Encore un loyal d'éliminé. La troisième soirée de diffusion du jeu "Les traîtres", ce mercredi 26 juillet 2023 sur M6, a été fatale au comédien Vincent Desagnat. Galvanisé par l'élimination du traître Guillaume Pley en début d'épisode, Vincent Cespedes, plus que jamais "sûr" de lui, a pesé de tout son poids dans cette décision. Critiqué par Charlotte de Turckheim dans la presse, le philosophe s'explique et livre, plus généralement, les leçons qu'il a tirées de son expérience au château de Val.
Propos recueillis par Ludovic Galtier
puremedias.com : Le loyal Vincent Desagnat vient tout juste d'être éliminé au château de Val. Vous avez largement contribué à son élimination en le prenant pour cible. Qu'est-ce qui fait que vous étiez si sûr de vous ?
Vincent Cespedes : Premièrement, Vincent Desagnat me soupçonnait depuis le début de l'émission. Ensuite, il a commis un certain nombre d'erreurs – il a renoncé à l'amulette d'immunité lors de l'épreuve du train – qui me paraissaient fondamentales. Notamment lorsque je viens le voir et lui dis "Allez, dis-moi que tu es traître" et qu'il me répond "Je ne veux pas te le dire". Cette phrase là, c'était l'argumentation finale de tout un processus de vérification, mais c'était la cerise sur le gâteau. Pour moi, seul un traître pouvait prononcer cette phrase. Après, il y a eu pas mal de discussions, j'ai mis deux jours pour réussir à le faire éliminer.
Vincent Desagnat s'est-il suffisamment défendu, d'après vous ?
J'ai découvert au moment de la diffusion que Vincent avait de très bonnes déductions mais qu'il n'a rien partagé de sa stratégie. Il était même très hermétique au partage. Il n'y avait pas, chez lui, de volonté de s'allier et c'était d'autant plus louche. Quand je le confrontais, il était très peu pugnace. Il disait des choses un peu comme Thibaud (Delapart, dit Tibo InShape, éliminé lors de la première table-ronde de la saison 2, ndlr), du genre " Si c'est ce que tu penses..." Il ne mettait aucune énergie à essayer de m'objecter des contre-arguments quand je déployais mon raisonnement. L'épreuve des dessins, dans laquelle il a fait des erreurs, n'a fait que renforcer mes doutes. Quand j'ai appris qu'il était loyal, je suis tombé des nues.
Si Vincent Desagnat manquait de pugnacité, vous en aviez pour deux, non ?
Je ne vois aucun intérêt à m'engager dans quelque chose en le faisant comme un fantôme. Si c'est pour faire de la figuration et être un pot de fleurs, ce n'est pas la peine et ce n'est pas ce qu'on attend d'un philosophe dans ce jeu. Je crois qu'être discret aurait été une très mauvaise stratégie. Que quelqu'un qui puisse facilement être ému, quelqu'un de fragile, joue cette carte, pourquoi pas ! Moi, ce n'est pas ce qu'on voit quand on me regarde. Je fais 1m85 et je sais parler. Je me devais de mettre toute l'intelligence possible au service du jeu pour vivre l'expérience philosophique que j'étais venu chercher.
"Je me demande si Charlotte de Turckheim n'a pas été piégée par une certaine presse télé qui cherche le clash"
Vos analyses et vos interventions ne laissent pas indifférents. Charlotte de Turckheim, l'une des trois traîtres de l'aventure, a fustigé au choix, dans une interview à "Télé Star", votre "méchanceté", votre "orgueil", votre "bêtise" et votre "arrogance". Avez-vous lu ces critiques ?
Oui, je suis au courant mais je me demande si elle n'a pas été piégée par une certaine presse télé qui cherche le clash à tout prix. Franchement, j'ai eu trois échanges avec Charlotte pendant tout le jeu, c'était cordial et camarade. Je ne crois pas être débordant de bêtise et d'arrogance.
Ces critiques démontrent-elles selon vous que "Les traîtres" est plus qu'un simple jeu ?
On croit que ce n'est qu'un jeu. Mais une fois que l'on est dedans, que l'on est dans le groupe, il y a quelque chose d'animal qui se réveille en chacun de nous, selon lequel on ne veut pas être exclu. C'est la plus grande des leçons que j'ai apprises dans le jeu. Il y a quelque chose de l'ordre des singes, de la meute. Être banni du groupe humain est quelque chose qui nous révulse profondément. Je le savais grâce aux études sociologiques et anthropologiques que j'ai pu mener mais là, je le vivais dans ma chair. Le bannissement, l'élimination nous renvoient vers le fait qu'être exclu du groupe est quelque chose d'horrible. Je n'imagine pas ce que les exclus sociaux doivent vivre...
"J'accepte tout à fait d'entrer dans les cases qu'il faut pour faire un spectacle"
Le montage est-il en phase avec ce que vous avez vécu ?
J'accepte tout à fait d'entrer dans les cases qu'il faut pour faire un spectacle, ça fait partie du jeu...
Quelle case cochez-vous dans ce spectacle ?
Ça y est, c'est dessiné et ce que l'on a fait dire à Charlotte le confirme. Ce serait le rôle de l'arrogant avec un côté intello et sûr de lui, au-dessus de la mêlée. C'est vrai que je n'ai pas un tempérament malicieux et doux à la Bernard Werber (sourire).
Discutez-vous avec d'autres candidats pendant la diffusion de l'émission ?
Oui, notre grande joie, c'est justement de voir le montage. Entre nous, on se dit "Ah, ils ont fait comme ça", "Ah, ils ont gardé ça". On est éblouis de voir objectivement ce que l'on a vécu forcément subjectivement. On se moque, on est taquins. C'est la raison pour laquelle les propos de Charlotte m'étonnent. Nous étions vraiment dans la taquinerie et pas du tout dans le harcèlement.
"On veut sauver sa peau et ce n'est pas des blagues"
Au final, pourquoi un philosophe de votre trempe, critique par ailleurs vis-à-vis des émissions de télé-réalité, a-t-il accepté de participer à ce format ?
Je ne sais toujours pas comment je suis apparu dans les petits papiers de la production. Je sais que j'ai remplacé une romancière qui s'est désistée au dernier moment. Ça m'est comme tombé dessus. Au moment de prendre ma décision, trois jours avant le début du tournage, je n'ai pensé qu'à mon image : ma participation aux "Traîtres" n'allait-elle pas griller ma légitimité à critiquer le monde médiatique ? Serais-je toujours invité à des conférences ?
Quel argument a fait pencher la balance ?
Dans les colloques sur la télé-réalité auxquels je participe, on me renvoyait toujours la même critique : à chaque fois que je portais un regard critique sur telle ou telle émission, les candidats, surtout, me rétorquaient "Oui, mais monsieur, vous ne l'avez pas vécu". L'appel de la production était l'occasion parfaite pour vivre une expérience de l'intérieur. En plus, Bernard Werber avait pavé la route et a donné une certaine respectabilité à l'émission et le producteur ne m'a jamais demandé de jouer un personnage, de raconter mon intimité ou de travestir ce que je suis. J'en ai tiré 50.000 leçons.
Laquelle a votre préférence ?
Je dirai l'impossibilité ou la grande difficulté de l'union pour les "faibles", c'est-à-dire les loyaux qui ne peuvent pas bannir mais qui peuvent être bannis. C'est très dur d'unir les voix de ceux qui ont peur pour leur propre survie. Tout le monde voulait rester, tout le monde était happé par cette pulsion très égoïste et autocentrée d'être dans le groupe et de vouloir y rester. On veut sauver sa peau et ce n'est pas des blagues. On sent que si on est exclu du groupe, c'est notre identité qui vacille.
"J'ai eu du mal à revenir à la vie quotidienne"
Vous recommenceriez l'expérience si c'était à refaire ?
La phrase que j'ai prononcée à mes amis qui m'ont récupéré à la sortie est "Je suis lobotomisé heureux". C'est-à-dire qu'à la fois, mon cerveau a tellement fonctionné en vase clos que j'ai eu du mal à revenir à la vie quotidienne. Dans le même temps, j'étais comblé de bonheur parce que j'ai eu l'impression d'avoir vécu une initiation. Je comprends maintenant les candidats qui m'alpaguaient en disant 'Monsieur, vous n'avez pas vécu ce qu'on a vécu'. Moi, en fait, plus jamais je ne pourrai critiquer ceux qui pleurent dans la télé-réalité ou ceux qui craquent. C'est un système en fait où la psychologie est sous pression. Je connaissais l'expérience de Stanford de 1971 (une étude de psychologie sociale menée par Philip Zimbardo en 1971 sur les effets de la situation carcérale, ndlr), je connais toute la littérature mais avoir vécu une expérience philosophique in vivo, ce n'est pas pareil.
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Vous allez écrire un livre sur votre expérience dans "Les traîtres" ?
Je vais écrire un livre qui va parler de cet univers de confiance, de trahison, de manipulation. J'utilise, pour l'introduction, mon expérience mais je ne vais pas du tout y revenir dans le détail. Il sortira, je pense en janvier 2024, chez Albin Michel. C'était vital de poser les choses, je ne pouvais pas seulement me contenter de vidéos sur TikTok (rires).