C'est la transition la plus spectaculaire de l'année. David Pujadas, ex-homme fort du 20 Heures de France 2, est, depuis la rentrée, la nouvelle tête de gondole de LCI. Chaque soir, de 18h15 à 20h, il accueille les téléspectateurs de la chaîne d'information du canal 26 dans "24h Pujadas", une émission de débat d'idée. De passage dans les coulisses de LCI il y a quelques jours, puremedias.com s'est entretenu avec David Pujadas.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : Vous qui êtes un commentateur et observateur avisé de l'actualité depuis plusieurs années, comment avez-vous vécu cette semaine avec les annonces successives des décès de Jean d'Ormesson et Johnny Hallyday ?
David Pujadas : Je l'ai vécue sur un plan émotionnel, surtout en ce qui concerne Johnny. Comme beaucoup, c'était "mon chanteur préféré", comme disent les enfants. C'est toujours intéressant de voir comment les Français se comportent. Ça dit quelque chose de l'humeur d'un pays. Ce matin, je voyais les obsèques de d'Ormesson. Il n'y a qu'en France que l'on verrait trois présidents de la République réunis pour rendre hommage à un écrivain et entendre un président en exercice parler de littérature comme il l'a fait. Donc, ces moments-là, ça nous redéfinit. C'est assez intéressant pour les journalistes.
Quand vous voyez des grands événements comme celui-là, les grandes éditions spéciales en direct ne vous manquent pas ?
Pas particulièrement sur ceux-là. Malgré tout, il y a une sorte d'unanimisme. On est beaucoup dans le registre de l'émotion. Mon tempérament journalistique m'amène un peu ailleurs. Je suis plus excité par l'enjeu d'une élection présidentielle ou d'un grand sommet international par exemple. Dans ces grandes disparitions, il faut bien reconnaître que les journalistes jouent beaucoup la comédie en se mettant au diapason de l'émotion populaire. Il y en a par contre qui sont de vrais phénomènes. Chez nous, c'est le cas de Jean-Pierre Pernaut par exemple, qui le traite de manière exemplaire. Dans "24h Pujadas", nous avons traité ces informations avec notre ton et notre façon de faire. On a fait des émissions ludiques et intéressantes. Sur Johnny, par exemple, j'ai parlé de la drogue, des addictions et de l'argent. Je ne sais pas si j'aurais pu le faire sur une grande chaîne censée être plus fédératrice dans ces moments-là.
"Il me tarde de me consacrer un peu moins à l'antenne"
Après trois mois d'antenne sur LCI, comment jaugez-vous l'installation de "24h Pujadas" ?
Déjà, toutes les personnes que vous voyez autour de moi, je les aies recrutées. J'ai constitué une équipe avec mon associée, Mathilde Pasinetti. C'est un travail passionnant de monter cela à partir de rien. Après, j'ai échappé à un bain quotidien pour replonger dans un autre bain quotidien. Un peu trop à mon goût (rires). Plus sérieusement, il me tarde de me consacrer un peu moins à l'antenne pour me consacrer à mes projets de production.
Finalement, votre quotidien d'aujourd'hui est plus harassant que votre quotidien il y a quelques mois, lorsque vous étiez au 20 Heures ?
Eh oui ! (rires) Dans toute aventure professionnelle, au bout d'un moment, vous connaissez les équipes par coeur, vous avez des automatismes. À France 2, les équipes sont beaucoup plus nombreuses, tout est démultiplié. On ne s'en rend pas compte quand on y est. C'est un luxe extraordinaire. Ici, il faut faire bien plus de choses soi-même, en petite équipe. C'est un tout autre sport. Disons que France 2 est un paquebot et que LCI est une Formule 1. Et on transpire beaucoup plus dans une Formule 1 que dans un paquebot.
Vous avez un cahier des charges ou une patte spécifique dans "24h Pujadas" ?
La patte, c'est d'être moi-même. Notre ligne éditoriale, c'est celle de la pédagogie et du débat d'idées. Par exemple, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par les États-Unis, vous ne comprenez pas pourquoi cela génère autant de tensions ? On va vous expliquer pourquoi c'est électrique. Mon grand slogan dans cette émission, c'est "chacun se fera son idée". Ce ne sont pas que des mots.
"Sur LCI, on cultive le clivage"
La concurrence est rude. Comment on se démarque face à d'autres programmes similaires comme "C dans l'air" ou "L'info du vrai" ?
Chez nous, il y a peut-être moins d'experts et un peu plus d'acteurs. On cultive le clivage, comme dans les autres programmes de la chaîne. On veut que des points de vue divers s'expriment. C'est notamment le cas sur les sujets relatifs à la laïcité, on a entendu des points de vue que l'on n'entend pas forcément ailleurs.
Vous pensez par exemple à l'intervention très remarquée de Yassine Belattar, qui a été reçu partout suite à son passage sur votre plateau ou à celle de Maboula Soumahoro sur les stages anti-Blancs ?
Oui, ce sont des opinions que nous n'avions pas entendues avant. On veille à cette pluralité des points de vue. Si on traite le SMIC, comme c'est le cas ce soir (interview enregistrée le 8 décembre, ndlr), il n'est pas imaginable de ne pas avoir un point de vue libéral, diversifié et, de l'autre côté, un point de vue très social. En revanche, ce ne sera pas une tablée d'experts qui vont disserter doctement en pensant tous la même chose. Notre différence, c'est le ton un peu plus vif.
Laïcité, stages interdits aux Blancs... Vous avez le goût des sujets polémiques ?
Oui, j'ai le gout de ces sujets. Ils sont très impliquants et recèlent de forts enjeux. Ce sont des sujets que l'on a souvent tendance à éviter dans les médias parce qu'ils peuvent effrayer. On a tendance à être trop souvent dans le consensuel. J'aime ces domaines-là mais pas seulement. Les questions régaliennes ou économiques me tiennent aussi à coeur. On a fait beaucoup d'émissions sur la réforme de l'impôt sur la fortune, par exemple, ce qui divise aussi fortement. On a quelqu'un qui est venu nous expliquer qu'il a quitté la France parce qu'il payait trop d'impôts. On a aussi quelqu'un qui est venu nous dire que la réforme est un cadeau fait aux riches. J'ai envie d'entendre les deux points de vue. Ça c'est mon journalisme.
"On s'en sort bien malgré des conditions de concurrence inégales"
"24h Pujadas" se classe régulièrement devant "L'info du vrai" d'Yves Calvi sur Canal+. Vous gardez un oeil sur les audiences ?
Oui, je regarde. Les audiences, quand ça va bien, on n'en parle pas. C'est un peu le cas. Il y a un côté presque miraculeux. C'est assez incroyable d'être devant Canal+ à cet horaire. Je regarde aussi les audiences de la chaîne. LCI a fait un bon mois de novembre. Globalement, la chaîne est au même niveau que l'an passé là où BFM perd un tiers de son audience. C'est logique, BFM est une chaîne qui fonctionne au news et CNEWS peine à remonter. Nous, notre petit handicap, c'est qu'on est sur la chaîne 26 et qu'il n'y a aucun appel de TF1 vers LCI. Quand j'étais sur France 2, je me faisais un devoir de renvoyer vers franceinfo, c'était le bébé, il fallait l'aider à grandir. TF1 n'a pas ce droit-là. On peut donc dire qu'on s'en sort bien malgré des conditions de concurrence inégales.
Quand vous voyez les scores de "C dans l'air" sur France 5, qui est un rendez-vous qui s'est installé sur le long terme avec un vrai noyau de fidèles, ça vous rassure ?
Bien sûr. Bon, nous ne ferons jamais les scores de "C dans l'air". Mais cette installation sur le long terme, c'est aussi une raison pour nous de cultiver notre différence, ne pas copier, trouver son propre ton.
Vous avez la nostalgie de l'entretien politique ?
En fait, j'en fais plus qu'avant ! Moins de longues sessions bien sûr. J'ai adoré cela. Après, une nostalgie, je ne peux pas dire ça. Ma condition de producteur change beaucoup de choses. Je suis dans un autre état d'esprit. Je démarre une toute autre aventure. Après, je continue de regarder "L'émission politique", ce sont mes amis.
"'L'émission politique' avec Jean-Luc Mélenchon était une très bonne émission"
Quand vous voyez Jean-Luc Mélenchon déchaîné dans "L'émission politique", vous n'avez pas envie d'y être ?
Non, pas forcément. J'en faisais une par an avec Mélenchon. À chaque fois, c'était le même scénario. En gros, on se disait que c'était une bonne émission et il nous allumait derrière. Quand j'ai vu les équipes, je leur ai dit qu'ils pouvaient être fiers. C'était une très bonne émission. Le fait que Mélenchon l'attaque, ça montre son importance et le fait qu'il a été éprouvé, mis en difficulté. C'est plutôt bon signe quand un politique repart en se disant qu'il a été bousculé.
Vous avez été associé à Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray lors de la première interview télévisée d'Emmanuel Macron. Au cours de celle-ci, vous avez à nouveau fait montre d'une certaine impertinence...
Je tiens déjà à préciser que cette entrevue n'était pas une revanche ! Après, c'est ma nature d'être impertinent. Il faut qu'il y ait un peu de spontanéité et de sourire dans ces interviews. Après, il faut que ce soit respectueux mais nous ne sommes pas là pour dérouler le tapis rouge au président de la République. C'est comme ça que j'ai toujours conçu les choses. Avec les années, ça devient de plus en plus naturel de le faire.
Il y a un an, vous étiez d'ailleurs vertement rabroués par Nicolas Sarkozy...
Oui, j'en ai pris de tous les côtés ! Si on reste planqué, il ne se passera rien. Moi, ce n'est pas mon truc. Il ne faut jamais le faire gratuitement ou pour se faire valoir mais il faut y aller quand on a de la curiosité.
"L'inquiétude qui monte à France Télévisions est saine"
Quel regard portez-vous sur les inquiétudes qui montent à France Télévisions ?
Je comprends l'inquiétude. Je crois qu'ils ont obtenu pas mal de garanties. L'actionnaire demande de faire des économies et il faut sans doute en faire. Après, on a pu avoir l'impression que c'était quand même l'antenne qui pouvait en être pénalisée. Cette inquiétude est saine, on a besoin d'un service public fort qui reste référent.
Vous pourriez traiter de la réforme de l'audiovisuel public dans votre émission ?
Oui. Honnêtement, j'essaierais de ne pas me mettre en avant et d'observer un devoir de réserve si ça devait être le cas. Mais l'audiovisuel public est un sujet qui touche tout le monde. Cela peut être un objet de débat. Ça l'était déjà il y a une vingtaine d'années. Ce sont des millions de personnes qui regardent cela tous les jours et c'est aussi une source d'accès à la culture.