(5/5). Après Anne Viau de TF1 lundi, Fabrice de la Patellière pour Canal+ mardi, Anne Holmes, de France Télévisions, mercredi et Yann Goazempis de M6 hier, place pour ce dernier volet de la Semaine de la fiction de puremedias.com, à Olivier Wotling, directeur de l'unité fiction d'Arte depuis 2015. La chaîne franco-allemande propose toutes les semaines deux cases bien installées en prime time, dédiées à la création française et européenne : le jeudi pour les séries et le vendredi pour les unitaires. L'occasion d'en savoir plus sur le profil du public "artésien" et sur les prochains genres qui seront diffusés à l'antenne.
Propos recueillis par Christophe Gazzano.Quel bilan tirez-vous de la saison 2017/2018 ?
C'est un bon cru pour la fiction d'Arte. On a connu des records à plusieurs reprises, notamment récemment avec "Mélancolie ouvrière", qui a enregistré une des meilleures audiences de la saison pour un unitaire sur Arte, et la série norvégienne "Elven", à un haut niveau également. L'autre facteur important pour nous, c'est la sélection et les prix en festivals. Nous avons remporté de nombreuses distinctions à Luchon, "Ad Vitam" a décroché le prix de la meilleure série française à Séries Mania (festival des séries se déroulant à Lille, ndlr) et nous avons également eu deux prix pour la série italienne que nous avons co-produite, "Il Miracolo". L'audience a fonctionné de façon très satisfaisante et régulière tout au long de l'année avec des propositions aux univers, styles et thématiques variés. L'avantage est que l'on change assez vite de propos mais le risque est de ne pas avoir de continuité du fait de la variété des séries. Cependant, nous avons un public qui se renouvelle et qui répond à la diversité de ce que nous proposons.
"De plus en plus de réalisateurs de cinéma viennent à la série ces dernières années".
Quelle est la caractéristique des fictions diffusées sur Arte ?
Leur qualité et leur originalité, on espère (sourire) ! Notre obsession éditoriale est de faire des propositions qui se démarquent. Cette singularité ne passe pas tant par le choix des sujets que par celui des créateurs, c'est-à-dire qu'on privilégie davantage le point de vue de l'auteur, le monde qu'il va amener. De plus en plus de réalisateurs de cinéma viennent à la série ces dernières années. Cette année, on a eu Laetitia Masson, avec "Aurore", Philippe Faucon avec "Fiertés"... Nous avons eu en tournage cette année une série de Dominik Moll ("Eden"), une autre de Guillaume Nicloux ("Il était une seconde fois") et "Coincoin et les Z'inhumains" de Bruno Dumont, qui va être diffusé bientôt. On a finalement des univers visuels assez typés, assez marqués.
Arrivez-vous à caractériser le public "artésien" ou est-il lui aussi très divers ?
On ne réfléchit pas en terme de cibles, mais on prend en compte l'intérêt du public en se faisant un portrait robot du téléspectateur. Celui qui regarde les fictions regarde dans 80% des cas la chaîne les autres jours. L'"artésien" est très avide de documentaire et de cinéma. Il attend donc du fond, même si le plaisir doit aussi l'emporter. Nous avons besoin d'être en cohérence avec la chaîne en terme d'offre de fictions.
"Un feuilleton quotidien n'est pas du tout à l'ordre du jour"
Compte tenu du succès rencontré par les trois principales chaînes avec leurs feuilletons quotidiens, cela ne donne-t-il pas envie à Arte de se lancer dans un grand feuilleton quotidien européen ?
Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour. Je ne suis pas sûr que cela correspondrait à l'ADN de la chaîne. C'est peut-être aussi plus compliqué car nous sommes franco-allemands et qu'un feuilleton quotidien est ancré dans le quotidien d'une famille, d'un pays, d'une société...
Vous avez plutôt tendance à privilégier les mini-séries au détriment des séries au long cours. Pourquoi ?
Nous avons un public qui apprécie la diversité des propositions, plus que l'immersion au long cours dans un univers. On n'exclut pas de faire du plus long et du récurrent. Cela existe, mais c'est plus occasionnel actuellement. Les mini-séries nous permettent aussi de prendre des risques.
Vous êtes présent au festival de fiction de La Rochelle, qui se déroule en ce moment.
C'est un festival extrêmement important en terme de visibilité. C'est aussi là que nous faisons un point sur l'année qui s'annonce. Etant une chaîne de la diversité, nous apprécions l'existence de plusieurs festivals de fictions et séries en France. Ils ont des sensibilités différentes dans leurs sélections.
Que présentez-vous à La Rochelle ?
En compétition, une série, un 6x52', "Jeux d'influence". Il s'agit d'un thriller sur le lobbying et l'industrie agro-chimique réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, déjà auteur de "3x Manon" et "Manon 20 ans". Nous présentons également trois téléfilms, qui seront programmés cette saison : "Une vie après", réalisé par Jean-Marc Brondolo avec Frédéric Pierrot, Emilie Dequenne et Marilyne Canto ou la tentation et la peur pour un quinquagénaire d'abandonner sa vie établie pour refaire sa vie ; "Je sais tomber", d'Alain Tasma avec un jeune homme qui va faire une rencontre amoureuse qui va être le début d'une vocation pour lui et enfin "Jonas" de Christophe Charrier. C'est un premier film avec Félix Maritaud dans le rôle principal. C'est l'histoire d'un trentenaire qui mène une vie à la dérive et va revivre et surmonter un trauma qu'il a eu adolescent avec la disparition de son premier amour.
"Nous avons un budget de l'ordre de 30 millions d'euros"
Quel budget Arte consacre-t-il à la fiction cette année ?
A la différence des autres chaînes, ici, dans l'unité fiction nous faisons tout : la production française, les coproductions internationales et les achats étrangers. Pour toutes ces activités, nous avons un budget de l'ordre de 30 millions d'euros pour Arte France. Cela représente 30 heures de séries, 5 téléfilms, 2-3 coproductions internationales et 60 heures d'achats en séries étrangères. On essaie de représenter le meilleur de la fiction européenne, avec 13 pays représentés. Il n'y a pas du tout de fictions ou de séries américaines.
Arte se démarque par son tropisme scandinave...
Nous sommes réputés pour être scandinaves grâce à "Borgen" notamment. Mais on s'est considérablement ouverts en 2017 sur l'Italie avec "Squadra Criminale" et bientôt "Il Miracolo". Nous coproduisons avec l'Espagne, la série policière "Hierro", un pré-achat est en cours avec la télévision publique irlandaise RTE et nous aurons aussi une série tchèque. Le Danemark, la Norvège, la Suède, l'Allemagne ou encore la Belgique sont des fournisseurs plus récurrents. La diversité géographique et culturelle d'Arte passe aussi par tous ces pays.
"On ne veut pas être enfermés dans un genre"
Vous avez beaucoup exploré le créneau de l'anticipation dans vos séries ces dernières années et semblez vouloir vous en détacher.
Ce n'est pas tant qu'on souhaite arrêter, que de se dire que ça ne doit pas être une constante. C'est plus une indication vis-à-vis des producteurs afin qu'ils n'imaginent pas qu'Arte est la chaîne de l'anticipation. Etant donné que nous avons deux ans d'avance sur ce que nous diffusons, on est plutôt en train de chercher des genres différents par rapport à ceux que l'on propose à l'écran. On ne veut pas être enfermés dans un genre. De fait, il n'y a pas de projet d'anticipation à l'heure actuelle dans nos cartons. Par le hasard des propositions, on est partis sur d'autres thématiques, aussi bien les dramas, que les thrillers, ou encore le western contemporain avec "Fatale-Station" l'automne dernier.
En revanche, le genre de la comédie est davantage représenté sur Arte ces dernières années.
C'est un genre qu'on veut continuer de pousser, aussi bien côté unitaires que côté séries, même si c'est un peu plus compliqué d'avoir des projets de 26 minutes car nous n'avons pas de case dédiée. Notre idéal est de faire de la comédie sur des mini-séries de 45 minutes ou 52 minutes mais elles doivent pour cela cohabiter avec d'autres registres, comme cela a été le cas avec "Kim Kong" ou avec "Au service de la France", qui est passé à 30 minutes cette saison et que nous avons rendu plus feuilletonnant avec des histoires d'amour et des intrigues sur les faces cachées des personnages.
Une comédie sur Arte n'est sans doute pas la même que sur TF1...
Nous cherchons surtout des genres ou des registres de comédie différents, à l'image d'"Au service de la France" parce que l'autodérision est un genre qui est très peu pratiqué en France. Avec "Coincoin et les Z'inhumains" et sa saison 1, "P'tit Quinquin", on est dans le burlesque, on a même parfois l'impression d'être devant du cinéma muet. Comme ce sont des formats de 45' ou de 52', il y a toujours une dimension humaine, intime. On ne peut pas être dans de la comédie pure. Dans le cas de "J'ai 2 amours", l'histoire d'un homme bisexuel, ce sont des situations de vaudeville revisitées.
Quid des fictions historiques ?
Nous n'en faisons pas. "Mélancolie ouvrière", que nous avons diffusé il y a quelques semaines, est un peu l'exception qui confirme la règle. Il y a deux aspects qui justifient cela : d'abord la question financière et puis la question éditoriale. Arte est perçue comme une chaîne très documentaire avec par exemple du documentaire historique en prime time. On a donc toujours eu la volonté de se démarquer du reste de la grille sur les cases fiction. Quand on reçoit des sujets historiques, en général cela a déjà été traité sous forme de documentaire sur la chaîne.
Vous avez récemment déclaré vouloir aider des projets français à aller en coproduction internationale. Est-ce-que ce chantier avance ?
Oui, mais c'est un peu tôt pour en parler. Nous avons deux projets en cours de montage pour être co-produits par des partenaires étrangers, deux mini-séries de 6 et 8 x 52 minutes. C'est une ambition, mais le chemin est encore long. En tant que chaîne franco-allemande, on considère qu'un projet français doit être produit en français. Il faut convaincre des partenaires sur un projet majoritairement parlé en français.
Quelle est votre politique vis-à-vis du replay ?
Le replay occupe une place importante. Notre idéal est de faire du J-7, J+30. L'avant-première en replay attire beaucoup de curiosité. La série "Elven" par exemple, marche non seulement bien à l'antenne, mais est en train de battre notre record de vidéos vues. On en est actuellement à 1,7 million de vues à date, tous épisodes confondus. Quand ça marche très bien à l'antenne, ça marche très bien en délinéaire. C'est souvent proportionnel.
Quels sont vos rapports avec Netflix ?
Nous n'avons pas de rapports avec Netflix en tant que tel, contrairement aux producteurs, pour le financement de leurs séries. Beaucoup de nos séries sont achetées ou pré-achetées par Netflix ou d'autres plates-formes. On se réjouit car cela constitue un complément de financement important pour la production mais c'est avant tout la décision et la stratégie du producteur.
En conclusion, pouvez-vous nous citer trois gros rendez-vous de la saison fiction d'Arte ?
Le gros temps fort, sur lequel on mise beaucoup, c'est "Ad Vitam", un 6x52' de Thomas Cailley avec Yvan Attal et Garence Marillier, série d'anticipation mêlée d'histoire policière. La diffusion est prévue pour le mois de novembre. Côté séries étrangères, nous aurons "Au nom du père" ("Ride Upon The Storm"), série danoise signée par Adam Price, le créateur de "Borgen" qu'on a co-produite avec la télévision danoise. Je citerais aussi la mini-série "Thanksgiving", présentée à Séries Mania, signée Nicolas Saada avec Grégoire Colin et Evelyne Brochu, qui a joué dans la série "Orphan Black". "Thanksgiving" est à la fois une histoire de couple et une histoire d'espionnage, sur le soupçon mutuel qui se créée entre un mari et sa femme, avec la participation de Hippolyte Girardot.