L'heure est au bilan. Aux manettes de la matinale de Franceinfo depuis août 2018, Marc Fauvelle a assuré une saison 2020 riche en événements, entre une élection municipale de plusieurs mois et une crise sanitaire inédite. Chaque matin et même pendant le confinement, il a maintenu son interview politique quotidien. Rendez-vous qu'il animera la saison prochaine aux côtés de Salhia Brakhlia sur Franceinfo. Afin de dresser un bilan de cette saison, le journaliste a accordé un entretien à puremedias.com.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Quel bilan dressez-vous de votre couverture médiatique à Franceinfo de ce scrutin atypique des municipales ?
Marc Fauvelle : C'était une drôle de campagne et elle n'a pas vraiment été une campagne. Lors du premier tour, je m'étais demandé si notre édition spéciale avait un sens. Plus la soirée avançait, plus je me disais qu'il n'y en avait pas. Nous sommes sortis de l'antenne sans savoir ce que nous étions en train de vivre. J'avais senti qu'il se passait quelque chose. Quelques heures pus tard, tout le monde avait été confiné. Quand je repense au débat du premier tour de Paris sur France 3, j'ai l'impression que c'est la préhistoire. J'avais posé des questions importantes sur le quotidien des gens, comme le logement à Paris. Et quelques semaines après, nous devions dire à l'antenne à plusieurs millions de personnes de rester à la maison. La campagne a été complètement oubliée pendant deux mois. Puis, elle n'a jamais vraiment repris. Cela s'est vu avec le fort taux d'abstention dimanche. Nous, nous avons continué à faire notre travail. Nous avons estimé que c'était important, tout en parlant du reste. Mais nous avons bien vu que la campagne intéressait moins de gens. Ça se comprend. Des gens ont perdu leur emploi. Certains sont épuisés car ils gardent leurs enfants depuis des mois et doivent travailler en même temps. Je ne jette pas la pierre à ceux qui ne sont pas allés voter dimanche. Ce qu'on a traversé depuis quatre mois est complètement fou.
"La crise sanitaire a écrasé tout le reste."
Est-ce que cela a été un défi de redonner l'appétit de la politique aux auditeurs après l'annonce du déconfinement ?
C'est difficile de répondre à cette question car nous ne faisons plus d'antenne ouverte depuis quelques semaines. Cela aurait été intéressant d'écouter les auditeurs sur leur vision de la campagne. Mais la crise sanitaire a écrasé tout le reste. Pendant quinze jours, tout le monde s'est demandé comment se procurer un masque et du gel et comment protéger les plus fragiles. Les gens avaient certainement la tête à autre chose.
Est-ce plus difficile pour une radio nationale de couvrir une élection locale ?
A Radio France, nous avons la chance d'avoir trois choses. Nous avons des bureaux en région, des radios locales de France Bleu avec plus de 700 journalistes, et l'un des meilleurs services "reportages" de France. Confinement ou pas, jour et nuit, il y avait des journalistes qui étaient sur le terrain. Ils s'arrêtaient dans les campings, dans les petites villes et dans les villages. Nous avons fait beaucoup de Paris, de Lyon et Marseille, mais nous avons aussi entendu des gens sur des scrutins locaux avec des enjeux locaux. Le service "reportages" ne s'est pas arrêté une journée. Et pendant le confinement, ils avaient leur attestation dans la poche, le masque et la perche pour parler aux gens à deux mètres.
Comment avez-vous couvert l'affaire inédite de Benjamin Griveaux, ancien candidat à la mairie de Paris et est-ce le signe définitif d'une américanisation de la politique française ?
Au début de cette affaire, nous avons été prudents. Il ne suffit pas que quelqu'un balance des vidéos intimes de quelqu'un d'autre pour que nous plongions. Nous avons beaucoup attendu. Nous ne voulions pas participer à une forme de lynchage médiatique, surtout sans être certains qu'il s'agissait de Benjamin Griveaux. En l'occurrence, c'est allé très vite. Benjamin Griveaux a rapidement reconnu qu'il s'agissait de lui sur les vidéos. Est-ce un signe d'américanisation ? Difficile de dire ça. Moi, je déteste ce mélange vie privée et vie publique. Les gens font ce qu'ils veulent quand ils sont chez eux. Il faut se battre pour cette liberté. Ensuite, il a sans doute commis une erreur en pensant que tout ça resterait dans la sphère privée. Mais je ne veux pas faire de procès moral à Benjamin Griveaux. Je me fous de connaître sa sexualité, comme de celles de tous les autres. La vie privée des gens ne m'intéresse pas... Je ne lis pas "Paris-Match" ! Je pense que c'est une barrière qu'il faut garder le plus possible. Après, c'est une barrière en zone grise. Mazarine Pingeot logeait aux frais de l'argent public. Nous ne sommes plus dans le cadre de la vie privée. Ces secrets ne doivent pas le rester. Enfin, je me fixe une règle de ne pas juger les gens sur des critères moraux. Ma seule règle, c'est la loi.
Est-ce que vous vous préparez à d'autres scandales de ce type et est-ce que ça change votre manière de travailler ?
Je ne me prépare pas à ça, car ce n'est pas très réjouissant. Ensuite, ça ne date pas d'hier que tous les coups sont permis dans une campagne électorale. L'américanisation de la vie politique, on en parle depuis une vingtaine d'années et ça n'arrête pas de changer. Beaucoup de personnalités ont également joué la carte "people". Ça fait gagner trois points de plus. Tout ça n'est pas très grave et tout le monde n'en parle pas. A Franceinfo, ça ne nous intéresse pas trop. Puis, tout ça n'efface pas le reste. Les Français sont intelligents. Ils ne votent pas en fonction de photos de politiques. Ce n'est pas ça qui fera gagner une élection. Mais c'est ce qui peut en faire perdre une, comme pour Benjamin Griveaux.
"Sur le coronavirus, tout le monde s'est planté... D'une manière ou d'une autre."
Quels ont été les défis éditoriaux imposés par la crise sanitaire qui a interrompu les élections municipales ?
Ce que nous avons le plus appris, c'est d'avoir la plus grande modestie face à l'information. Tout le monde s'est planté. D'une manière ou d'une autre. De ceux qui annonçaient une grippette en février à ceux qui nous disent qu'il n'y aura pas de deuxième vague aujourd'hui. Nous, au milieu de tout ça, il faut que nous disions que nous pouvons nous tromper. Ce n'est pas pour autant que tout est faux. Ce que disent les scientifiques en février peut être vrai à un instant t et être faux à un instant t+1. Trois semaines avant le confinement, j'avais reçu des membres du conseil scientifique qui assuraient que nous pouvions continuer à nous serrer la main. Puis, j'avais reçu les mêmes membres du conseil scientifique, un mois après, avec un masque ou en duplex au téléphone. La connaissance a évolué très vite. Nous avons dit pendant des semaines que les enfants étaient contagieux. Nous avons tous retenu ça au début. Puis, au bout de plusieurs études, il s'est dit l'inverse et nous avons pu déconfiner. Moi, je ne suis pas infectiologue. Je ne suis ni Raoult, ni Delfraissy. Mais je les écoute. Donc, au quotidien, ça nous oblige à donner nos sources, à essayer d'être honnête et parfois de dire : "Je ne sais pas".
Comment cette crise sanitaire a-t-elle fait évoluer votre manière de travailler ?
Elle a évolué gigantesquement ! Le matin, j'ai animé des matinales en studio avec une personne en face de moi au lieu de sept. Les autres étaient chez eux dans leur salon. Je parlais sans regarder dans les yeux. Nous nous sommes rendus compte que nous pouvions faire de la radio avec beaucoup d'énergie et des bouts de ficelle pour réaliser des choses formidables. La qualité du son était certes moins bonne. Mais ce n'était pas très grave, car nos auditeurs ont vécu comme ça également. La radio s'est mise au diapason du reste de la société. Nous avons fait de la radio à distance des uns et des autres, alors que normalement, c'est un petit cluster radiophonique. Nous sommes dans le même studio, il y a de la complicité. Nous nous sommes rendus compte que la technique importait peu. L'essentiel était ce que nous racontions.
"J'ai la bêtise de croire que nous écoutons une radio d'information pour nous informer."
Durant la crise sanitaire, il y a eu une forme d'hystérie en France autour de diverses polémiques, tels que celles liées à Raoult, à la distribution des masques, à une hypothétique deuxième vague ou à la création d'un vaccin. Les médias ont-ils eu une part de responsabilité dans cette hystérie ?
Je ne sais pas ce que c'est que "les médias". Moi, j'essaye déjà de m'intéresser à mes médias. A l'intérieur du mien, il y a au moins 100 personnes qui ne font pas la même chose et qui ne sont pas toujours d'accord. Le résultat qu'on entend à l'antenne est le fruit d'un consensus, d'un accord et parfois de désaccords. Alors, oui, il y a parfois une forme d'hystérie parce que tout le monde a un avis sur tout. Le dernier qui parle a raison. Je suis d'accord. Mais dire que ce sont "les médias" qui sont responsables... Une nouvelle fois, "les médias", c'est quoi ? C'est Franceinfo ? C'est "Le Monde" ? C'est CNews ? C'est Facebook ? C'est tellement de choses différentes que c'est impossible de répondre à cette question. Nous avons tellement de médias, qu'ils soient gratuits ou payants. En fonction de ce que nous choisissons, nous ne sommes pas informés de la même manière. Je lisais les propos d'un patron de chaîne dans un quotidien. Il disait que nous ne regardions plus les chaînes d'infos pour s'informer. Ah bon ?
C'était Serge Nedjar, le dirigeant de CNews.
Oui, tout à fait ! Moi, j'ai la bêtise de croire que nous écoutons une radio d'information pour nous informer. Même si nous recevons des notifications sur notre téléphone, nous avons besoin d'en savoir plus. D'accord, nous recevons un push : "Un laboratoire américain trouve un vaccin contre le coronavirus". Ça mérite que quelqu'un nous explique ce laboratoire. Est-ce qu'il est fiable ? Est-ce qu'il a déjà trouvé d'autres vaccins ? Quelle est la probabilité aujourd'hui que ça marche ? Quel est le rôle de l'industrie pharmaceutique dans ce qu'il nous annonce ? Est-ce que son cours de bourse a monté ? Il faut donner des clés. Nous sommes là pour ça. Je ne suis pas spécialiste de tout. Mais je sais m'entourer de bons spécialistes. Je ne tiendrai pas les mêmes propos que Serge Nedjar.
"Franck Riester n'est pas mon patron."
La saison prochaine, Salhia Brakhlia, journaliste de "Quotidien", rejoindra votre matinale pour l'interview politique. Comment s'est déroulé ce transfert ?
D'abord, c'est un bon choix. Salhia est une journaliste expérimentée, qui a fait des allers-retours entre les chaînes d'infos et les émissions d'infotainment. Elle est talentueuse et confirmée. Elle aime poser des questions, mais jamais pour faire le buzz. Cela fait longtemps qu'elle rêvait de nous rejoindre. Nous avons fait des pilotes pour voir comment ça se passait avec elle. Les essais ont été concluants. J'ai hâte que ça commence à la rentrée et d'avoir une nouvelle moitié de binôme. Je ne la connais pas très bien, mais tout le monde m'en dit le plus grand bien depuis qu'on sait qu'elle arrive. Je pense que ça va être une chouette aventure.
Dans ce rendez-vous politique, vous aviez reçu Franck Riester sur franceinfo en septembre 2019. Une interview qui avait été très offensive. Comment reçoit-on le ministre de la Culture lorsqu'on appartient à un groupe du service public ?
Exactement comme les autres. Ni plus, ni moins. Si vous avez eu le sentiment que j'avais été plus offensif avec lui, c'était peut-être le cas. Nous avons beau nous dire tous les jours que tout le monde doit avoir le même traitement, parfois, nous pouvons poser une question un peu plus impertinente. Mais nous le recevons comme tous les autres. Pour nous, Franck Riester est le ministre de tutelle. Mais ce n'est pas mon patron. Le mien, c'est Vincent Giret à Franceinfo. Celui à qui je rends des comptes, c'est Vincent Giret à Franceinfo. S'il y a un truc qui ne va pas, c'est Vincent Giret à Franceinfo. Et si ça se passe bien, c'est Vincent Giret à Franceinfo. Et je pense même que parfois, il reçoit des textos des politiques et il ne me le dit même pas. Il fait tampon.
"Nous ne voulions pas nous priver de Renaud Dély. Il est trop bon."
Seriez-vous tenté la saison prochaine par une aventure à la télévision ? Vous aviez participé à quelques numéros en 2016 de "C l'hebdo" sur France 5.
"C l'hebdo", c'était intenable ! Ça me demandait beaucoup trop de boulot ! Tout est chronométré dans ma vie, du dimanche au vendredi. A cette époque, si j'avais continué, je n'aurais plus pu voir mes enfants le vendredi. Donc, j'avais arrêté en cours de saison. Eux, ils l'avaient compris et j'étais parti en très bons termes. Ma priorité aujourd'hui, c'est la matinale. J'adore ça. C'est extrêmement chronophage. Ça ne s'arrête jamais. Et j'ai du mal à faire autre chose. J'ai eu des propositions, mais je n'ai pas envie que ça se fasse aux dépens de la radio. Si un jour une offre se présente, que je puisse faire à côté, et sans que ce soit chiant, pourquoi pas. Si un jour Anne-Elisabeth Lemoine me rappelle pour rejoindre sa bande, je pourrais y réfléchir. En tout cas, ce n'est pas prévu à la rentrée.
Fin août, vous serez donc toujours aux commandes de la matinale de Franceinfo. Aurez-vous des nouveautés ?
Comme je l'ai dit, Salhia Brakhia remplace Renaud Dély dans l'interview politique. Mais Renaud ne s'en va pas ! Il sera toujours à mes côtés dans la matinale entre 6h30 et 9h. Mais il sera de nouveau avec moi pour une nouvelle émission sur Franceinfo que nous allons lancer à la rentrée, juste après la matinale. Nous ne voulions pas nous priver de Renaud qui est l'une des voix fortes de Franceinfo. Il est trop bon. Nous serons donc entre 9h et 9h30 à l'antenne. La matinale va se poursuivre une demi-heure plus tard à la rentrée.