Le coup de Trafalgar tant annoncé a bien eu lieu. Ce matin, SFR Sport a annoncé s'être adjugé l'exclusivité des droits de diffusion de la Ligue des champions et de la Ligue Europa. La filiale de l'opérateur téléphonique diffusera sur ses antennes les deux compétitions majeures du football européen entre 2018 et 2021.
Cet appel d'offres marque une nouvelle étape dans l'inflation spectaculaire des droits sportifs, convoités désormais aussi bien par les chaînes de télévision payantes que par les télécoms. Selon Le Monde, SFR l'aurait ainsi emporté sur Canal+ et beIN Sports en déboursant près de 370 millions d'euros par an pour les deux compétitions, soit plus d'un milliard d'euros au total. Une somme colossale ! A titre de comparaison, l'UEFA percevait jusqu'ici 160 millions d'euros annuels pour la diffusion des deux épreuves sur le marché français, dont 140 pour la seule Ligue des champions, payés à hauteur de 90 millions d'euros par beIN Sports.
Si SFR a accepté de casser sa tirelire, c'est que les deux compétitions de football (surtout la Ligue des champions) sont parmi les rares à pouvoir être qualifiées "d'abonnement", autrement dit à pouvoir déclencher une arrivée massive de nouveaux clients. En pleine structuration de son offre de contenus sportifs depuis un an et demi, SFR avait besoin de décrocher l'un de ces droits majeurs afin de créer un effet d'entraînement.
Après avoir chipé à Canal+ les droits de la Premier League en 2015, l'opérateur de Patrick Drahi vient ainsi considérablement renforcer sa verticale "football". Telle une fourchette aux échecs, l'homme d'affaires rend désormais très difficile pour ses concurrents fournisseurs d'accès à internet (FAI) la non-distribution de ses chaînes sports, au risque de voir leurs clients les quitter pour SFR. En échange de cette distribution, les FAI devront verser une redevance à leur concurrent. Pile je gagne, face je gagne.
Surtout, SFR porte un coup terrible à ses deux concurrents principaux, Canal+ et surtout beIN Sports. Le groupe qatari est celui qui se fait le plus largement dépouiller dans cette affaire puisqu'il était jusque-là le principal diffuseur de la Ligue des Champions et co-diffusait la Ligue Europa avec W9 (Groupe M6). La perte des droits de ces deux compétitions ne devrait ainsi pas arranger une équation économique de la chaîne déjà intenable.
Depuis plusieurs mois, beIN Sports a d'ailleurs adopté une attitude plus timide sur le marché des droits, y compris pour des compétitions secondaires. L'ancien "ogre qatari" semble bel et bien avoir "fini par compter", comme le prédisait les dirigeants de Canal+ au plus fort de la lutte contre lui, au début des années 2010. L'avenir en France de beIN semble désormais plus incertain que jamais alors que se profile la remise en jeu des droits de la Ligue 1, l'une des dernières pépites de son offre.
Par son coup de massue d'aujourd'hui, SFR affaiblit aussi Canal+ qui diffusait jusqu'ici une affiche par journée de Ligue des Champions en échange de 50 millions d'euros par an. Si la filiale de Vivendi est parvenue récemment à conserver les droits de la Formule 1 en y mettant le prix, elle perd malgré tout l'un des atouts majeurs de son catalogue. Une nouvelle érosion de son socle d'abonnés est ainsi à prévoir, alors que Vincent Bolloré a encore promis fin avril, lors de l'Assemblée générale de Vivendi, une amélioration de la situation dès juillet prochain.
Reste maintenant à savoir si les "acquisitions champagne" de SFR seront soutenables sur le long terme. Misant comme British Telecom sur une stratégie de convergence entre les tuyaux et les contenus, Patrick Drahi multiplie depuis plusieurs mois les millions comme Jésus les pains. Dans son viseur, le recrutement massif de nouveaux clients captifs, pour ses activités télévisuelles comme télécoms. Déjà très endetté, son groupe parviendra-t-il malgré tout à rentabiliser ses gigantesques investissements ou finira-t-il, tel un nouveau beIN, par "devoir compter" ? Le magnat franco-israélien a en tout cas d'ores et déjà fait du marché des droits sportifs un manège infernal auquel les opérateurs tentent de se cramponner par tous les moyens. Avec dans la tête, le secret espoir d'être parmi les derniers encore dessus lorsqu'il s'arrêtera de tourner.