A quoi joue M6 ? Dans un marché publicitaire atone (-3% d'espaces vendus en 2012 par rapport à 2011, -4% sur les seules chaînes historiques), la Six a décidé de revoir ses pratiques commerciales afin de relancer ses recettes dans une année 2013 qui s'annonce difficile. La Six table sur un marché en décroissance de 7% tandis que le groupe TF1 prévoit carrément un recul de 3 % de l'ensemble de ses revenus en 2013.
Robin Leproux, le nouveau patron de la publicité à M6 qui a pris ses fonctions au printemps 2012, s'est lancé dans "une petite guerre sur les prix", dixit un spécialiste du marché. Pour M6, l'objectif est clair. Chaîne historique dont les audiences ont le mieux résisté à la poussée de la TNT, M6 en a marre de subir la crise. Son chiffre d'affaires publicitaire a reculé de 4% en 2012, soit un manque à gagner de 29 millions d'euros par rapport à 2011. Certes, c'est mieux que TF1 et France Télévisions dont les recettes publicitaires ont reculé de 101 millions et 55 millions d'euros, respectivement. Mais, aux yeux de la filiale du géant Bertelsmann, cette meilleure résistance ne reflète pas la santé de la chaîne qui a affiché la plus forte progression du PAF en 2012, gagnant 0,4 point quand TF1 en perdait 1. Alors que les écrans publicitaires ne sont pas pleins, début d'année oblige, la Six a décidé d'être plus agressive dans ses tarifs. Copiant la stratégie bien connue des grandes surfaces, elle accepte de vendre moins cher ses spots dans le but d'en vendre en plus grande quantité.
Nicolas de Tavernost , le patron de la chaîne, ne s'en cachait pas. Dans une interview publiée dans Les Echos en janvier, il expliquait : "La seule chaîne M6 représente actuellement 20% du marché publicitaire télévisuel français alors que notre principal concurrent en représente environ 43% : de plus en plus de clients sont conscients de notre force mais cet écart n'est pas le reflet de l'état de nos audiences respectives, nous pouvons donc gagner des parts de marché". Pour gagner du terrain, la régie de M6 a donc décidé de faire des offres commerciales davantage attractives.
La chaîne a notamment développé des offres commerciales inédites. Par exemple, elle a proposé, au début du mois, l'achat de dix spots de trente secondes à 950€. Des tarifs très inférieurs aux pratiques en vigueur, "dignes de la TNT" selon des concurrents visiblement très agacés qui voient dans cette offre un risque de "casse du marché". "Il faut relativiser un peu cette offre qui est limitée à dix annonceurs seulement et sur une période limitée de dix jours, décrypte Philippe Nouchi, directeur de l'expertise média à Reload (Vivaki/Publicis Groupe). Le tarif affiché est bas pour M6 mais un tiers des spots de ce pack est diffusé sur W9. Et sur M6, il y a du prime mais aussi des spots en journée et la nuit. C'est donc intéressant pour un annonceur oui, mais ce n'est pas aussi peu cher que l'annonce le laisse penser." En revanche, cette offre illustre la nouvelle stratégie de M6 en matière de tarifs.
Fait le plus grave aux yeux des concurrents, M6 aurait décidé une baisse générale de ses prix. En télévision, sur TF1 et M6 en 2012, pour un spot commercialisé 60.000 euros, la transaction est en réalité bien moins importante, de l'ordre de 26.000 euros, ce qui correspond alors à un taux de négociation de -57%. "Ils ont abaissé leur taux de négociation de cinq points, se plaint un concurrent. A long terme, la stratégie ne sera pas payante car c'est une perte de valeur qui affecte l'ensemble des médias, et pas uniquement la télévision. Quand on baisse les prix, on n'arrive jamais à les faire remonter". Un autre dénonce des succès à court terme, réalisés dans une période creuse au niveau publicitaire : "M6 a établi sa stratégie cet automne quand ses audiences étaient bonnes, en pensant que les baisses de prix seraient compensées par de bonnes audiences. Mais les nombreux échecs enregistrés depuis janvier rendent la pratique dangereuse, y compris pour les finances du groupe."
Du côté de M6, on confirme avoir accordé davantage de remises depuis le quatrième trimestre 2012, "mais c'est une tendance ponctuelle et, contrairement à ce que disent nos concurrents, on ne casse pas les prix". La chaîne souligne par ailleurs que "sur les neuf premiers mois de 2012, TF1 et M6 ont eu un taux de négociation équivalent (à -57%, NDLR), un fait historique et qui montre que l'effet de chaîne leader n'existe plus."
Pour l'heure, à court terme donc, ces nouvelles pratiques commerciales semblent porter leurs fruits malgré la baisse d'audience constatée sur M6 ces dernières semaines, notamment sur la tranche stratégique du prime time. En effet, les investissements publicitaires ont progressé de 12% en janvier selon Kantar, alors que TF1 (-4%), Canal+ (-3%) et France Télévisions (-27%) étaient en baisse. "Mais ces chiffres sont bruts, c'est-à-dire qu'ils ne tiennent pas compte des remises accordées par M6 Publicité. Or, c'est la régie qui en accorde le plus en ce moment", nous indique un observateur avisé. Si M6 "s'attend à une année difficile", TF1 a d'ores et déjà indiqué connaitre un début d'année préoccupant avec un chiffre d'affaires publicitaire en baisse de plus de 10%. Empêtré dans ses problèmes de ressources, France Télévisions s'attend elle à une année "très difficile" alors que France 2 et France 3 vont devoir proposer davantage de rediffusions, ce qui impacte déjà l'audience des chaînes publiques.