Rencontre avec la "machine" Stéphane Bern. Entre ses nombreuses activités télé, radio et patrimoniales, l'animateur emblématique du service public a trouvé le temps d'écrire un livre. Avec "Piques & répliques de l'Histoire", il offre aux lecteurs une porte d'entrée dans l'Histoire à travers un recueil de bons mots de personnages illustres ou inconnus. A picorer sans modération, cette plongée savoureuse dans le "bel esprit" s'est déjà classée parmi les meilleures ventes. puremedias.com a rencontré l'animateur du service public dont le nom circule aussi avec insistance en cet agité mercato printanier.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Comment trouvez-vous encore le temps d'écrire des livres malgré tout ce que vous faites ?
(Rires) C'est une question que l'on me pose souvent. Disons qu'il y a des livres comme les romans, que j'ai moins le temps d'écrire. Mais les livres comme la collection des "Secrets d'Histoire" par exemple, je les écris l'été. Là au fond, c'est surtout une collection, une récollection de tout ce que je note en lisant. Il se trouve que je lis deux ou trois biographies par semaine. Je ne peux pas m'endormir sans lire. En fait, contrairement à l'image que j'ai, je ne suis pas du tout mondain ! Le soir, je suis chez moi, je mets un fond musical et je lis des bouquins d'Histoire, ne serait-ce que pour préparer mes "Secrets d'Histoire". Puisque rien ne se perd et que tout se recycle, j'en profite pour prendre des notes et noircir pleins de cahiers de citations. Ce sont eux qui m'ont servi pour écrire "Piques et répliques".
Avec ce livre, vous revenez à l'une de vos passions, le bel esprit. Ce goût du bon mot est-il particulièrement français ou universellement partagé ?
C'était ce qu'on appelait "l'esprit français". Ca se perd aujourd'hui. Il a été remplacé par ce que l'on appelle l'insolence ou l'impertinence. Car pour faire un mot d'esprit, il faut avoir de l'esprit, des mots et de la culture. Quand on reprochait à Napoléon, qui avait 27 ans au moment de conquérir l'Italie, son jeune âge, il répondait : "Vous verrez, dans quelques mois, j'aurai Milan". C'est ça le sel de l'esprit. Les gens ne l'ont plus. Quand vous voyez que la jauge est devenue l'impertinence sur les plateaux télé et le niveau "nabilesque"... On n'est pas vraiment dans le bel esprit.
Tout cela vient selon vous d'un affaissement du niveau culturel ?
Oui, d'une certaine manière. Les gens ne connaissent plus, ne lisent plus. Dans certains milieux oui ! Mais autrefois, tout le monde faisait des bons mots. On a recréé une fracture sociale et intellectuelle qu'on avait réussi à gommer grâce à l'école. C'est d'ailleurs pour cela que j'essaye de populariser l'Histoire auprès du plus grand nombre. Et puis, il faut remettre les choses dans leur contexte. Au 18e siècle, il n'y avait pas la télé, et on s'ennuyait ferme le soir venu. Une fois que vous aviez joué aux cartes, avant de se coucher, on écrivait. C'est comme ça que les mots étaient colportés.
Le dernier grand humoriste chef d'Etat, c'était le général De Gaulle. Il se retrouve aux toilettes, à l'entracte, avec Malraux, chacun devant un urinoir. Malraux veut faire un bon mot et dit au président : "C'était une belle pièce mon général." "Regardez devant vous Malraux", lui répond De Gaulle. C'est coquin et un peu grivois. Mais aujourd'hui, on va directement au grivois, avec ses gros sabots, dans les émissions de télévision. Quand Victor Hugo drague une fille et que cette dernière lui dit : "Monsieur, mon coeur n'est plus à prendre". Il lui répond : "Oh madame, je ne visais pas si haut". Tout est dit. On voit qu'il a envie de la "pécho" mais c'est dit de manière un peu plus élégante (rires). C'est ça que je regrette. Oui, j'en ai marre d'entendre "bite, couille" à chaque fois que j'allume la télé ou la radio. Je pense que l'esprit français, c'est autre chose.
Toute proportion gardée, François Hollande est-il un descendant de cette forme d'esprit, lui à qui on a souvent reproché de vouloir faire en permanence des bons mots ?
Oui, il a ça. Mais quand on est président aujourd'hui, peut-on encore faire de l'esprit ? Il reste quelques représentants de cette forme d'esprit aujourd'hui. Philippe Bouvard a cela. Laurent Ruquier aussi. Il a cette gymnastique intellectuelle extraordinaire qui fait qu'il rebondit tout le temps. C'est comme du sport. Un mot en amène un autre. La langue française offre tellement de possibilités...
Dans votre livre, vous semblez considérer que les réseaux sociaux ont contribué à cet abaissement. Pourtant, on aurait pu penser que Twitter pouvait par exemple devenir leur nouveau terrain de jeu ?
Le seul réseau social qui le permette, c'est Twitter en effet. Bernard Pivot par exemple, fait de très bons mots d'esprit en 140 signes. Mais de manière générale, c'est très rare !
Alors comment raviver cette flamme ?
J'essaye d'en donner le goût à mon humble niveau...
Avez-vous envoyé votre ouvrage au couple Macron pour les inspirer ?
J'ai oublié mais je le ferai dans quelques jours (rires). Mais ils n'ont pas besoin de moi pour cela.
Pourquoi n'étiez-vous pas présent lors de l'édition spéciale sur la passation de pouvoir sur France 2 ?
Je l'ai fait ! J'étais sur RTL. Je n'étais pas à la télévision pour une raison simple : je ne voulais pas que l'on me voie à l'image car j'arrivais de l'Eurovision. J'avais fait une nuit blanche et je suis rentré de Kiev au petit matin. J'ai donc juste fait la radio avec RTL qui me l'avait demandé. France 2 m'a épargné davantage qu'elle ne m'a privé d'antenne. Je n'étais pas en état d'être filmé.
Allez-vous présenter "Visites privées" la saison prochaine ?
Je serais bien en peine de vous le dire. Pour le moment, on se focalise sur tout ce que je vais faire cet été. Vous allez me voir le 13 juin en direct dans "Le village préféré des Français". Le vote est en direct pour la première fois. Vous me verrez ensuite le 14 juillet pour le concert de Paris. Vous me verrez aussi en prime dans "Soir de fête à Rio" cet été. On a suivi tout le carnaval de Rio, de façon assez ludique je dois dire (rires). Immersion totale, jour et nuit (rires). Et puis, il y aura huit émissions de "Secrets d'Histoire" sur "La Reine Margot", Marie-Thérèse d'Autriche, le Régent... Vous voyez donc, un été très chargé avec beaucoup de nouveautés.
Mais "Visites privées" va-t-elle s'arrêter ?
Non, nous ne sommes sûrs de rien. C'est un secret de polichinelle. Je tourne en ce moment des pilotes. J'en ai encore deux à tourner. La chaîne se réserve ensuite la possibilité de voir avec moi ce que j'ai envie de faire. Il y a quatre possibilités.
Pour France 2 ?
Pour France 2. Il y a peut-être d'autres possibilités pour d'autres chaînes... On m'annonce partout, c'est incroyable, surtout que je ne sais même pas moi-même où je vais ! (rires). Ca se décidera au plus haut niveau. Ca ne dépend pas de moi.
On vous annonce notamment à "C à vous"...
On m'annonce oui, à "C à vous". En tout cas, ce n'est pas à moi. "C à vous" mais ce n'est pas à moi (rires)... d'en décider. C'est à la présidence.
Ca vous intéresserait cependant ?
Ecoutez, j'ai toujours dit que c'était une de mes émissions préférées. Maintenant, est-ce que c'est compatible avec tout ce que je vais faire sur France 2 ? Il y a un certain nombre de projets très attrayants pour France 2. J'aimerais notamment mener à bien un projet en prime sur le patrimoine pour la rentrée. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus car nous en sommes au tout début de la réflexion. J'imaginais un binôme avec Lorànt Deutsch dans une sorte de roadmovie. On voyagerait tous les deux à travers la France .
Une sorte de "Métronome" (du nom de l'ouvrage à succès de Lorànt Deutsch, ndlr) dans toute la France ?
Une sorte de "battle" entre nous deux. Chacun défendrait ses monuments et ses villes mais ce n'est pour l'instant absolument pas abouti. En tout cas, il y a plein de projets. Ce qui me rassure, c'est que la chaîne a plutôt envie de compter sur moi. Mais nous ne voulons pas faire n'importe quoi. On va être honnête, l'émission "Visites privées" est d'une qualité exceptionnelle mais n'est pas à son bon horaire. Il faut donc changer les choses de toute façon.
Quel serait son bon horaire ?
Ce serait en deuxième partie de soirée si je suis franc (rires). Ce n'est pas l'après-midi. L'après-midi, c'est une télévision que les gens écoutent davantage qu'ils ne regardent. C'est une télévision d'accompagnement. Vous faites autre chose en même temps. "Visites privées" est une émission exigeante et d'une qualité incontestée mais qui n'est sans doute pas à son bon horaire. Il y a un projet de "Visites privées" en deuxième saison au cas où aucun des pilotes ne convienne au public. Mais il y a aussi des projets sympathiques parmi eux.
On vous a aussi annoncé sur Canal+ ?
J'ai renoncé. Delphine Ernotte m'a signifié qu'elle tenait beaucoup à ma présence sur le service public. J'ai donc l'intention pour le moment d'y rester .
Vous serez donc quoiqu'il arrive sur une chaîne du service public ?
Oui. On me verra et peut-être de façon un peu plus promue, plus présente. Je veux revenir à des choses que j'aime comme "Secrets d'Histoire" ou le "Village préféré" qui est l'une de mes émissions phare. Je suis le dernier animateur sur France 2 - je ne parle pas de France 3 ni d'évènement exceptionnel comme la Fête de la musique - qui n'enregistre pas mes émissions en studio à Paris, mais au contact des gens. Dans "Le Village", je rentre chez les gens. Il y a un contact incroyable et direct avec les Français que j'adore. J'apprends à faire du vinaigre, des biscuits. J'apprends à vivre la vie de tout le monde et j'adore ça !
La télévision ne sort pas assez des studios selon vous ?
Oui ! Elle est très parisianiste. Moi je suis un peu provincial et très terrien. Je me sens beaucoup plus à l'aise à la campagne, contrairement à l'image du type mondain que je peux véhiculer. Vous voyez des vrais gens lors de ces déplacements. Certains animateurs n'en voient plus ! Comment pouvez-vous raconter la vie des Français si vous ne la connaissez pas ? Moi, les gens me disent : merci de venir nous voir ! Venez nous voir ! J'aime ça et j'aimerais renouer avec ça. Une émission d'accueil où on ne reçoit pas des stars mais des gens.
Vous défendez d'ailleurs le patrimoine à la télévision...
Oui, et c'est pour cela que je suis attaché au service public. C'est la seule antenne qui me laisse parler du patrimoine à 20h50, de manière assumée. Je suis pour une télévision ludique, divertissante mais avec du fond. Ce n'est pas juste la rigolade, la galéjade. Vous savez, il y a un problème aujourd'hui à la télévision, c'est le ricanement général. C'est comme un bruit de fond. On ricane de tout alors que les Français sont attachés à un certain nombre de valeurs.
A qui faites-vous référence ?
A personne en particulier. C'est le fonds de commerce de plusieurs émissions de fin d'après-midi. Je ne le conteste pas mais j'essaye d'apporter autre chose. Et j'évite de tacler les autres animateurs, c'est trop facile. C'est un métier très dur, animateur. Chacun fait avec son image. Et quand on est animateur, on a autant de vie privée qu'un poisson rouge dans un aquarium. Les gens regardent tout. Vous n'avez plus de vie. Aujourd'hui, la vraie dictature est celle de la transparence.
Avec des "agents de la transparence" partout, armés de téléphones portables ?
Tout le temps ! Les gens vous filment, rapportent vos propos, les déforment, les amplifient. Je suis de nature plutôt franche et spontanée. Ce que je dis peut donc prendre parfois des proportions et une résonance incroyables ... Mais qu'est-ce que cela veut dire au fond ? Que l'on va devenir insipide et se taire ? Je préfère avoir mon franc parler. Ce qui est formidable dans cette immédiateté de l'information, c'est qu'une guerre chasse l'autre. A un moment, vous prenez tout dans la figure et la semaine d'après, c'est quelqu'un d'autre. En ce moment, on est tranquille, c'est ce pauvre Cyril (Hanouna, ndlr) qui prend tout dans la figure. Je n'ai d'ailleurs jamais pensé qu'il était homophobe... Comme beaucoup de gens, il vaut mieux que ce que l'on raconte sur lui. Mais dieu que ça va vite aujourd'hui, ça va très vite...