Crise à "Envoyé Spécial". Vendredi 30 juin, le contrat du rédacteur en chef du magazine, Jean-Pierre Canet, n'a pas été renouvelé par la direction de l'information de France Télévisions, désormais incarnée par Yannick Letranchant. Ce dernier invoque plusieurs raisons pour justifier cette éviction, comme l'ont rapporté Le Monde et Arrêt sur images.
Jean-Pierre Canet paye d'abord de ne pas avoir informé en amont la direction de France Télévisions de la réalisation d'un reportage en Irak par les journalistes Véronique Robert, Stéphan Villeneuve et Bakhtiyar Haddad, journaliste et fixeur kurde. Tous trois ont trouvé la mort après l'explosion de mines à Mossoul lundi 19 juin. D'après Le Monde, c'est ce même jour et par une dépêche AFP relatant l'explosion, que Yannick Letranchant aurait appris qu'une équipe travaillant pour "Envoyé Spécial" était présente à Mossoul.
Produit par la société #5Bis Productions, ce projet de reportage a dû être monté dans l'urgence en raison de l'évolution rapide de la situation sur le front irakien. Jeudi 15 juin, Jean-Pierre Canet avait rencontré la société de production et validé le reportage. Sur le plan sécuritaire, les journalistes étaient, selon Le Monde, assurés via la compagnie Escapade, qui collabore avec Reporters sans frontières (RSF). Toujours d'après le quotidien, des contacts avaient également été noués avec des militaires irakiens et français. Jean-Pierre Canet avait aussi déclenché le protocole de sécurité applicable aux équipes travaillant pour France Télévisions.
Le rédacteur en chef et ses équipes n'ont cependant pas prévenu immédiatement la direction de l'information de ce tournage, préférant attendre le lundi 19 juin pour le faire, date du retour d'Elise Lucet, absente pour raisons médicales les jours précédents. Contacté par Arrêt sur images, Jean-Pierre Canet a reconnu une erreur de procédure vis-à-vis de la direction mais assume pleinement sa décision d'envoyer une équipe sur le terrain.
Interrogé pour sa part par Le Monde, Yannick Letranchant a de son côté déploré ne pas avoir été informé en amont. Il a cependant estimé que sur le fond, "l'évaluation des conditions de départ et de sécurité a été respectée". S'il avait été sollicité, "nous aurions peut-être, sans doute même, validé ce départ en reportage", a-t-il précisé à nos confrères.
De l'aveu même de Yannick Letranchant, l'éviction de Jean-Pierre Canet ne s'explique pas uniquement par ce non-respect de la procédure. "Nous nous posions déjà la question de son renouvellement", a-t-il ainsi indiqué au Monde. Le successeur de Michel Field compte ainsi revoir la ligne éditoriale de "Envoyé Spécial" dès la saison prochaine. Malgré de bonnes performances à l'occasion de numéros évènements, la nouvelle mouture du magazine davantage tournée vers l'investigation a globalement enregistré des audiences décevantes cette saison. Dès le premier trimestre, la direction de l'information aurait ainsi demandé à "Envoyé Spécial" d'élargir les thématiques de ses reportages, voire de traiter des histoires davantage "positives".
Une directive qui peut s'apparenter à un retour en arrière alors que la précédente formule incarnée par le duo Guilaine Chenu-Françoise Joly avait justement été critiqué en avril 2016 par Michel Field pour ne pas suffisamment faire la part belle au "grand reportage" et à l'investigation. C'est d'ailleurs ce constat qui avait présidé à la nomination d'Elise Lucet à la tête du magazine, et de Jean-Pierre Canet, créateur de "Cash Investigation", à sa rédaction en chef.
Symbole de cette inflexion, Sébastien Vibert, rédacteur en chef de "L'angle éco", a ainsi intégré au printemps dernier les équipes d'"Envoyé spécial" pour contribuer à sa rédaction en chef. Faisant partie des anciennes équipes de "Envoyé spécial" et "Complément d'enquête", il serait pressenti pour remplacer Jean-Pierre Canet à la rédaction en chef du magazine la saison prochaine. A France Télévisions comme souvent, il faut que tout change pour que rien ne change.