100 millions d'euros de budget pour 9.000 heures de docs, dont la moitié en prime time. Voilà l'intense activité annuelle de France Télévisions en matière de documentaires, l'un des piliers de l'offre de programmes du service public. A la tête de cette énorme machine, on retrouve désormais Catherine Alvaresse. Depuis la grande réorganisation de l'état-major de France Télé, cette spécialiste du genre passée par Arte et France 2 est responsable de tous les documentaires diffusés sur les antennes publiques. Alors que France 2 s'apprête à diffuser des films animaliers le samedi soir face aux grandes franchises de TF1 comme "The Voice", puremedias.com a questionné Catherine Alvaresse sur ce choix audacieux de contre-programmation. L'occasion d'aborder avec elle la stratégie globale de France Télé en matière de documentaires.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : A quoi va ressembler votre nouvelle case documentaire du samedi soir ?
Catherine Alvaresse : Ce n'est pas une case mais plutôt un rendez-vous, dans le sens où il n'y aura pas de documentaires "Nature" toutes les semaines le samedi soir. C'est impossible à faire de toute façon vu le temps de développement que nécessitent ces films évènements. Mais il y aura bien désormais une proposition de documentaires d'histoire naturelle par salve de films, le samedi soir. Il s'agira d'une vraie contre-programmation destinée à des publics plus jeunes et familiaux.
Combien de films seront diffusés à l'antenne ?
Nous avons pour l'instant quatre films de 90 minutes. Il y aura deux films en co-production avec la BBC et deux productions purement françaises. Nous préparons déjà d'autres films.
D'où est venue cette idée de programmer du documentaire le samedi soir sur France 2 ?
Cela fait plusieurs années que nous y réfléchissons. Nous avions tenté l'expérience en avril dernier avec "Planète bleue", un film documentaire diffusé deux samedis en prime. Il avait bien marché* et cela nous a permis de toucher des publics plus familiaux et plus jeunes que d'habitude dans cette case. Nous étions en plus en complémentarité complète avec France 3 qui propose de la fiction dans cette case du samedi soir. Ceci étant dit, cela prend du temps de trouver les bons films et les bons projets. Et le samedi soir est une case difficile.
"Seul France Télévisions peut offrir ce type de documentaires"
Oui, vous aurez d'ailleurs face à vous sur TF1 de grosses franchises de divertissement, comme "The Voice", qui s'adressent aussi à des publics familiaux...
Oui, mais je pense que ces docs leur parlent autrement, grâce aux outils du service public. Seul France Télévisions peut offrir ce type de documentaires-là.
Avec cette contre-programmation, n'avez-vous pas peur de pénaliser "Echappées belles", qui mise aussi sur l'évasion chaque samedi soir sur France 5 ?
Non, d'abord parce que ce ne sont pas du tout les mêmes publics. Celui d'"Echappées belles" est un peu plus âgé. Ce ne sont ensuite pas du tout les mêmes offres. "Echappées belles", c'est de la découverte pure et incarnée. Ce n'est pas de l'histoire naturelle événementielle et sans incarnation, comme nous souhaitons en faire le samedi soir sur France 2.
Qui dit film évènement dit voix off très populaire pour les raconter ?
Oui. On s'est attaché les services de François Morel pour les deux films en partenariat avec la BBC. Il s'agit de "Félins", film sur cette espèce si particulière, et de "Chimpanzés, le combat des chefs", un autre film sur une tribu de chimpanzés au Sénégal. Concernant les deux films français, il s'agira du troisième volet du "Plus beau pays du monde", qui montrera cette fois l'écosystème des Alpes et sera raconté par Gérard Lanvin. On proposera aussi "L'odyssée du loup", un film produit par Jacques Perrin dans lequel on observera un loup né en Roumanie et parcourant 3.500 kilomètres jusqu'en Espagne pour fonder sa meute. Ce film sera cette fois raconté par Kad Merad. Pour cette case du samedi soir, nous planchons par ailleurs sur un film sur les requins, toujours avec la BBC, et un autre, qui s'appelle "L'autre loi de la jungle", qui racontera l'entraide animale. Tout ces films seront divertissants et spectaculaires, mais aussi scientifiques.
"On travaille actuellement à redéfinir les objectifs et les cases documentaires de France 3"
La case animalière du dimanche après-midi sur France 2 disparaît-elle du coup ?
Elle ne va pas demeurer. Cette case a été un peu ballotée ces dernières années du fait des nombreux changements apportés à la grille du dimanche de France 2. Elle ne correspond pas non plus à l'évènement que doit signifier France 2, la chaîne de l'évènement. Notre idée est plutôt de renforcer l'offre de films animaliers sur France 5 en 52 minutes. Attention cependant, ce n'est pas un transfert de case !
Pouvez-vous nous dire quelles sont les grandes différences d'identité en matière de docs selon chaque chaîne ?
Avec la réorganisation, l'idée est de renforcer la complémentarité entre les chaînes et la lisibilité pour le public. France 2 est la chaîne de l'évènement, y compris pour le documentaire. France 2, c'est l'écho de la société et du monde. Ce sont donc les gros primes comme "Histoire d'une nation" par exemple (diffusé en septembre 2018, ndlr). France 3, elle, est la chaîne des territoires. Nous restons évidemment sur une offre nationale mais qui doit correspondre à l'écho des territoires. Nous voulons notamment montrer les initiatives locales ou des histoires régionales qui rencontrent le grand destin national.
Garderez-vous les docs de France 3 sur des artistes de variétés le vendredi soir ?
On va retravailler la case mais on veut continuer à visiter de grandes figures culturelles, plus que "de variétés". Par exemple, on va bientôt proposer dans cette case un portrait total de Marcel Pagnol. C'est un bon exemple de ce qu'on veut faire sur France 3. C'est une grande figure régionale ayant un destin national.
Les autres cases de docs de France 3 bougeront-elles ?
On travaille actuellement à redéfinir les objectifs et les cases documentaires de France 3 pour qu'elles soient mieux identifiées. On a besoin de remettre à plat ce qu'on fait le lundi et le vendredi. Ca sera décidé dans les prochains mois.
"On va insuffler de la géopolitique dans 'Le monde en face' sur France 5"
La case du mardi soir de France 2 continuera à proposer du doc ?
Oui, on aura toujours du doc en prime le mardi, environ une fois par mois, comme depuis le début de la saison. "Infrarouge" restera aussi programmé le mardi en deuxième partie de soirée.
Et France 5 ?
France 5 reste la chaîne de ceux qui veulent apprendre, la chaîne de la connaissance. Les cases resteront inchangées, qu'il s'agisse du "Monde en face" le mardi, de la case Science du jeudi, ou de celle du "Doc du dimanche". On va donner des inflexions légères en insufflant par exemple un peu plus de géopolitique dans "Le monde en face" pour éviter d'être trop sur les mêmes sujets que dans "Infrarouges", qui est une case très tournée "société". C'est aussi ça la complémentarité des chaînes. Plus globalement, on veut aussi prendre plus de risques formels sur France 5. On veut par exemple ré-insuffler de l'économie, une thématique qui a été un peu laissée de côté ces derniers temps.
Comptez-vous "Netflixiser" l'écriture des documentaires de France Télévisions ?
Non, je ne pense pas. Ca ne veut pas dire grand chose selon moi. "Netflixiser", qu'est-ce que cela veut dire ? Faire des séries documentaires, faire du "True Crime" ? La vraie question est plutôt celle du développement de notre offre numérique de documentaires.
Que comptez-vous faire dans ce domaine ?
Dans l'unité documentaire que je dirige, deux conseillers de programmes numériques sont désormais intégrés pour travailler sur une offre numérique native de documentaires. Ce sont des films qui ne se consomment pas de la même manière que ceux prévus pour le linéaire, avec du binge-watching "à la Netflix". On va pouvoir travailler d'autres formes et d'autres écritures, notamment la série documentaire. Ce sera davantage une offre de plate-forme, qu'il s'agisse de france.tv, Slash voire Salto.
"On va avoir un pourcentage de 5% de notre budget qui va aller à cette offre numérique native"
Une enveloppe spéciale est-elle dédiée au numérique ?
On va avoir un pourcentage de 5% de notre budget qui va aller à cette offre numérique native.
Le budget du documentaire à France Télévisions est bien sanctuarisé pour les années à venir ?
Oui, il a été sanctuarisé et s'élève à 101 millions d'euros.
Quels sont vos gros projets de docs ?
Sur France 2, on travaille sur un projet sur la Révolution française avec une écriture nouvelle, en partie de fiction. Je ne peux pas encore vous en dire plus - car la production n'a même pas commencé - mais ce sera évènementiel. On planche aussi sur un doc de 90 minutes sur Notre-Dame de Paris en motion capture. Ce sera hallucinant visuellement. On aura des séquences de doc pure et des séquences de motion capture avec du dialogue. On suivra un jeune compagnon qui arrive sur le chantier de Notre-Dame de Paris en plein Moyen Âge. Ce film devrait arriver cette saison. Il y aura aussi une suite à "Histoire d'une nation". Avec l'immigration dans le premier volet, on parlait de la fraternité. Là, on va plus parler d'égalité dans le deuxième opus, et dans un troisième, de liberté. L'idée est de revisiter les valeurs de la République. On prépare aussi, sous la même forme de la grande fresque avec des archives et des témoignages, un doc sur l'histoire des indépendances et des colonisations.
La marque "Apocalypse" reviendra-t-elle à l'antenne ?
Oui, on va la retrouver cette saison avec l'histoire de la Guerre froide, un 6x52 minutes couvrant la période 1947-1989. On aura aussi un projet sur "Le front de l'Ouest" et la bataille de Dunkerque de 1940. Ce sera un unitaire, comme on a fait "La paix impossible" pour le 11 novembre.
"On ne peut pas parler de 'guichet unique'"
Pour France 3, quels projets ?
Le doc sur Pagnol. Nous avons aussi d'autres projets sur des figures culturelles mais je ne peux pas encore trop en parler.
Vous êtes désormais le guichet unique des documentaires à France Télévisions. N'est-ce pas un risque pour les producteurs ?
Non, on ne peut pas parler de "guichet unique". Comme je vous le disais, il y a tout d'abord deux conseillers numériques auprès de moi pour développer une offre numérique. Il y a aussi quatre pôles, avec à leur tête des directeurs et directrices délégué(e)s. Il y a ainsi un pôle "Histoire et culture", un pôle "Société et géopolitique", un pôle "Découverte et science" et un quatrième pôle "Co-productions internationales et achats," dont la mission est de renforcer la voix des documentaires de France Télévisions à l'international.
Ces directeurs délégués sont secondés par un responsable de programmes, qui est le point de dialogue avec la com', la programmation et les antennes. Il y a aussi des conseillers de programmes pour chaque pôle, affectés pour l'instant par case et par chaîne. Leur rôle est d'accompagner les projets et de veiller à la spécificité de chacune des cases. Car faire un film pour "Infrarouge" sur France 2 ou "Le Monde en face" sur France 5, ce n'est pas la même chose. Ces conseillers de programmes sont et restent les portes d'entrée pour les producteurs. Il n'y a donc vraiment pas de "guichet unique".
*2,4 millions de téléspectateurs, 12,6% de PDA, pour le premier numéro; 2,5 millions de téléspectateurs, soit 12,3% de PDA, pour le deuxième numéro, face à "The Voice" sur TF1 (Audience veille)