Une nouvelle chronologie des médias actée dans la douleur. Après des mois d'âpres négociations, un accord sur le calendrier de diffusion des films en ligne et à la télévision après leur sortie au cinéma, a été signé ce lundi 24 janvier, entre diffuseurs et organisations du septième art. Son entrée en vigueur est prévue le 10 février 2022 pour une durée de trois ans. Une clause de revoyure a été fixée dans un an, afin de dresser un premier bilan.
L'accord conforte la position de Canal+, qui conserve l'exclusivité de diffusion des films qu'elle a co-financés pendant neuf mois. La chaîne cryptée pourra désormais diffuser les longs-métrages français et internationaux dans un délai de six mois (contre huit actuellement) après leur sortie en salles, s'est réjoui Maxime Saada, PDG du groupe Canal+, sur Twitter.
En décembre dernier, la chaîne cryptée avait accepté d'investir plus d'argent (190 millions d'euros par an) dans le septième art à condition d'obtenir une meilleure exposition que les plateformes de SVOD comme Netflix ou Disney+. En quatre ans, l'ex-chaîne cryptée a ainsi divisé par deux son délai de diffusion des films, fixé à 12 mois jusqu'en 2018. "Cette chronologie des médias modernisée reconnaît la position unique de Canal + dans le cycle de financement du cinéma", se félicite le groupe dans un communiqué, précisant que plus de 400 films sont diffusés en première exclusivité chaque année sur ses chaînes.
Ce texte change notamment les règles en vigueur pour les plateformes. En décembre, Netflix, Disney+, Amazon Prime Video ou encore Apple TV avaient officiellement intégré le système français de financement des productions audiovisuelles et cinématographiques. Ils devront verser 20% à 25% de leur chiffre d'affaires en France pour la production locale, une manne espérée de 250 à 300 millions d'euros par an pour les films, séries, et autres fictions tricolores, dès cette année.
Netflix, seule plateforme à avoir signé l'accord, pourra désormais diffuser les films 15 mois après leur sortie en salles, contre 36 mois aujourd'hui. En contrepartie, le géant américain s'engage, selon "Le Monde", à produire au moins dix films par an et à investir en moyenne 40 millions d'euros dans la création, soit 4% de son chiffre d'affaires réalisé en France. "Cet accord est une première étape significative de modernisation de la chronologie des médias", a souligné un porte-parole de Netflix auprès de l'AFP. Globalement, l'accord est une bonne nouvelle car davantage d'argent devrait être injecté dans la production cinématographique française, souligne la Fédération nationale du cinéma français (FNCF) auprès de l'AFP.
De leur côté, Disney+ et Amazon Prime Video devront patienter deux mois supplémentaires, soit 17 mois, avant de diffuser les films dans lesquels ils co-investissent. "Nous pensons que la nouvelle chronologie des médias (...) n'établit pas un cadre équitable et proportionné entre les différents acteurs de l'écosystème audiovisuel, a regretté la direction de Disney, qui devra suivre les nouvelles règles, même sans les avoir signées. Ceci est d'autant plus frustrant que nous avons augmenté nos investissements dans la création de contenus originaux français".
Elle aussi mécontente de cet accord qu'elle juge "à la fois incompréhensible et déraisonnable", la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) a fait savoir qu'elle n'y apposerait pas sa signature. "Personne ne peut imaginer que les termes de cet accord peuvent aujourd'hui rester en vigueur pour une durée de trois ans. Les mutations rapides du secteur en termes d'offre, de technologie et de demande conduiront inéluctablement à une évolution rapide de la place du cinéma dans l'ensemble des offres disponibles sur le marché français." La SACD considère aussi que ces nouvelles règles risquent de dissuader les services de SVOD de sortir les films qu'elles produisent au cinéma, au profit d'une programmation immédiate sur leur plateforme.
Ce calendrier change, enfin, la donne pour les chaînes gratuites. TF1, France Télévisions, M6 et Arte qui n'ont l'autorisation de programmer les films seulement 22 mois après leur sortie au cinéma, se font ainsi doubler par les plateformes. Mais elles conservent une exclusivité de diffusion du 22e jusqu'au 36e mois, c'est-à-dire que durant cette période les films en question seraient retirés des plateformes. Toujours selon "L'opinion", les chaînes pourraient signer des accords avec ces dernières pour ouvrir des "périodes de co-exclusivité" où le consommateur aurait le choix entre chaîne gratuite ou plateforme de SVOD. "Nous serons très vigilants sur le rapport de force entre ces grandes plateformes et les acteurs français", a prévenu Thomas Valentin, vice-président du groupe M6.