BFMTV entre aujourd'hui dans une nouvelle ère. Quelques jours après ses adieux à RTL, ce lundi, dans le quartier de Balard à Paris, Marc-Olivier Fogiel prend officiellement ses fonctions de directeur général de BFMTV. Figure tutélaire de la chaîne info du groupe piloté par Alain Weill, Hervé Beroud, lui, monte en grade et supervisera désormais tous les médias audiovisuels et radiophoniques d'information. À l'occasion de cette passation au sommet entre deux chevronnés de l'information, qui sont aussi deux amis de longue date, puremedias.com s'est entretenu avec les deux hommes.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : Marc-Olivier, vous venez de faire vos adieux à l'antenne de RTL. Hervé, vous aussi, vous avez quitté cette maison en 2010 pour prendre la tête de BFMTV. Nicolas de Tavernost doit-il en déduire que sa station est l'antichambre des futurs patrons de BFMTV ?
Hervé Beroud : RTL est une excellente maison. L'un comme l'autre, nous sommes bien placés pour le savoir. Depuis sa création, on ne compte plus les grands talents qui sont passés par cette station. Certains sont aujourd'hui à l'antenne de BFMTV, d'autres sont ailleurs. Evidemment, les mouvements dans les médias font que l'on peut se tourner vers les talents de RTL qui, de par sa qualité, est un vivier. Mais il en reste beaucoup et RTL a bien sûr un grand avenir devant elle.
Marc-Olivier Fogiel : Comme je l'ai dit jeudi soir lors de mon départ, certes, il y a des gens qui partent mais il y aussi beaucoup de gens qui restent. En accord avec Hervé, je me suis employé à ne pas dépouiller RTL en partant. Nous avons tous les deux du respect pour cette maison et pour son histoire. Je reste attaché aux gens qui y sont et je leur souhaite une grande réussite. J'ai vu et aidé, à mon niveau, des gens à grandir dans cette rédaction qui a su se renouveler. Beaucoup de talents de demain sont à RTL.
"Il y a dix ans, le choix d'Hervé de rejoindre BFMTV m'avait étonné"
C'est à RTL que vos chemins se sont croisés pour la première fois, il y a trente-trois ans. Vous êtes deux enfants de cette radio, où vous avez, l'un et l'autre, débuté. Depuis, vos chemins ont divergé pour se retrouver aujourd'hui. Quel regard portez-vous sur le parcours respectif de l'un et de l'autre ?
Hervé Beroud : Nos parcours diffèrent mais nous sommes toujours restés proches. À nos débuts, je me souviens que j'avais été très vite étonné puis admiratif devant le comportement du jeune Marc-Olivier Fogiel, qui n'avait alors que 17 ans, dans la rédaction de RTL. Il passait ses journées à scruter et même à étudier l'information dans le bureau des flashs de RTL avec Dominique Martin. Il regardait comment se construisait l'information. Je n'ai jamais vu personne d'autre le faire comme ça. Ça disait toute sa passion pour la matière. C'est ce qui explique ce qui arrive aujourd'hui à Marc-Olivier, qui prend la tête de la première chaîne d'information de France. J'ai aussi été impressionné par sa capacité à épouser toute la largeur du spectre en travaillant avec Patrick Sabatier ou Michel Denisot, en se construisant seul à l'antenne puis en montant sa boîte de production. Il y a eu un moment où j'ai eu peur pour lui. Pendant les années "On ne peut pas plaire à tout le monde" à France 3, les polémiques étaient dures. En tant qu'ami, j'ai essayé de le soutenir mais ce n'était pas simple. Jusqu'à RTL, il y avait des gens qui étaient hostiles envers lui. Et puis, il a eu l'intelligence de prendre un virage en revenant vers les bases, l'information, à Europe 1 puis RTL. À la radio, il a creusé son sillon et acquis une pleine légitimité dans l'information en se montrant constant dans la qualité de ce qu'il a proposé. C'est donc logiquement que je me suis tourné vers lui en début d'année pour lui demander de me succéder à BFMTV.
Marc-Olivier Fogiel : Tout ce qui est arrivé dans son parcours, c'était déjà là lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a plus de trente ans. J'avais 17 ans et j'étais bluffé par la grande cohérence de ce que faisait Hervé, qui avait alors 22 ans. Il avait déjà une autorité naturelle, c'était déjà quelqu'un de très structuré. Pour moi, comme pour d'autres, c'était un repère fiable sur lequel on savait que l'on pouvait s'appuyer. Quand il a débuté au service des sports, je me suis reconnu dans son sens de l'information. Pour lui, le sport, ça ne devait pas forcément être à la fin d'un journal mais, au contraire, ça pouvait voire devait faire l'ouverture. Quand il a pris la tête de la matinale, il a inventé une nouvelle façon de faire de l'information le matin. On oublie de le rappeler aujourd'hui mais, avant, les matinales étaient bien différentes dans le rythme notamment. Il a ouvert une porte à ce moment-là. Porte que j'ai moi-même empruntée quelques années plus tard ! Je l'ai vu ensuite prendre la responsabilité de la rédaction de RTL. J'étais alors sous son autorité alors que nous étions amis et que j'étais supposé être une vedette de télévision. Notre relation amicale a été préservée car les choses se sont faites naturellement. Un peu comme aujourd'hui. Ensuite, lorsque j'étais à Europe 1, je l'ai vu partir à BFMTV. À l'époque, je regardais ça de loin mais ce choix m'avait étonné. Je m'étais simplement dit que s'il le faisait, c'est qu'il sentait qu'il avait quelque chose de sérieux à y construire. Dix ans après, à ma grande surprise, il me demande de venir apporter ma pierre à l'édifice alors que, symboliquement, il monte d'un étage. Son nouveau poste, avec la vision d'ensemble qu'il comporte, s'inscrit d'ailleurs dans la plus totale cohérence avec son parcours. Les étapes s'agencent parfaitement les unes à la suite des autres.
Hervé, vous allez prendre vos fonctions de directeur général délégué de Altice Média, chargé de l'information et du sport du pôle audiovisuel. Concrètement, quel sera désormais votre périmètre d'action ?
Hervé Beroud : Je vais m'occuper de superviser les BFM et les RMC, sauf RMC Découverte et RMC Story, soit tous les médias hors presse du groupe Altice qui relèvent de l'information : BFMTV, BFM Business, l'entité BFM Régions qui regroupe BFM Paris et bientôt BFM Lyon, le site BFMTV.com, RMC et RMC Sport.
"C'est Marc-Olivier le patron, c'est très clair"
Quel sera désormais votre degré d'implication dans BFMTV, que vous dirigiez depuis 2010 ? Vous allez laisser une pleine latitude à Marc-Olivier ?
Hervé Beroud : C'est Marc-Olivier le patron, c'est très clair. Je suis, pour BFMTV comme pour les autres médias que je vais superviser, un soutien, un facilitateur voire une alerte. Mon dialogue avec Marc-Olivier sera le même qu'avec les autres patrons de chaînes et de stations du groupe. L'une de mes missions, c'est d'ailleurs de les faire travailler ensemble. Le terreau de ce groupe bâti par Alain Weill, ce sont les synergies. Nous devons continuer de développer cela et l'accentuer là où c'est nécessaire. BFM Lyon, par exemple, sera un soutien pour BFMTV quand il y aura une forte actualité à Lyon. En définitive, je ne m'impliquerai pas plus sur BFMTV que sur les autres médias sous ma responsabilité.
Marc-Olivier, vous n'avez jamais caché avoir refusé des fonctions de cadre dirigeant en télé et en radio par le passé. Pourquoi avoir accepté la proposition de BFMTV ?
Marc-Olivier Fogiel : C'était la plus cohérente par rapport à mon évolution. Ce que j'aime depuis toujours, c'est l'info. Depuis onze ans, je le fais au quotidien à la radio. Diriger pour diriger, ça n'a pas de sens pour moi. Je ne cherche pas à avoir des galons, ce n'est pas ma quête. En revanche, je cherche une certaine logique dans ce que je fais. Travailler au service de la première chaine info, ça me parle. BFMTV est une référence, un repère. En fait, c'est un assemblage d'éléments qui m'a poussé à franchir le pas. Il y a la cohérence avec mon parcours et la dimension personnelle à travers le fait que la proposition soit venue d'Hervé.
Vous vous êtes fixé une feuille de route ?
Marc-Olivier Fogiel : Depuis deux mois que je viens ici pour travailler avec Hervé, Céline Pigalle, la directrice de la rédaction, Frank Moulin, le directeur adjoint de là rédaction, et rencontrer les équipes, la feuille de route c'est de faire les choses ensemble. Bien sûr, je vais prendre mon autonomie, comme j'ai toujours eu l'habitude de le faire, mais je veux m'inscrire dans la continuité du travail engagé ces dernières années et continuer à travailler avec les équipes. Je suis conscient de tout ce qui a été fait. Même si j'ai mes intuitions et mes envies, Hervé restera un référent. C'est parce qu'il me l'a proposé et qu'il reste dans le groupe que je suis venu. Et je ne veux en rien m'émanciper de ce qui a été initié. Ça n'aurait aucun sens de faire cela.
"C'était une évidence que je ne ferai plus d'antenne"
Vous avez pensé à apparaître sporadiquement à l'antenne de la chaîne ? Ou cette page là est tournée et vous avez le sentiment d'avoir fait tout ce que vous aviez à faire ?
Marc-Olivier Fogiel : Quand je suis allé à Europe 1 il y a onze ans, il y avait une compatibilité pour que je continue à faire de la télévision. J'avais pensé - et je pense toujours - que, pour bien faire quelque chose, il faut le faire complètement. Quand on tourne une page, il faut le faire franchement et sans la moindre ambiguïté. Pour moi, c'était une évidence que je ne ferai plus d'antenne. Même si j'ai adoré ces moments en première ligne, ça ne représente pas un sacrifice énorme. Durant mon expérience de producteur, j'ai pris beaucoup de plaisir à accompagner les autres. C'est aussi ce que j'ai fait dans mon parcours professionnel à RTL ces dernières années. Une grosse partie de mon boulot était hors antenne. J'ai commencé comme ça d'ailleurs. Je me souviens que lorsque j'avais appris la mort de Jean-Luc Delarue, il y a sept ans, mon premier réflexe avait été de booker des invités pour le journal de 12h30. J'ai continué de fonctionner ainsi et je vais aujourd'hui le redéployer au service de 300 personnes à BFMTV.
Hervé Beroud : On ne peut pas à la fois s'occuper des autres, surtout quand ils sont 300, et s'occuper de soi-même. Ça ne veut pas dire que Marc-Olivier ne refera pas de l'antenne un jour. Mais quand on a des responsabilités dirigeantes aussi importantes, c'est, comme le dit Marc-Olivier, une évidence.
Déménagement des locaux historiques vers l'Altice Campus, crise des Gilets jaunes et maintenant un nouveau patron. Comment les équipes, qui comptent beaucoup d'historiques en place depuis la création de la chaîne en 2005, appréhendent-elles ces nombreux changements en un laps de temps réduit ?
Hervé Beroud : En effet, le début de la chaîne, c'est 2005. D'ailleurs, il ne faut jamais oublier que BFMTV n'a que 13 ans. On a l'impression qu'elle est dans le paysage depuis toujours. Par exemple, prenez la dernière grande canicule, en 2003, BFMTV n'existait pas. Un certain nombre de journalistes sont donc effectivement là depuis le début mais ça n'est jamais que 13 ans. Ce n'est pas énorme par rapport à RTL quand on voit Bernard Glass qui part à la retraite après 45 ans de maison. Pour en revenir à votre propos, il est vrai que l'année a été rude. On a dû gérer en même temps un déménagement, qui est quelque chose de très lourd pour une chaine info, une clause de cession qui accompagnait l'évolution d'actionnariat et qui s'est soldée par le départ de 35 personnes à BFMTV et de près de 100 personnes dans le groupe. Il a fallu gérer ces départs, émotionnellement ainsi que dans l'organisation quotidienne, mais aussi leurs remplacements. J'en profite pour souligner que nous avons remplacé toutes ces personnes, ce qui n'est pas le cas partout. Mais le recrutement, ça demande du temps et des heures de travail qui ne peuvent être consacrées à autre chose. Là-dessus est arrivée la crise des Gilets jaunes, complètement inédite pour nous. Comme sur tous les grands sujets d'actualité, BFMTV s'est retrouvée en première ligne. L'hiver a été très compliqué pour nous tous. Il fallait gérer ce fil rouge de l'actualité, les critiques, les violences et finaliser notre déménagement et nos remplacements en même temps. Ça a débouché sur une période difficile au sein de la rédaction. À un moment, nous, les dirigeants de la chaîne, avons manqué de dialogue avec nos équipes. Elles nous l'ont signifié et on a travaillé ensemble à y remédier. Nous avons mis beaucoup de choses en place, dont un comité éditorial qui se réunit chaque semaine, et revu notre communication interne et externe. Des postes spécifiques ont aussi été crées.
"L'hiver est digéré. Marc-Olivier arrive dans de bonnes conditions"
Aujourd'hui, la crise étant passée, dans quel état d'esprit sont les équipes ?
Hervé Beroud : Nous démarrons l'été dans un bien meilleur état que celui dans lequel nous étions cet hiver. Cela permet à Marc-Olivier d'arriver dans de bonnes conditions. En échangeant avec les équipes, j'ai le sentiment que son arrivée est bien accueillie. Les gens, ici, l'écoutaient à la radio. Ils le connaissent. Et le journalisme est un petit monde. Quand ils ont appris la nouvelle de son arrivée, ils ont appelé leurs collègues de RTL et Europe 1 qui disent tous la même chose au sujet de Marc-Olivier. En discutant avec les uns et les autres, je vois que son arrivée suscite l'enthousiasme. Quant à l'hiver, il est aujourd'hui digéré. Les bases pour un nouvel élan à la rentrée sont donc posées.
Marc-Olivier Fogiel : J'avais lu comme tout le monde les différents éléments sur les remous à BFMTV cet hiver. J'apprécie les contacts que je peux avoir avec les uns et les autres même si, malheureusement, je n'ai pas encore pu voir tout le monde. Je sens qu'il y a une dynamique et qu'il n'y a rien de cassé par les événements de ces derniers mois. J'arrive dans des conditions optimales. Et je n'ai pas du tout le sentiment de devoir pacifier ou apaiser les choses.
LCI, la pionnière des chaînes info, vient de fêter ses 25 ans. BFMTV, qui a réinventé le genre, aura bientôt 15 ans. Marc-Olivier, quel est votre rapport aux chaînes info ?
Marc-Olivier Fogiel : Je suis un gros consommateur de ces chaînes. Je me souviens précisément de la naissance de LCI. J'étais à Canal+ quand iTELE a été lancée. Ces dernières années, dans ce que je faisais au quotidien à RTL, les chaines info étaient partout, surtout BFMTV. Je suis le premier téléspectateur de ces chaînes depuis longtemps. Je ne viens pas en terre inconnue. Je nourrissais mon 18h de ce que je pouvais voir aussi sur les chaines info. Pour autant, je n'ai pas essayé de faire du BFMTV à RTL, de la même manière que je n'essaierai pas de faire du RTL à BFMTV.
"J'arrive dans un média qui n'a pas besoin de moi"
À TF1, Thierry Thuillier et Fabien Namias ont pour défi de rendre LCI, qui était quasi-morte il y a trois ans, économiquement viable. BFMTV a une histoire très différente et une position de leader très affirmée qui lui permet d'être bénéficiaire. C'est quoi le défi quand on arrive à la tête d'une chaîne qui, globalement, va bien ?
Marc-Olivier Fogiel : C'est précisément la problématique intéressante dans laquelle je suis. J'aime faire des choses différentes. Quand j'ai rejoint Europe 1 il y a onze ans, le défi, avec Alexandre Bompard, c'était d'aider à sortir la station de la crise. Aujourd'hui, j'arrive dans un média qui n'a pas besoin de moi. La base est saine, solide et efficace. Mais l'idée, c'est d'essayer de progresser encore ensemble en amenant de l'innovation tout en étant dans la continuité. Finalement, c'est peut-être plus compliqué d'accompagner un succès déjà établi que de trouver le chemin de traverse dans une crise. Mais c'est très complémentaire avec ce que j'ai pu faire avant.
Hervé Beroud : Marc-Olivier sait ce qu'il veut. Il sait que les bases sont là et que l'ADN de BFMTV ne doit pas évoluer. En revanche, son regard et son souffle doivent nous permettre, à bientôt quinze ans, de continuer de nous régénérer. Il faut se renouveler tout le temps d'autant que, de plus en plus, nous devons créer des événements. Notre mission première demeurera toujours de les faire vivre mais, à côté de ça, il faut aussi les créer. C'est d'ailleurs ce que fait BFMTV depuis longtemps. Mais si quelqu'un est bien placé pour nous aider dans cette tâche, c'est bien Marc-Olivier.
Hervé, quand on est patron de BFMTV, est-on soumis quotidiennement à la pression des hommes politiques ? Marc-Olivier, vous qui connaissez déjà les politiques sur le bout des doigts, comment appréhendez-vous cela ?
Hervé Beroud : Au quotidien, je ne suis pas soumis à la pression des hommes politiques. Quand vous êtes patron de BFMTV, si vous voulez entendre parler de vous sans arrêt, ce n'est pas très compliqué. Il suffit de regarder les réseaux sociaux ou ce qui peut être dit ici et là dans les partis politiques. Je me suis imposé de garder un maximum de distance avec cela. Le statut de BFMTV, aujourd'hui, n'est pas toujours simple à vivre mais c'est aussi la preuve de notre succès, qui demande de s'accommoder avec cette pression qui est un peu diffuse et permanente.
Marc-Olivier Fogiel : J'ai été confronté à différents types de pression dans ma carrière. J'ai toujours su tisser des liens humains, pas forcément amicaux d'ailleurs, et conserver une totale autonomie. Mon métier c'est de faire l'info et le relationnel est l'un des outils pour y parvenir. Ça peut paraître anecdotique mais quand je faisais des émissions médias sur Canal+, à l'époque où elles avaient beaucoup d'importance, il y avait de gros enjeux industriels. Pourtant, il n'était pas question pour moi de ne pas parler de Canal+ et de ne pas faire mon métier. Quand les choses n'allaient pas dans le groupe, comme lors de la naissance d'iTELE, je l'ai dit, malgré mes liens amicaux avec la hiérarchie. J'ai gardé cela de la culture Canal. Le fait d'arriver à vivre dans un écosystème, d'avoir des relations les uns et les autres parce que ça nous nourrit, et en même temps faire mon métier sans le moindre compromis. Un fait est un fait, on ne va pas le distordre parce qu'on connait untel ou untel. Et je n'ai jamais déformé une réalité pour faire plaisir.
"Le jour où on ne parlera plus de BFMTV, ce ne sera pas bon signe pour BFMTV"
Marc-Olivier plusieurs articles de presse vous disent proche d'Emmanuel Macron. N'est-ce pas un handicap quand on sait que les rapports entre les politiques et les chaînes info alimentent de nombreux fantasmes ? On se rappelle que BFMTV a été qualifiée tout à la fois de "BFM Macron" et de "BFN" pendant la dernière présidentielle.
Marc-Olivier Fogiel : Il y a les fantasmes et il y a la réalité. Il se trouve que je connais Emmanuel Macron comme je connaissais François Hollande et Nicolas Sarkozy, voire même Jacques Chirac. J'ai une relation professionnelle avec eux. Je vois bien comment, aujourd'hui, on essaie de mettre le focus là-dessus de façon totalement disproportionnée. Je pense qu'il ne faut pas se détourner du quotidien. Il y a ce que l'on dit et ce que l'on fait. Je préfère me concentrer sur ce que je fais. On ne peut pas me prendre en défaut de mal faire pour de mauvaises raisons. Les fantasmes, j'en ai mon lot depuis longtemps. Aujourd'hui, c'est celui-là. Demain, ce sera un autre. Je n'ai jamais fait les choses en fonction des fantasmes. Si je l'avais fait, alors, j'aurais tout fait mal.
Hervé Beroud : Encore une fois, à BFMTV, si l'on agit en fonction des fantasmes, on perd la tête...
Comment faire justement pour remédier à l'image parfois dégradée dont souffre BFMTV, d'ailleurs souvent alimentée par les hommes politiques, et dont le mouvement des Gilets jaunes a été l'illustration ?
Hervé Beroud : Les Gilets jaunes, ça a certes été une crise virulente, durable, inédite et violente. Mais je suis là depuis dix ans et je peux vous dire que, la campagne 2017 a aussi été terrible. C'est là qu'il y a eu les "BFN" et "BFM Macron". Il y a aussi eu les accusations d'avoir été pro-Fillon pendant les primaires puis anti-Fillon lorsque l'affaire a éclaté. Nous entendions tout et son contraire, en permanence. La période des attentats aussi a été très virulente. Mais c'est le lot du média central aujourd'hui en France. Je le dis souvent aux équipes et ça n'est pas forcément simple à entendre : le jour où on ne parlera plus de BFMTV, ce ne sera pas bon signe pour BFMTV. Aujourd'hui, nous sommes dans la position qui a été celle de RTL et Europe 1 dans les années 1960 et 1970 et de TF1 dans les années 2000. Souvenons-nous que TF1 a été accusée d'être responsable de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002. C'était aussi ridicule que ce que l'on dit de BFMTV aujourd'hui. Il n'y a pas d'autre choix que de vivre avec. Ça n'empêche pas de tirer les leçons de ce qui ne fonctionne pas. Nous avons parfois commis des erreurs, pas seulement pendant la crise des Gilets jaunes. Il ne faut pas se fixer sur les critiques mais tirer les leçons pour progresser et garder son sang froid. Si aujourd'hui, BFMTV, c'est 50% de l'audience des quatre chaînes info et 10 millions de téléspectateurs par jour, après comme avant la crise des Gilets jaunes, ce n'est pas un hasard. L'image est dégradée auprès de certains mais il faut nuancer. J'ai lu dans un papier que BFMTV s'est mis à dos LES Français. Je n'avais pas remarqué ! Certains Français peut-être mais n'exagérons rien. Il est vrai que, dans la France d'aujourd'hui, il y a des fractures et que BFMTV est au centre de ces fractures. Mais on ne donnera jamais assez la parole aux Gilets jaunes aux yeux des Gilets jaunes et on ne rendra jamais assez compte de l'action du gouvernement aux yeux du gouvernement... Il faut faire avec mais on ne peut pas dire que notre image est aussi mauvaise alors que, chaque jour, autant de gens continuent de nous suivre.
"Mon objectif n'est pas de rendre BFMTV plus consensuelle"
Donc, Marc-Olivier, votre objectif n'est pas de la rendre plus consensuelle ?
Marc-Olivier Fogiel : Pas du tout. L'objectif, c'est de continuer à progresser, à faire de l'info avec rigueur et à ne pas se laisser polluer par tout ça. On ne va pas couvrir l'actualité pour faire plaisir à je ne sais qui parce qu'il faudrait améliorer notre image. Ce ne serait pas honnête et on ferait de la mauvaise information.
Hervé, vous vous êtes évertué à faire de BFMTV la "chaîne de l'événement". Quelle doit être la prochaine étape ?
Hervé Beroud : Il faut continuer de couvrir l'événement, aussi difficile que ce soit au quotidien dans une société ou chacun se créé son petit écosystème médiatique sur les réseaux sociaux. Sur Facebook ou sur Twitter, chacun vit dans son monde. Nous, on essaie de continuer de parler à tous en donnant la parole à tout le monde. Comme je le disais tout à l'heure, il faut aussi créer l'événement. C'est dans l'ADN de BFMTV. Cette chaîne est née médiatiquement avec le débat Royal/Bayrou en 2007. Aujourd'hui, ça peut être un débat politique mais aussi la finale de la Ligue des Champions ou encore un long format. Mais il est clair que, ce qui entretiendra le succès de BFMTV, c'est de gérer l'actualité quand elle se présente.
Justement, Marc-Olivier, vous êtes un homme de "coups éditoriaux". Votre interview de Brigitte Macron sur RTL en est la plus récente illustration. Vous allez mettre votre réseau et votre force de frappe au service de la chaîne et notamment de "19h Ruth Elkrief", tranche stratégique pour faire des coups ?
Marc-Olivier Fogiel : Evidemment, ca fait partie de mon quotidien depuis des années. Mais il faut, pendant l'été, que j'arrive à tourner la page de ce que j'ai fait précédemment pour arriver avec une certaine fraicheur et imaginer de nouvelles manières de créer l'événement. Car, l'événement, ce n'est pas de simplement imaginer les interviews importantes à décrocher. Je ne vais pas juste avoir un boulot de carnet d'adresse. Ce serait trop simple si un événement, c'était juste une personnalité.
"Créer l'événement nous demande plus d'efforts qu'il y a dix ans"
Finale de la Ligue des Champions, reportages long format sur des sujets variés... La prochaine étape finalement, c'est la transformation de BFMTV en chaîne semi-généraliste ?
Hervé Beroud : Notre format, c'est l'information. Quand on propose un 52 minutes sur la reine Elizabeth II et son business, c'est de l'information. La finale de la Ligue des Champions, c'est aussi de l'information. C'est notre ADN. Avec l'info, on peut et on doit créer encore plus. On a encore beaucoup de marge là dessus. Là encore, il y a un fantasme. BFMTV est et reste une chaîne info.
Marc-Olivier Fogiel : Comme le dit Hervé, BFMTV est une chaîne info et ça ne changera pas. Mais on peut varier les formats et la façon de faire de l'information. Chaîne info, ça ne veut pas dire toute la journée deux présentateurs qui accompagnent l'info. À la rentrée, doucement mais dans la continuité, les formats vont évoluer dans l'offre éditoriale. Il y a plein de petites choses, au quotidien, qui vont venir casser les rythmes. Depuis deux mois, avec Hervé Beroud, Céline Pigalle et Frank Moulin, nous nous sommes employés à travailler ensemble à voir comment faire avancer ces tranches en y amenant des choses différentes tout en étant parfaitement dans l'ADN de BFMTV, celui de chaîne info de référence.
Hervé Beroud : Il faut aussi signaler que la consommation de l'information évolue. En dix ans, le changement a été spectaculaire. Aujourd'hui, les Français viennent moins sur la chaîne info pour savoir ce qu'il se passe.Ils reçoivent les infos sur les smartphones et sur les réseaux sociaux. C'est donc à nous de les faire venir en créant d'autres événements qui s'inscrivent dans l'actualité. Ça nous demande évidemment plus d'efforts qu'il y a dix ans.
"La rentrée de BFMTV ? Des changements dans la continuité"
Vous parliez d'évolutions à la rentrée. Faut-il s'attendre plutôt à de gros changements ou à une parfaite continuité ?
Marc-Olivier Fogiel : Les deux ! Ce sera la continuité de ce qui est déjà en place mais avec beaucoup de choses différentes.
Parmi ces choses différentes, il y aura un nouvel habillage. C'est un marqueur fort des évolutions à venir ?
Hervé Beroud : Il est quasiment à terme. Nous l'avons fait évoluer ensemble depuis deux mois. Nous avons travaillé avec l'agence Gédéon et avec nos équipes pour le peaufiner. Nous sommes au bout de ce processus.
Marc-Olivier Fogiel : L'habillage représente bien tout ce que tout ce que l'on vient de dire. L'habillage améliore l'ensemble sans dénaturer et sans emmener le téléspectateur ailleurs. Il est en cohérence avec la façon dont on travaille ensemble.
L'orchestration des tranches va-t-elle changer ?
Marc-Olivier Fogiel : Les tranches seront plus franchement différenciées et mieux identifiées grâce à une promesse éditoriale plus marquée à chaque fois.
Une dernière question, plus personnelle. Ces dernières années, Marc-Olivier, vous avez mis en avant votre famille, notamment dans le livre "Qu'est-ce qu'elle a ma famille ?", et votre attachement viscéral à elle. Est-ce compatible avec le poste très chronophage de patron de BFMTV ?
Marc-Olivier Fogiel : J'ai deux enfants, Hervé en a trois. Ça veut donc dire que je pourrais en faire un troisième. Je sais qu'il a été un bon père de famille en plus d'être un bon patron de chaîne.
Hervé Beroud : Par nature, BFMTV c'est du temps. Ce sont 20 heures de direct par jour, sept jours sur sept. Cela fait neuf ans que je suis à BFMTV, j'y ai consacré beaucoup d'énergie et de temps mais ça n'a pas eu la moindre répercussion sur ma vie de famille.