L'élection présidentielle américaine opposant Joe Biden à Donald Trump à 2020 était elle truquée ? Non. Pourtant, lorsque le public allumait sa télévision et se branchait sur Fox News au moment du scrutin et dans les jours qui ont suivi, il pouvait en douter. À l'antenne, les stars comme Tucker Carlson, Sean Hannity ou Laura Ingraham laissaient place aux théories niant la victoire du camp démocrate. L'une de ces théories en particulier pourrait leur coûter cher.
Les conservateurs et les éditorialistes de la chaîne comme Lou Dobbs ont laissé entendre que les machines de vote électronique utilisées pour le scrutin avaient pu être trafiquées. Une théorie qui n'a pas plu à l'entreprise Dominion Voting System, qui fournit lesdites machines utilisées aux USA pour comptabiliser les voix. Son image de marque salie, l'entreprise a annoncé attaquer Fox News en justice pour diffamation. Le procès devrait s'ouvrir mi-avril dans le Delaware. Dominion espère faire payer la chaîne conservatrice 1,6 milliard de dollars pour ses erreurs, mais pour ça, elle doit prouver de Fox News a délibérément menti aux Américains.
La bataille a déjà commencé. Chaque semaine depuis un mois, de nouveaux SMS, emails et échanges téléphoniques sont rendus publics. On y découvre les dessous de la vie dans la chaîne, les jeux de pouvoirs qui s'y jouaient. À la lecture des nombreuses preuves, on découvre les dessous d'une chaîne qui n'ont rien à envier aux meilleures séries politiques.
Parmi les messages déterrés, un message envoyé par Tucker Carlson, la vedette de la chaîne. Celui-ci y dit "haïr passionnément" Donald Trump mais craindre pour la chaîne s'ils ne jouent pas son jeu. "Ce qu'il sait faire, c'est détruire des choses. Il en est le champion du monde incontesté. Il pourrait facilement nous détruire si nous jouons mal", écrivait-il, le 4 janvier, deux jours avant la prise du Capitole par des supporters de l'ancien président. Difficile, donc, d'aller à l'encontre de ses propos sur la fraude sans risquer de se faire écraser.
À la lecture des nombreux documents relevés, il n'y a finalement que peu de doutes sur le fait que la chaîne savait qu'elle rependait des mensonges. Dès le 18 novembre 2020, elle avait obtenu des preuves que Sidney Powell, l'avocate de Donald Trump à l'origine de la rumeur sur une fraude, "mentait". Ce qui ne l'a pas empêché d'apparaître à l'antenne pour donner place à sa théorie. Rupert Murdoch, le président de la Fox Corporation et magnat des médias a d'ailleurs concédé lors d'une audition qu'il n'avait donné aucun crédit à ces théories. Pour n'a-t-il rien dit ? "Les mensonges étaient bons pour les affaires de Fox News", assure Dominion.
Une accusation confirmée par un email envoyé dans cette même période de remous par Suzanne Scott, la PDG de Fox News. Elle a explicitement demandé à ses équipes d'arrêter tout fact-checking sur les propos de Donald Trump, ceux-ci étant "mauvais pour les affaires" puisqu'ils déplaisent aux partisans qui regardent leur antenne.
Mouillée jusqu'au cou, la chaîne cherche tout de même à se défendre. La plainte de Dominion n'aurait pour but que de "salir Fox News et piétiner la liberté d'expression et la liberté de la presse". Malgré des preuves plutôt claires, l'entreprise assure que les éléments ne font sens que pris dans leur contexte. Elle juge aussi qu'il était légitime d'avoir couvert ces théories, au nom de la liberté d'informer.
Même si l'entreprise était condamnée, elle n'est pas prête de fermer boutique. La chaîne la plus regardée des USA, loin devant CNN, affiche une santé insolente. l'année dernière, elle a réalisé un chiffre d'affaires de 14 milliards de dollars. Même en cas de condamnation, "Fox News est une vache à lait. Ils vont simplement absorber la perte et continuer", assure auprès de l'AFP Mark Feldstein, professeur de journalisme à l'université du Maryland.
Mais au-delà de l'impact financier, c'est la confiance de la chaîne qui risque de prendre un coup. Une étude révélée par "Variety" montre que depuis le début du grand déballage, 21% des téléspectateurs fidèles à Fox News lui font moins confiance. Ce qui ne veut cependant pas dire qu'ils s'en détournent, seuls 9% des sondés annonçaient moins regarder depuis ces révélations.