Voilà une décision qui ne va pas manquer de relancer le débat sur la frontière entre la liberté d'investigation des journalistes et le secret défense. Comme l'a rapporté hier Le Point, trois journalistes français ont été condamnés par la Cour d'appel de Paris à une amende de 3.000 euros avec sursis pour "atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation". Christophe Labbé et Olivia Recasens, journalistes au "Point", et Didier Hassoux, plume du "Canard enchaîné", ont été punis par la justice pour avoir révélé la véritable identité d'un agent de la DCRI dans un ouvrage sorti en 2012.
Intitulé "L'Espion du président", ce dernier portait sur Bernard Squarcini, patron de la DCRI sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le livre voulait démontrer les très nombreux dysfonctionnements des services de renseignements français à cette époque. Dans leur enquête, les trois journalistes avaient décidé de dévoiler le nom de cinq agents des services de renseignement, responsables selon eux de multiples dérives. Pour leur défense, les journalistes avaient notamment fait valoir que les agents "outés" n'étaient pas des "opérationnels" et que la révélation de leur nom ne mettrait donc pas en péril leur vie.
Après les avoir relaxés en première instance, la justice a finalement décidé de condamner les trois mis en cause en invoquant la loi Loppsi 2 de 2011. Cette dernière prévoit de punir de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende "la révélation de toute information qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à la découverte de l'identité (...) d'un agent des services spécialisés de renseignement". Précisons que Christophe Labbé, Olivia Recasens, et Didier Hassoux ont finalement été sanctionnés pour la révélation d'un seul nom d'agent, les quatre autres étant parus au Journal Officiel avant la publication de leur livre.
Cette décision a en tout cas suscité des réactions inquiètes au sein de la profession, à l'image du Point qui évoque un "arrêt dangereux". "Le message adressé aux journalistes est ainsi extrêmement clair : 'N'allez pas fouiller dans le monde opaque du secret-défense sous peine de condamnation !'", dénonce l'hebdomadaire.
Invité ce matin de RMC, Fabrice Arfi, journaliste d'investigation à Médiapart, a pour sa part qualifié cette condamnation de "scandaleuse". Le membre du collectif "Informer n'est pas un délit" a dénoncé "un secret défense qu'on utilise non pas pour protéger les intérêts supérieurs de la nation qui doivent être protégés mais pour protéger les turpitudes de certains". "C'est une première dans l'histoire de France", a-t-il tenté d'alerter.