A l'heure où "Intouchables" se rapproche de "Bienvenue chez les Ch'tis", on s'interroge. Le film de Dany Boon doit-il être détrôné ? Le cinéma français a-t-il intérêt à ce que le long métrage d'Eric Toledano et Olivier Nakache devienne le film français le plus vu de l'histoire ? Si ces deux "feel-good movies" ont été en grande partie encensés par le public et la presse, ils ne dessinent pas le même portrait de notre pays.
Les deux films dressent un portrait différent de la France mais véhiculent tous deux les habituels clichés. Le film de Dany Boon déroule la caricature d'une région, le Nord, et de ses habitants, tandis que "Intouchables" confronte la bourgeoisie avec Philippe, le riche homme d'affaires en foulard Hermès, à la banlieue avec Driss, un black en jogging Adidas sortant de prison. Mais pour Philippe Bataille, sociologue à l'Ehess, "Intouchables" se nourrit moins de cet aspect caricatural. "Avec 'Bienvenue chez les Ch'tis', on est dans l'auto-dérision, la caricature, nous explique-t-il. Alors que 'Intouchables' reste un film à perception personnelle. Chacun reçoit une émotion libre qui n'est pas imposée." Avantage "Intouchables".
"Un Noir qui porte le long-métrage le plus bankable de l'année en France, c'est une vraie révolution" lâche sans détour l'historien Pascal Blanchard au Nouvel Obs. Si le duo formé par Omar Sy et François Cluzet nous a fait rire et nous a ému, il est aussi le symbole d'une diversité désirée par les médias et les élites. Un jeune banlieusard noir côtoie le luxe grâce à son riche employé, et fait voler en éclats par la même occasion les barrières sociales. Bien que critiquable et relative, on ne peut nier la dimension politique de ce conte moderne à une époque où l'ascenseur social est si difficile à activer. En cela, "Intouchables" véhicule un message plus fort que le film de Dany Boon. Avantage "Intouchables".
Contrairement à "Bienvenue chez les Ch'tis" - qui avait été à sa sortie parfois brocardé dans la presse écrite pour son côté populiste ou passéiste - "Intouchables" a majoritairement été encensé par les journalistes cinéma à quelques exceptions près. "Sur les sujets importants et graves, on arrive maintenant à faire des films qui touchent aussi le public, il y a un accord entre l'accueil critique et l'accueil populaire, et ça c'est rare" analyse ainsi Alain Grasset, journaliste cinéma au Parisien. Bien que jugé "raciste" par Variety aux Etats-Unis et malmené par Libération ou Les inRocKs en France, "Intouchables" a réussi le pari de mettre d'accord critiques et grand public, contrairement aux Ch'tis. Avantage "Intouchables".
Bien pensant, "Intouchables" et "Bienvenue chez les Ch'tis" montrent une France fantasmée. Libération jugeait ainsi : "Osons cependant que le succès du film est le fruit d'un conte de fées cauchemardesque : bienvenue dans un monde sans. Sans conflits sociaux, sans effet de groupe, sans modernité, sans crise (...) La fable abolit la méfiance qui règne entre classes sociales et la remplace par un mélange de bonhomie et de sans-gêne". "Intouchables" est inspiré d'une histoire vraie certes, mais c'est une histoire unique qui ne doit pas occulter la (triste) réalité. Sur ce critère, ils sont donc à égalité.
Avec 14 millions d'entrées, "Intouchables" se rapproche de plus en plus des 20 millions de spectateurs de "Bienvenue chez les Ch'tis". Une aubaine pour les cinémas en France qui voient ainsi leurs recettes grimper en flèche. Comme avec les Ch'tis, cette cash machine profite aussi aux... confiseries vendues dans les salles ! "C'est un très bon coup de fouet en fin d'année, en termes de confiserie notamment, c'est ce qu'on appelle un film 'pop-corn'" nous explique Jeremie Pottier Grosman, assistant d'exploitation au cinéma Les Ecrans de Paris. Si les deux films ont été encensés pour leur capacité à rassembler et à divertir la France entière, ils renflouent aussi toute l'économie du cinéma français. Egalité.