Tout va très bien, rassurez-vous. Alors que les investisseurs s'inquiètent des pertes colossales de beIN Sports etdu départ prochain de la Ligue des Champions sur SFR, tel est le message que Yousef al-Obaidly a tenu aujourd'hui à adresser dans une longue interview accordé au "Figaro". Il faut dire qu'il était temps, tant les récentes déconvenues de beIN Sports en France ont alimenté la rumeur d'un possible désengagement des Qataris du paysage audiovisuel français. Une rumeur que n'a fait que renforcer les récentes difficultés de l'émirat sur la scène internationale.
Au cours de cet entretien au quotidien français, Yousef al-Obaidly a tenu d'entrée de jeu à rappeler que son groupe était en France pour longtemps. "Nous sommes un investisseur de long terme en France et nous continuerons de l'être", a-t-il ainsi assuré. Le président de beIN Sports France a ensuite fait une révélation étonnante, particulièrement dans le contexte actuel : beIN Sports serait "très près d'atteindre cet équilibre financier" qui lui fait tant défaut depuis son arrivée en France en 2012.
La nouvelle ne manquera pas d'interroger quand on sait que les pertes nettes accumulées des chaînes qataries ont déjà atteint près de 1,2 milliard d'euros. De son côté, beIN a souvent assuré à mots couverts que le point d'équilibre de son vaisseau se situait aux alentours des 4 millions d'abonnés, quand des estimations extérieures le fixent davantage à 5 voire 5,5 millions.
Surtout, l'inflation galopante sur le marché des droits sportifs semble peu propice à l'atteinte d'un tel équilibre financier à court terme. Et si beIN refuse de participer à cette course à l'échalote, ce ne pourra forcément être qu'au détriment de son catalogue, donc de son parc d'abonnés et de son équilibre financier. En témoigne la récente attribution des droits de la Ligue des champions à SFR pour la somme colossale de près de 350 millions d'euros par an. Diffusée actuellement sur beIN, cette compétition, l'une des rares à pouvoir générer de l'abonnement, basculera intégralement à partir de 2018 sur les chaînes du rival des télécoms, ce qui ne devrait pas manquer d'attaquer le nombre d'abonnés aux chaînes beIN. L'équation économique semble donc toujours aussi insoluble pour le groupe qatari qui ne dispose pas de réseau de distribution propre ni de recettes "télécom" comme SFR.
Seule solution pour l'instant, serrer les dents en espérant que le marché français retrouve à terme son calme et châtie ses investisseurs les plus impudents, comme Orange en son temps. Dans le viseur évidemment : SFR. "Si un acteur veut acquérir un droit à n'importe quel prix, c'est son choix", commente d'ailleurs aujourd'hui avec un brin d'amertume Yousef al-Obaidly à propos de l'opérateur télécom. Des propos qui ne manquent pas de saveur lorsqu'on songe aux accusations d'irrationalité économique dont Canal+ accablait beIN il y a encore quelques années...
La véritable survie de beIN Sports se jouera sans doute lors du prochain appel d'offres de la Ligue 1 dont le groupe qatari dispose des droits jusqu'en 2020. Une compétition dont le prestige grandit d'année en année principalement grâce aux recrutements prestigieux du PSG, club détenu par le Qatar. "C'est le droit le plus important que nous possédions car c'est celui qui génère le plus d'abonnés", reconnaît Yousef al-Obaidly, bien conscient des enjeux.
Le patron de beIN Média ne semble cependant pas prêt à toutes les folies que l'on prêtait naguère à son groupe. "Nous espérons conserver ces droits. Mais nous verrons à quelles conditions", prévient-il aujourd'hui alors que la Ligue de football professionnel espère tirer plus de 1 milliard d'euros du prochain appel d'offres. "J'ai noté les attentes de la LFP mais le prix juste sera celui dicté par le marché", tempère encore Yousef al-Obaidly dans son interview, semblant même envisager une possible déconvenue. Le patron de beIN demande ainsi à la LFP de lancer son appel d'offres "le plus tard possible" afin de ne pas créer "une incertitude chez les abonnés". "Il faut regarder l'intérêt à long terme", estime même Yousef al-Obaidly, comme si l'ancien enfant terrible du marché des droits sportifs s'était finalement assagi.
Cette humilité affichée est-elle un coup de bluff pour endormir ses concurrents les plus ambitieux ? Il n'est pas interdit de le penser. Quand tout le monde s'interrogeait sur l'avenir du PSG après sa nouvelle élimination humiliante en Ligue des Champions, quelle a été la réaction de ses actionnaires ? Acheter Neymar pour 220 millions d'euros, balayant ainsi toutes les inquiétudes. Yousef al-Obaidly appliquera-t-il la recette Neymar aux droits de la Ligue 1 ? Peut-être, mais ce sera alors au prix de cet inatteignable "équilibre financier".