Sa quotidienne souffle ses deux bougies. Ce mercredi 25 janvier, "C ce soir" fête ses deux années sur la grille de France 5. A l'antenne depuis début 2021, l'émission incarnée par Karim Rissouli a su s'installer sur la chaîne de France Télévisions, en proposant du lundi au jeudi, des débats autour de l'actualité.
Et côté audiences, le programme a fait décoller les scores de la case de la seconde partie de soirée de France 5. En moyenne et en audience veille, "C ce soir" est regardée par 337.000 téléspectateurs, selon Médiamétrie, soit 3,0% de l'ensemble du public. Il s'agit d'une progression de 77.000 fidèles et de 0,9 point d'audience sur un an et sur la même période. La quotidienne a même signé récemment son record d'audience historique avec 567.000 personnes et 5,3% des quatre ans et plus. A l'occasion de l'anniversaire de l'émission, Karim Rissouli a accordé un entretien en deux parties à puremedias.com.
Propos recueillis par Florian Guadalupe
puremedias.com : Quel bilan tirez-vous de ces deux ans à la tête de "C ce soir" sur France 5 ?
Karim Rissouli : Je tire un bilan à 300% positif, notamment parce que nous avons su se réinventer. Si on nous avait dit il y a deux ans que l'émission se serait autant installée, à la fois en image et en audience, je ne suis pas certain que je l'aurais cru. Quand nous avons lancé l'émission, on nous a beaucoup comparé à "Ce soir (ou jamais)". C'était vraiment la question récurrente dans les interviews. Moi, je ne me suis jamais comparé à qui que ce soit. Je pense surtout que nous avons répondu à un besoin et que nous nous sommes installés comme une émission qui - je l'espère - pourra être une émission de référence, comme l'a été "Ce soir (ou jamais)" pour une génération. Donc, le bilan est vraiment positif.
Comment sont déterminées les thématiques de l'émission ?
C'est un mélange entre des choix que l'actualité va parfois nous imposer, parce que nous estimons qu'elle est suffisamment forte pour que nous puissions nous en saisir, et des choix de coeur et de responsabilité de la rédaction. Nous pouvons choisir des sujets qui ne sont pas toujours dans l'actualité chaude, comme l'Iran - même s'il y a toujours des condamnations en Iran et une révolution qui est réprimée et massacrée -, alors que nous pourrions continuer de feuilletonner les retraites. Donc, c'est vraiment le fruit d'un travail collectif. Le débat qu'on retrouve à l'antenne le soir, nous l'avons le matin en conférence de rédaction. Parfois les conférences de rédaction durent aussi longtemps que les émissions elles-mêmes. Tout le monde débat... Les programmateurs, les rédacteurs en chef, les stagiaires... Je vis beaucoup les émissions comme une aventure collective. Je pense que c'est comme ça qu'on est meilleur. C'est comme ça que, moi, je suis meilleur. Je me nourris de tout ce qui se dit.
"Si nous n'avons pas de valeur ajoutée et que nous allons faire le même débat que sur les chaînes infos, il ne faut pas le faire"
Comment trancher sur des thèmes qui peuvent être déjà abordés à longueur de journée sur les chaînes d'information ?
Concernant les thèmes, nous essayons de débattre de l'actualité, à condition de pouvoir lui donner du sens. La seule injonction que je puisse mettre aux équipes, est que si nous avons une valeur ajoutée, il faut y aller. Si nous n'avons pas de valeur ajoutée et que nous allons faire le même débat que sur les chaînes infos - qui font très bien leur travail -, il ne faut pas le faire. Si nous avons une raison d'être, c'est en ayant une valeur ajoutée. Sinon, la chaîne n'a pas de raison d'avoir une émission de débat tous les soirs. Il y a déjà "C dans l'air" et "C à vous". Il y a des programmes déjà très installés qui marchent très bien. Nous devons marquer notre différence.
Y a-t-il des thématiques que vous aimeriez davantage traiter ?
Oui. Déjà, il n'y a aucune thématique interdite. C'est quelque chose que nous avons appris avec le temps. Au début, nous nous rassurions un peu. Nous nous disions : "Un débat politique, nous savons faire. Un débat géopolitique sur l'Ukraine, nous savons faire". Mais avant, nous n'allions pas chercher des sujets comme le procès Johnny Depp-Amber Heard que nous avons fait. Nous ne serions même pas allés chercher le boycott de la Coupe du monde au Qatar, alors que nous en avons consacré plusieurs émissions. Je n'aurais pas fait le "France-Maroc", de ce que ça disait de l'identité et du rapport à l'histoire et à notre pays. Ne pas s'interdire de sujets est hyper agréable dans notre travail. Aujourd'hui, nous pouvons prendre tous les sujets et réussir à en faire un débat à la sauce "C ce soir", avec notre ADN, notre identité et notre ton.
"Je ne veux pas que ce soit simplement les sachants qui viennent délivrer leur parole"
Comment arriverez-vous à définir le ton de "C ce soir" ?
J'y pensais récemment. C'est compliqué de répondre à ça. Je pense quand même que le ton des émissions est aussi donné par les gens qui les incarnent. Ce n'est pas facile de parler de soi. Pour parler d'éléments objectifs, je pense que c'est varier les registres de parole. C'est l'une de mes obsessions quand nous fabriquons les émissions. C'est avoir sur le plateau un politique - et pas deux ou trois -, un ou deux intellectuels, des témoins de cette actualité-là, parfois un regard un peu décalé. On essaye de construire des plateaux polyphoniques. Déjà, ça, ça fait des émissions avec des tons différents. Ensuite, j'espère ne pas avoir le même ton que d'autres présentateurs. J'essaye de ne pas jouer à l'animateur et d'être le plus naturel possible, en apportant de la sincérité. Puis, il y a ce que je dis aux invités avant de commencer l'émission : qu'on sorte tous plus intelligents à la fin qu'au début, qu'on ait pu faire avancer le débat et que vous appreniez des choses en plateau. Je ne veux pas que ce soit simplement les sachants qui viennent délivrer leur parole. Quand je vois des pontes de la philosophie, de l'économie ou de la sociologie, réfléchir et interroger d'autres invités en plateau, je me dis qu'on a gagné quelque chose.
N'est-ce pas également un ton apaisé ?
Oui. Et quand on a dit "apaisé", beaucoup nous rétorquent : "Oui, un peu ennuyeux". Non pas du tout. Je pense qu'on peut être apaisé sans être ennuyeux et sans chercher le clash gratuit.
"Il faudrait que Pascal Praud et les autres viennent voir nos conférences de rédaction du matin"
Avec autant de débats par semaine, sur parfois des thématiques très clivantes, comment évite-t-on les polémiques ?
Pour le coup, ça, c'est mon travail. J'essaye de tenir ce plateau et de le faire redescendre quand il part pour de mauvaises raisons. Quand il part dans un antagonisme très profond pour de très bonnes raisons, je n'arrête pas la discussion à ce moment-là. Mais ce qui m'insupporte, c'est quand le plateau commence à ressembler soit à l'hémicycle de l'Assemblée nationale ou le Sénat, avec des jeux de rôles écrits à l'avance, soit quand c'est de l'invective personnelle. Ca, je ne le supporte pas. Nous ne refusons pas l'antagonisme, car il est très important. Je pense qu'il y a des antagonismes très profonds dont il faut débattre pour que la société aille mieux. Je pense que nous avons dans notre métier un rôle social et citoyen très important. Nous pouvons contribuer à réparer la société et à faire en sorte qu'elle se parle. Se parler, ce n'est pas s'insulter ou échanger avec des gants de boxe. Je crois beaucoup au rôle de médiation. (Il montre sa bibliothèque dans son bureau) Il y a 300 ou 400 livres. Je suis payé pour lire ces livres, m'intéresser à ces gens et les faire discuter. C'est une chance. Il faut que je le rende aux téléspectateurs.
Comment avez-vous réagi quand Pascal Praud avait qualifié en février 2021 votre émission de "propagande" et s'était plaint que vous ne receviez pas, selon lui, d'experts qui dénoncent "l'islamogauchisme" dans la société ?
(rires) A l'époque, j'avais remercié Pascal Praud. Nous n'étions pas encore installés. Ca nous a fait une belle promotion. C'est un très bon attaché de presse. Depuis, il a changé d'avis. Il m'a envoyé récemment un texto il n'y a pas très longtemps pour me dire tout le bien qu'il pensait de l'émission. Je pense que c'est une critique gratuite et totalement infondée. Un peu injuste d'ailleurs. Il faudrait que Pascal Praud et les autres viennent voir nos conférences de rédaction du matin. Notre obsession est vraiment que nos plateaux soient le plus équilibrés possible, idéologiquement, paritairement, etc. Il n'y a aucun propos interdit. Mais je pense que jamais je n'organiserai de plateaux qui déchirent la société, plutôt que d'essayer se faire se parler. Donc, les critiques sur l'islamogauchisme... D'abord, j'attends d'avoir des éléments concrets.
"J'ai l'ambition que 'C ce soir' aille toujours plus haut"
Avez-vous la pression des audiences pour "C ce soir" ?
Non. Paradoxalement, j'avais plus de pression quand je faisais "C Politique". Quand on fait une hebdomadaire, on vit une semaine avec son audience. Quand on fait une quotidienne, on sait que 24 heures plus tard, on aura une nouvelle audience et on peut se rattraper. Donc, je ne vis pas avec cette pression-là parce que la chaîne ne me met pas de pression d'audience. Peut-être aussi parce qu'on a dépassé nos espérances. Ca aide à ne pas avoir de pression. Mais, en réalité, je n'en ai jamais vraiment eu. (silence) C'est vrai qu'on a récemment battu notre record d'audience historique. Le lendemain, l'audience était un peu moins bonne, forcément. Mais elle était meilleure que la moyenne de saison. On reste un peu déçu... Mais on en veut toujours plus ! Moi, je ne me satisferais jamais qu'on est juste dépassé les espérances d'audience ou qu'on soit à un bon niveau. J'ai l'ambition qu'on aille toujours plus haut, avec nos deux jambes : la qualité de nos débats et les audiences. Je le dis aux équipes. Ca n'arrive pas souvent dans une carrière d'avoir à la fois le succès d'estime et d'audience. Profitons-en et continuons à travailler pour que ça continue. Je ne mets pas de barrières. Je pense qu'il y a encore plein de gens qui ne nous connaissent pas. Aujourd'hui, on fait des records au-dessus de 550.000 téléspectateurs. J'espère qu'on se reparlera pour les trois ans de l'émission et qu'on aura dépassé ces chiffres.
Cette seconde partie de soirée et France 5 donnent aussi plus de liberté.
Bien sûr. C'est une liberté formidable. Je pense que cette émission ne se serait pas installée sur une autre chaîne et à une autre heure. Elle est faite pour cette heure-là, avec ce rythme de débat conversationnel. C'est un luxe énorme. Nos amis de "C à vous" travaillent forcément avec une pression d'audience supérieure. Et ils y répondent très bien. Quand on est en access prime time, on est dans une concurrence de talks qui est beaucoup plus forte. Nous, nous n'avons pas cette concurrence-là et cette pression-là. Après, il faut en faire quelque chose.
Comment analysez-vous ces audiences en progression ?
Pour aller plus loin, je pense qu'il y a une demande de "C ce soir" dans la société. En tout cas, de ce type d'émission et de ce type de débats. L'actualité n'a jamais été autant anxiogène depuis très longtemps : crise climatique, crise économique et sociale, guerre sur le sol européen... Tous ces sujets, nous nous les accaparons. Nous essayons de leur donner du sens. Quand nous donnons du sens à une actualité anxiogène, immédiatement elle devient plus facile à supporter. Je pense vraiment qu'il y a une demande de sens dans la société. "C ce soir" répond à cette demande-là et c'est pour cette raison que ça marche. Il n'y a pas de raison que ça ne continue pas de marcher de mieux en mieux.
Suite de l'entretien à retrouver demain sur puremedias.com.