honnêtement, cela se fera à la marge. La priorité est vraiment au face-à-face entre les deux candidats.
Sur ces aspects pratiques, les candidats ont-ils aussi leur mot à dire ?
Nous discutons forcément avec eux de la scénographie. Nous le faisons d'ailleurs pour toutes les émissions politiques.
"Ce serait très dommageable de renoncer aux plans d'écoute"
Les plans d'écoute (faire apparaître à l'écran le visage du candidat qui n'a pas la parole, ndlr) seront-ils autorisés comme en 2017 ?
Le sujet sera tranché d'ici la fin de semaine. Les équipes de TF1 et de France Télévisions travaillent actuellement sur une charte de réalisation qui les prévoit. Elle précisera leurs modalités d'emploi et imposera évidemment un principe d'égalité absolue entre les deux candidats en la matière. Cette charte devra ensuite être discutée et validée par les équipes des deux candidats.
Vous êtes favorable à ces plans d'écoute à titre personnel ?
Bien sûr ! Je pense qu'il serait très dommageable d'y renoncer faute de consensus. C'est un levier de dynamisation de ce moment si important de la vie démocratique.
Les candidats vous ont-ils déjà transmis des exigences particulières comme la température souhaitée dans le studio par exemple ?
Non. Pour seules demandes pour l'instant, nous avons eu celle de pouvoir voir le chronomètre de leur temps de parole respectif. Les candidats veulent aussi pouvoir poser des papiers sur leur table et avoir un dossier à leur siège. Rien que des choses très normales objectivement. Le studio sera évidemment climatisé. J'ajoute que l'organisation sera une nouvelle fois très particulière pour les diffuseurs. Nous doublerons tous les moyens techniques pour pouvoir faire face à tout imprévu. Nous aurons un petit car-régie de secours, des caméras de secours placées sur le plateau, un réalisateur susceptible de prendre la relève de Didier Froehly en cas de problème. C'est une organisation millimétrée.
Depuis combien de temps discutez-vous de l'organisation de ce débat avec les candidats ?
Avec l'accord de France Télévisions, nous avons commencé à en discuter avec eux il y a déjà un bon mois. Nous en avons d'ailleurs discuté avec tous ceux qui pouvaient, d'après les sondages, prétendre accéder au deuxième tour. Je pense à Jean-Luc Mélenchon notamment.
"Le dernier mot que je dirai à Gilles Bouleau : 'Prends du plaisir !'"
Tristan Carné, réalisateur du débat de 2017, a été écarté au profit de Didier Froehly. Paye-t-il sa proximité avec l'Elysée pour qui il a réalisé plusieurs allocutions présidentielles durant le quinquennat ?
Non, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un blocage d'ordre politique. J'en veux pour preuve que Tristan Carné a réalisé le prime time du 14 mars avec les huit candidats à la présidentielle. Cela s'est très bien passé, y compris avec les deux finalistes d'ailleurs. Sa compétence est largement reconnue par tous. Je pense plus simplement qu'il y avait un besoin de renouvellement par rapport à 2017, alors que les noms des deux finalistes sont déjà les mêmes. Plusieurs réalisateurs ont été évoqués et Didier Froehly a été choisi. Il a notamment l'avantage d'être connu des deux maisons, TF1 et France Télévisions, et d'avoir réalisé de grands évènements par le passé, comme le 14 juillet pour nous par exemple.
Chaque candidat a-t-il désigné une personnalité référente pour mener les discussions avec vous autour de ce débat ?
Nous n'en avons pas encore été informés en tous les cas. Il y aura forcément de chaque côté un superviseur de la charte de réalisation que nous allons leur proposer.
Quels mots direz-vous à Gilles Bouleau juste avant son entrée sur le plateau mercredi 20 avril ?
Je lui dirai d'avoir en tête - et cela va peut-être vous surprendre - que le débat réussi est celui où on oublie les journalistes. Il faut que les millions de téléspectateurs qui nous regardent ressortent avec une idée claire de ce que propose chacun des deux candidats. Pour ce faire, il faudra que les journalistes gardent la bonne distance. Je sais que Gilles a pour qualité de savoir le faire. Il a l'expérience et a tellement travaillé durant cette présidentielle que je ne me fais pas de souci. Et puis je lui dirai en dernier mot : "Prends du plaisir !". C'est un moment d'histoire de notre pays. Si on y participe, il faut prendre du plaisir et ne pas se laisser manger par la pression !
Le débat de 2022 sera-t-il aussi déséquilibré qu'en 2017 selon vous ?
Je pense qu'il s'agira d'un débat particulièrement décisif et très différent de 2017. Il devrait être à mon sens plus dense et plus disputé qu'il y a cinq ans car les deux personnages ont changé. Marine Le Pen d'abord, a intégré l'échec du débat de 2017. Elle a forcément dû en tirer des enseignements et sera sans doute moins fragilisée qu'il y a cinq ans. De son côté, Emmanuel Macron incarnait en 2017 la découverte, la nouveauté et l'inattendu. Aujourd'hui, il est le président sortant d'un mandat émaillé de multiples crises. Ce sera donc forcément différent.