Noces de coton entre "Demain nous appartient" et TF1. Il y a tout juste un an, le tournage du nouveau feuilleton quotidien de la Une débutait à Sète. En quelques mois, la première chaîne est parvenue à installer sa série portée par Ingrid Chauvin comme l'un des rendez-vous phare de l'avant soirée. Depuis novembre dernier, c'est Vincent Meslet, ex-directeur éditorial d'Arte et ex-patron de France 2, qui pilote la production de "Demain nous appartient", en sa qualité de directeur général délégué de Telsète (filiale de Telfrance, groupe Newen). puremedias.com s'est entretenu avec lui.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : Le tournage de "Demain nous appartient" a débuté il y a tout juste un an. Le fait que la série puisse fêter cet anniversaire, ça veut dire que le pari est gagné ?
Vincent Meslet : Un pari se gagne toujours dans la durée. TF1, Newen et Telfrance ont vraiment réussi l'installation d'un feuilleton quotidien à 19h30. Il n'y avait effectivement rien d'évident. C'est à la fois grâce à l'expertise de Telfrance sur le genre et à la force de frappe marketing de TF1, que les fondamentaux ont pu être installés. Le très bon casting de la série a aussi évidemment joué : Ingrid Chauvin, Alexandre Brasseur, Laure Pester (Lorie, ndlr), Charlotte Valandrey...
Quel est votre objectif désormais ? Installer durablement "DNA" comme le leader de l'access ?
Oui. Aujourd'hui, les résultats sont là et les objectifs fixés par la chaîne sont atteints. Sur les cibles féminines, nous sommes à un niveau très élevé. Concernant les quatre ans et plus, après une petite faiblesse en fin d'année dernière, le feuilleton est sur une belle dynamique de progression depuis février. J'espère que l'on va confirmer l'installation du leadership sur les quatre ans et plus durant les semaines qui viennent. C'est le fruit du travail de toute une équipe d'auteurs dirigés par Eric Fuhrer et Isabelle Dubernet qui m'ont rejoint dans l'aventure avec toute leur passion, et d'une équipe de production très investie dans la réussite du feuilleton.
On parle toujours de la fameuse ménagère de moins de cinquante ans. Mais est-ce que les jeunes regardent "DNA" ?
Oui, on demande souvent à la fiction française de se rajeunir. "DNA" est un bon cas d'école, c'est une vraie réussite. Nous sommes leader sur les femmes 15-24 ans et 35-49 ans. Nous sommes aussi en forte progression sur l'ensemble des 15-24 ans. La présence d'adolescents au cast est une aide précieuse. Parmi toutes les améliorations apportées au feuilleton ces derniers mois, on a beaucoup soigné la manière de parler à nos ados. Nous avions une petite tendance à ce que nos adultes soient parfois un peu trop ados et à ce que nos nos ados soient un peu trop adultes. On a rééquilibré l'ensemble.
"TF1 nous a beaucoup aidés en ne coupant pas chaque épisode par de la publicité"
Au bout d'un an de diffusion, comment faites-vous pour attirer de nouveaux fidèles ?
La dynamique de l'audience se porte beaucoup sur la fidélisation du public. Quand notre public aime plus que d'habitude nos histoires, il y a un effet mécanique qui fait que le taux d'assiduité est plus élevé. Les téléspectateurs reviennent le lendemain et regardent plus longtemps. Ce que l'on sait, c'est que c'est par écoute conjointe que l'on recrute. Nos fans en parlent autour d'eux et partagent leur avis sur les réseaux sociaux. Après, et c'est le cas pour tous les feuilletons quotidiens dans le monde, le recrutement est une phase très lente, extrêmement progressive. On ne bondit pas de quatre points en un jour ! Et on ne recrute pas sur une seule histoire non plus. Aujourd'hui, c'est parce que l'on a enchaîné les intrigues "harcèlement", "serial killer", "manteau rouge" et "coup pour coup" que nous progressons. C'est cette régularité, confirmée par les études d'audience, qui nous permet de fidéliser notre coeur de cible. La chaîne nous a aussi beaucoup aidés dans le processus de fidélisation en ne coupant pas chaque épisode par de la publicité.
Qu'est-ce qui explique les fluctuations d'audience de l'année écoulée ? Des arches narratives moins fédératrices ?
C'est difficile à dire. Le grand romanesque de l'an dernier, lors de la période "saga d'été", a bien fonctionné. Les sujets de société, notamment celui sur le jeu de l'ange, le harcèlement et coup pour coup ont également bien marché. L'an dernier, le feuilleton a été lancé en étant marketé comme une saga d'été. C'était une excellente idée et ça a été une réussite. Après, il y a une concurrence plus forte à la rentrée, notamment sur les cibles jeunes. Mon quotidien de producteur, c'est de trouver, avec les auteurs de l'unité fiction de TF1, la bonne histoire pour la suite. On tourne ce qui sera diffusé dans six semaines et on écrit ce qui sera diffusé dans six mois. C'est à chaque fois un défi pour notre imagination.
Vous regardez quand même les audiences chaque matin à 9h ?
Bien sûr. Mais je regarde surtout les retours sur les réseaux sociaux le soir, après la diffusion. Ce qui m'intéresse le plus, c'est de voir l'implication émotionnelle des téléspectateurs. Ce n'est pas rien de produire et d'écrire 260 épisodes par an. Ça représente quand même 40 mini-séries de 6x52 minutes. Ce qui est primordial c'est que ce côté "industriel" ne nuise jamais en rien à l'exigence artistique du projet. Aujourd'hui, j'ai la conviction que si "DNA" marche, c'est parce qu'avec TF1, nous avons fait le choix de la qualité, que ce soit dans le cast, l'écriture ou même les décors. Nous avons les critères d'une fiction de prime et les retours des téléspectateurs semblent indiquer qu'ils le ressentent.
"'DNA' a gagné en subtilité au cours des derniers mois"
Vous avez contribué, avec succès, au lancement de "Plus belle la vie" en 2004 sur France 3. Quelques années plus tard, TF1, France 2 et M6 avaient échoué à imiter ce succès. Comment expliquer que, quinze après, la sauce prenne pour "DNA" ?
Je pense que l'époque a radicalement changé et que le goût du public a évolué. La fiction est devenue un genre majeur de l'offre télévisuelle. C'était moins vrai il y a quinze ans, quand les séries américaines avaient la part belle. La concurrence est devenue plus féroce. Là, TF1 a voulu différencier son offre et faire une vraie contre-proposition dans une case horaire où les habitudes n'existaient pas en fiction. Il y a sans doute aussi un vrai savoir-faire de la chaîne. Pour être nouveau dans la famille TF1, je suis impressionné par son exigence et sa force de frappe.
Au lancement de "DNA", il a été reproché à la série de jouer la carte de la surexploitation de l'émotion des personnages. C'était pour plaire à la ménagère ?
La ménagère est plus intelligente que vous ne le pensez et je pense qu'elle n'est pas dupe des artifices ! C'est là où le feuilleton a gagné en subtilité ces derniers mois. On se rapprochait un peu trop de l'ancien modèle du soap. Tout notre travail d'écriture, de mise en scène et d'interprétation a, depuis, gagné en maturité. Il faut toujours que nos personnages soient dans le vrai, dans un souci de crédibilité. Sur le sujet de l'interprétation, je me réjouis de voir que toute notre bande de jeunes acteurs, de Clément Rémiens à Garance Teillet en passant par Camille Geneau, soit aujourd'hui saluée.
Quels sont les prochains axes de développement du feuilleton ?
On va continuer d'explorer tous les genres populaires, du thriller, de la comédie familiale en passant par la comédie romantique. Tous les genres de la littérature populaire ont leur place chez nous. La saison prochaine, on va d'ailleurs s'essayer au fantastique. C'est un genre que nous n'avons pas du tout testé l'année dernière sauf lorsque le personnage de Bastien était tombé dans le coma et qu'il était revenu dans les rêves de Victoire. On ne s'interdit rien pour la cinquantaine d'histoires que nous raconterons les douze prochains mois.
"On va continuer à faire appel à la famille des talents de TF1"
Cet été sera-t-il consacré à une intrigue de type saga ?
Nous proposerons une grande histoire romanesque, autour notamment de Bruno Madinier et Vanessa Demouy. L'intrigue principale tournera autour du retour des amis de jeunesse du personnage de Chloé. Elle va se retrouver confrontée à ses rêves de jeunesse. Il y aura un nombre incalculable de révélations sur la famille Delcourt. Nous aurons aussi des arches secondaires autour de Bart et ses histoires d'amour difficiles. Un classique de l'été pour les adolescents ! Il y aura aussi un enjeu autour de l'enfant de Karim et de Lou.
L'intrigue de la série est toujours corrélée à la diffusion ?
Le lundi, c'est le lundi. Chaque épisode commence par un petit déjeuner et se termine le soir. On raconte vraiment une journée. On essaye aussi de réagir à l'actualité. Par exemple, on fera un clin d'oeil à la Coupe du monde. On veut donner l'impression que ces personnages vivent en parallèle de nous, ce qui est d'ailleurs le principe de presque tous les programmes quotidiens.
Parmi une foule de guests, Mimie Mathy a fait une apparition remarquée dans la série. Il y aura d'autres visages de la fiction TF1 dans "DNA" ?
Nous voulons que les meilleurs auteurs, réalisateurs et acteurs de TF1 viennent participer. On va continuer à faire appel à la famille des talents de TF1. C'est complètement revendiqué, d'où la présence notamment d'Ingrid Chauvin, qui est une héroïne de la fiction de la chaîne. On a aussi Lou, qui est un talent musique de TF1. Je pense que tout cela vient de l'osmose qu'il y a entre la chaîne et le producteur, qui appartiennent au même groupe. Concernant Mimie Mathy, c'est un cas particulier. C'est bien un talent TF1 mais, tout comme Catherine Allégret, c'était une fan du feuilleton. Il y avait donc déjà une grosse motivation pour venir.
"Tant qu'il y aura du public, il y a peu de chance que 'DNA' disparaisse"
La question ne semble plus tout se poser, mais y'a-t-il une date de fin dans le contrat avec TF1 ?
Tant qu'il y aura du public, il y a peu de chance que "DNA" disparaisse. On ne travaille donc pas avec des limites dans le temps. D'ailleurs, on travaille actuellement sur l'histoire qui sera diffusée à la Toussaint.
Produire un feuilleton quotidien est dispendieux. On parle d'un coût moyen de plus de 100.000 euros par épisode pour "Plus belle la vie". "DNA" est un feuilleton rentable ?
Le lancement d'un feuilleton comme "DNA" est un investissement important. C'est vrai que l'objectif premier aujourd'hui, c'est que l'argent soit à l'image. Au quotidien, nous travaillons à ce que la qualité soit visible par le téléspectateur, tout en ne dépensant pas l'argent que l'on n'a pas.
Aujourd'hui, vous ne perdez pas d'argent ?
En effet, nous nous interdisons d'en perdre.
"Ce que je déteste, ce sont les dirigeants qui renoncent à l'exigence artistique"
À la rentrée, France 2 lancera "Grand Soleil", son propre soap quotidien qui sera programmé une heure avant "DNA". Est-ce qu'il y a de la place pour trois feuilletons en France ?
Quand on regarde l'histoire de l'audiovisuel de ces vingt dernières années, on s'aperçoit que l'offre crée la demande. S'il y a une proposition nouvelle qui parle à un certain public, elle trouvera sa place.
Et si "Grand Soleil" trouve sa place, ça ne risque pas de nuire à "DNA" ?
C'est la question qu'il ne faut surtout pas que l'on se pose. Notre seule question, c'est celle de la cohérence avec la chaîne qui la diffuse. Mon souci, c'est que "DNA" incarne au maximum TF1. On est la vitrine de la chaîne, tout comme "Plus belle la vie" est la vitrine de France 3. Espérons pour eux que le feuilleton de France 2 devienne aussi une vitrine.
Vous êtes producteur de "DNA" depuis novembre. Comment êtes-vous arrivé sur le feuilleton ?
Il y a un aspect personnel. Bibiane Godfroid, directrice générale de Newen, et Ara Aprikian, patron des contenus de TF1, sont deux personnes que j'ai toujours beaucoup appréciées et que je connais depuis 1992. À l'origine, Bibiane et Guillaume de Menthon m'ont demandé de faire un petit audit du feuilleton. J'ai pris beaucoup de plaisir à rencontrer l'équipe de "Demain nous appartient" en le faisant. Comme Florence Levard, la productrice, voulait se consacrer au développement de son label, ils m'ont proposé de lui succéder et j'ai accepté. C'est une petite entreprise, très créative et il y a beaucoup de choses à mettre en place. Ça me fait plaisir d'accompagner cette production.
Il y a cinq ans, vous étiez encore directeur éditorial d'ARTE. Aujourd'hui, vous êtes producteur du feuilleton de TF1. C'est assez rare un tel grand écart en télévision !
C'est ma cohérence. Je comprends, que de l'extérieur et même dans les yeux de certains de mes amis, ça peut paraître comme le grand écart, mais j'y vois la cohérence de mes convictions. Je crois que la société française, qui veut mettre la culture d'un côté et le populaire de l'autre se trompe lourdement. Le fossé social et culturel entre l'élite et les milieux les plus populaires est une gangrène. La télévision permet de concilier les deux et de faire à la fois Arte et TF1, de parler à des publics différents en les respectant profondément dans leurs goûts et leurs attentes. Ce que je déteste, ce sont les dirigeants qui renoncent à l'exigence artistique. Les grands patrons des chaînes commerciales et publiques sont ceux qui ont fait passer des exigences artistiques avant les impératifs économiques et politiques.
"Je me suis interdit de construire mon identité sur mon éviction de France 2"
Où en êtes-vous dans le développement de votre label Mleshistoires ?
Pour l'instant, je suis plongé dans l'écriture d'une biographie romancée de Jean-Luc Delarue qui sera publiée chez Fayard à la rentrée. Je suis concentré là dessus en parallèle de "DNA". Je développerai ce label plutôt en septembre, avec cette même exigence.
Vous avez observé une longue cure de silence suite à votre éviction de France 2 ? Vous l'avez juste brisé en octobre dernier lors de la "crise 'ONPC'". Pourquoi à ce moment-là ?
J'ai dit ce que j'avais à dire à ce moment-là et je n'ai rien à ajouter.
Vous avez gardé des regrets de votre mandat à France 2 ?
J'ai comme philosophie de ne jamais avoir de regrets. J'ai vécu vingt-cinq très belles années au sein de la télévision publique. J'ai une certaine fierté d'avoir travaillé pour Arte, France 2, France 3 et aujourd'hui TF1. J'aime la télévision et aujourd'hui, j'ai plutôt envie d'être plus proche de la création que d'un poste à responsabilité dans l'audiovisuel.
Votre éviction a été assez violente. Humainement, ça a été une blessure ?
Je connaissais les règles. Mais, oui, humainement, c'était dur. Mais honnêtement, pour moi c'est une chance d'être obligé de repenser ma vie à 52 ans. Quand je suis sorti du bureau de Delphine Ernotte, je me suis interdit de construire mon identité sur cet événement. J'ai pris le temps pour penser à mon avenir et j'ai une nouvelle aventure passionnante. Et je pense que pour faire de la bonne télévision, il faut prendre du plaisir et le partager avec un large public.