France 2 fait sa rentrée politique. Ce soir, Léa Salamé et Thomas Sotto prendront les commandes de la première de "Vous avez la parole", le programme qui succède à "L'émission politique". Ce soir, face aux deux journalistes, c'est Xavier Bertrand, dont la parole est rare dans les médias, qui inaugurera la nouvelle formule de l'émission politique de la Deux. Alors qu'il est promu co-présentateur de l'émission, Thomas Sotto, qui est aussi le joker de Laurent Delahousse au "20 Heures" week-end et l'un des nouveaux visages de RTL, a répondu aux questions de puremedias.com.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : Pourquoi cette nouvelle formule et ce nouveau nom ?
Thomas Sotto : Quand on regarde en arrière, on s'aperçoit que l'émission politique de référence du service public a toujours évolué. Ça a été "100 minutes pour convaincre", "Des paroles et des actes", "L'émission politique". Je pense fondamentalement qu'une émission, c'est comme une langue. Elle évolue. Chaque année, toutes les émissions essaient de saisir ce qui est dans l'air du temps. En l'occurrence, pour ce qui nous concerne cette année, j'ai l'impression qu'il y a un besoin d'entendre et de voir les gens se parler. Avec Léa Salamé, nous l'avions beaucoup ressenti lorsque nous avions fait le débat à 23 au mois de janvier. Avant cela, nous avions peut-être trop tendance à ne pas suffisamment écouter des points de vue différentes. Il y a aussi eu un renouvellement de la classe politique et il y a peut-être désormais moins d'invités capables de tenir deux heures d'émission. C'est une opportunité.
C'est donc terminé le grand oral de l'invité ?
La première partie comportera toujours des questions à l'invité. Par exemple, pour la première, nous attendons beaucoup de Xavier Bertrand. Il y a beaucoup de choses que nous avons envie et que nous allons lui demander. Dans la première partie, l'invité déroulera toujours le fil de l'actu. Il aura un buzzer sur lequel il pourra appuyer pour donner son point de vue sur un fait d'actualité. Un sujet extérieur est également tourné avec l'invité. Grosso modo, toute cette première partie durera environ 45 minutes. Ensuite, dans la deuxième partie, il va rejoindre quinze autres personnes. Et là, on retrouve la configuration du mois de janvier où chacun est à son pupitre.
"On ne s'interdit pas de refaire du face-à-face"
Vous systématisez donc le débat ?
Oui, cette deuxième partie d'émission sera celle du débat et de l'expression d'opinions divergentes. Pour cette première, nous aborderons trois grands thèmes inscrits au coeur de l'actualité. Il y aura les retraites et le malaise social, l'immigration et enfin la gouvernance et l'exemplarité. Face à l'invité, il y aura des profils très divers. Ce soir, nous aurons par exemple Gabriel Attal, Philippe Martinez, Natacha Polony, Isabelle Saporta, Jordan Bardella mais aussi une infirmière urgentiste et une maire d'une petite ville. Brice Teinturier et Nathalie Saint-Cricq feront aussi partie des quinze. C'est un grand mélange. Ce serait prétentieux de dire qu'on va faire une micro-société sur le plateau mais on tend vers cela. On veut que ceux qui n'ont pas la parole puissent l'avoir et qu'ils puissent échanger avec ceux dont ils estiment qu'ils l'ont trop. L'idée, c'est que personne ne soit en majesté. C'est la version 2019 de "Droit de réponse".
En fait, "Vous avez la parole", c'est "L'émission politique" post-Gilets jaunes ?
Bien sûr. Je ne dis pas "Gilets jaunes" parce que je considère que les Gilets jaunes nous ont montré quelque chose de plus large que ceux qui enfilent un gilet jaune le samedi. Ce qui s'est exprimé, c'est un besoin de visibilité, d'écoute et de dialogue. J'entends les critiques qui ont été faites aux journalistes. Quand on nous dit qu'il y a des choses que l'on ne voit pas, c'est vrai. Il y a des choses qui passent sous les radars. Prenez l'élection de Donald Trump. Nous étions tous persuadés qu'Hillary Clinton serait élue parce que nous avions le prisme new-yorkais. Là, on veut sortir des prismes.
Ça faisait moins sens d'avoir un face-à-face emblématique entre deux politiques ? Il y en a eu un certain nombre sur ce plateau.
Oui mais on ne s'interdit pas de le faire dans l'année. On veut garder de la souplesse. L'idée, c'est de ne jamais être excluant. On peut s'adapter à tout. Notre plateau, hyper-modulable, nous permet de tout envisager. Et, éditorialement, tout est possible. D'ailleurs, l'année dernière, si vous regardez bien, il n'y a pas deux émissions qui se ressemblaient. À part peut-être les émissions sur Edouard Philippe et Marine Le Pen qui étaient sur le même moule. Pour le coup, je crois que cette souplesse, c'est l'une de nos réussites de la saison passée.
"Il y a eu trop de contraintes sur les deux émissions spéciales Européennes"
Un débat à seize dans chaque émission, est-ce que ce n'est pas courir le risque de la cacophonie ?
Sur l'émission spéciale "Gilets jaunes" l'année dernière, avec plus de vingt invités, nous étions trop, c'est certain. Mais il n'y a pas eu de cacophonie. La frustration, ça a été pour les invités qui n'ont pas pu assez parler. Là, je crois que c'est le bon dosage mais nous verrons le retour d'expérience vendredi matin.
Mais tout le monde n'est pas sur un pied d'égalité entre un professionnel de la politique rodé à l'exercice qui sait parfaitement tenir le crachoir et une infirmière par exemple.
Notre rôle, c'est de veiller à ce chacun parle. Nous n'invitons pas les gens pour faire de la figuration. Après, les téléspectateurs perçoivent bien les attitudes des uns et des autres. Ils savent reconnaître les "bouffeurs de micro". Mais il faut aussi avoir conscience que l'exercice est déstabilisant pour tous. Par exemple, si vous reprenez le débat "Gilets jaunes" de janvier dernier, il était très éteint. Tant mieux. Ça permet aux politiques de sortir de leur vouloir. Quand vous avez Evelyne Libéral qui prend à partie Marlène Schiappa, elle ne s'y attend pas. On sort du jeu classique entre journaliste et politique. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que les moins à l'aise soient ceux auxquels on pense spontanément. La preuve avec Evelyne Libéral, pas habituée aux plateaux de télé mais qui a crevé l'écran.
Sur les six émissions de la saison dernière, il y en a-t-il une que vous ne considérez objectivement pas comme réussie ?
Il y a eu trop de contraintes sur les deux émissions spéciales "Européennes". Il faut des règles mais on arrive à un système absurde où nous sommes les seuls à faire le job. Quand votre rôle, c'est de manger un chronomètre, ce n'est pas épanouissant. Et ce n'est satisfaisant pour personne, pas même pour les "petits" candidats qui repartent frustrés. Après, ce qui est compliqué, c'est que je n'ai pas la solution. Naturellement, je comprends le candidat qui se dit "Pourquoi pas moi ?" mais certains ont usé et abusé de l'affaire.
"Madame Hidalgo, Monsieur Griveaux, Monsieur Villani, venez débattre chez nous !"
Les municipales ne sont pas les élections les plus faciles à traiter pour une émission politique. Comment allez-vous les inclure dans "Vous avez la parole" ?
C'est en réflexion. On veut se laisser la souplesse de voir comment tout ça s'organise. On aimerait bien se délocaliser mais il faut trouver l'idée qui justifie cette délocalisation. Parce que si c'est juste pour dire "Bonsoir, nous sommes à Marseille", ça n'a strictement aucun intérêt. Il faut que ça apporte quelque chose éditorialement. Sur le traitement en tant que tel, je n'ai pas encore la réponse. Il y a des villes clés qui méritent que l'on fasse un focus. C'est très excitant comme scrutin. Les municipales sont des élections qui passionnent.
Par exemple, un débat avec Anne Hidalgo, Benjamin Griveaux, Cédric Villani ou encore Rachida Dati, les principaux candidats à Paris, ça pourrait se faire sur France 2 ?
Tout l'enjeu, c'est de traiter de manière "nationale" des problématiques qui sont locales. Après, bien sûr, l'affiche à Paris donne très envie.
Vous êtes prêt à batailler avec les chaînes info pour avoir ce débat ?
Je trouve ça vraiment bien que les chaînes info fassent ces débats. Bien sûr quand ils le font la veille de notre émission, ça nous énerve. Après, nous ne sommes pas sur les mêmes audiences. Nous sommes quand même sur un rendez-vous sur France 2 qui reste incontournable et qui est capable de fédérer plusieurs millions de personnes. Après, "The Big Débat à Paris", venez-le faire chez nous s'il vous plaît, Madame Hidalgo, Monsieur Griveaux, Monsieur Villani, etc !
"À RTL, j'ai retrouvé le plaisir de la matinale sans le lever de nuit"
La nouveauté pour vous cette année, c'est que vous devenez co-présentateur de "Vous avez la parole". Comment ça s'est fait ?
C'est une idée de Léa. On s'entend vraiment bien. Je ne vais pas vous faire des éléments de com mais je pense que ça se ressent vraiment à l'antenne. Elle m'a donc fait cette proposition. J'ai accepté mais je ne l'aurais jamais demandé si ce n'était pas venu de sa part. La direction de la chaîne a dit "banco". On a recommencé à travailler ensemble dimanche dernier. On travaille efficacement ensemble et on se marre bien. Un de nos points communs, c'est qu'on se fiche de savoir qui va poser telle ou telle question. Quand on prépare, on ne fait pas de répartition, on met nos idées de questions en commun. En plateau, ça se joue ensuite à l'oeillade entre nous. On fonctionne beaucoup à l'instant, on aime quand tout n'est pas balisé.
La co-présentation de "Vous avez la parole", le "20 Heures" week-end durant les congés de Laurent Delahousse, "RTL Soir" : vous vous êtes posé la question de savoir si vous pouviez tout continuer ?
J'ai arrêté "Escape News" sur France 4. Je le regrette mais je n'avais pas le choix. J'aurais aimé que le programme continue sans moi. C'était une émission utile. Quand je vois tous les retours que nous avons eu avec les professeurs et les parents, je me dis que c'est vraiment dommage. Concernant mes autres activités, ça aurait été irresponsable de ne pas me poser la question, y compris d'un point du point de vue de ma vie personnelle. Après, j'ai considéré que tout cela était conciliable. C'est juste une question d'organisation. Pour "Vous avez la parole", avec Léa, nous nous retrouvons souvent le midi à France 2. Et nous sommes en contact permanent.
Avec quatre semaines de recul désormais, comment se sont passées vos retrouvailles avec le média radio ?
J'ai trouvé exactement ce que j'étais venu chercher : du plaisir. Pour vous dire, chaque semaine, le jeudi soir, je me dis : "Ah mince, il n'y a pas d'émission demain". Je ressens aussi la force du média. Quand vous invitez quelqu'un sur RTL, ce n'est pas rien. En fait, j'ai retrouvé le plaisir de la matinale, sans le lever de nuit. D'ailleurs, j'ai re-dessiné la tranche presque comme une matinale. La radio, quoi qu'on en dise, conservera toujours cet incroyable charme de la simplicité technique et ce lien avec l'auditeur qui est très différent du lien avec le téléspectateur. Vous invitez le téléspectateur à venir vous voir. L'auditeur vous invite chez lui.
"Je n'aurais pas accordé un tel espace à Tariq Ramadan dans 'RTL Soir'"
Vous parlez de matinale sans le lever. Vous pourriez refaire de la matinale sur RTL ?
Je ne spécule pas sur ces choses. En tout cas, je ne suis pas en demande. Il y a deux ans, j'avais décliné la proposition de franceinfo. Je dois dire que je suis très content d'avoir retrouvé mes nuits de sommeil, d'avoir des petits-déjeuners avec mes enfants, de pouvoir aller dîner le soir, etc. Ce n'est vraiment pas un sujet aujourd'hui, d'autant qu'Yves Calvi tient très bien la maison.
Cette année, il n'en a jamais été question ?
Non, jamais.
Il y a une pression particulière à succéder à Marc-Olivier Fogiel qui est un homme de coups éditoriaux et qui est en quelque sorte un concurrent pour vous puisqu'il peut maintenant en faire notamment dans l'émission de Ruth Elkrief sur BFMTV ?
Ruth est une redoutable concurrente. Elle l'a toujours été. C'est une excellente intervieweuse. Elle fait clairement partie des incontournables. Après, je ressens bien sûr une pression mais elle n'est pas liée à Marc-Olivier. Elle est liée aux audiences et à la prochaine vague à venir. La pression, c'est tous les jours. Nous sommes des toxicomanes de l'info. Mais non, il n'y en a pas par rapport aux coups éditoriaux.
Mais elle existe bien, cette pression, d'avoir l'interview que tout le monde veut avoir. Comme Tariq Ramadan chez Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFMTV par exemple.
Tariq Ramadan, je ne suis pas sûr que je l'aurais fait. Faire cette interview juste après le Grenelle sur les violences faites aux femmes, ça m'interroge. Je ne juge pas, chacun fait ce qu'il veut, mais ça m'interroge. À titre personnel, je ne lui aurais pas donné un espace pareil dans "RTL Soir". Après, nous avons eu Lilian Thuram ou encore Bernard Pivot qui explique pourquoi le livre de Yann Moix n'a pas été retenu pour concourir pour le prix Goncourt. Mais je ne suis pas obsédé par les coups, ça ne m'empêche pas de dormir. Ce qui m'intéresse, c'est le sens.
"Le système actuel de mesure de l'audience à la radio est anachronique"
Depuis l'année dernière, vous êtes le joker de Laurent Delahousse à la tête des journaux du week-end de France 2. Vous vous verriez le faire en tant que titulaire un jour ?
Je n'en sais rien. Est-ce que j'aurais l'envie ? Est-ce qu'on me le proposera un jour ? Je n'en ai aucune idée. C'est très agréable d'y aller de temps en temps. Vous faisiez la liste de tout ce que je fais tout à l'heure. Parfois, certains matins, je me pince. Je me dis que j'ai beaucoup de chance. Si vous me demandez ce que j'ai envie de changer dans le tableau ? Rien du tout ! Après, concernant le "20 Heures", je n'ai pas pour habitude de faire mes oeufs dans le nid des autres. Je suis très ami avec Anne-Sophie Lapix et je m'entends très bien avec Laurent Delahousse, qui m'a fait venir. J'ai de la chance ! C'est Léa qui m'a appelé pour "L'émission politique" et c'est Laurent, quand il a su que j'arrivais à "Complément d'enquête", qui a glissé mon nom pour le "20 Heures".
Vous allez retrouver en novembre le spectre de la 126.000 lorsque la première vague d'audiences radio de la saison sera publiée. Ça vous avait manqué ?
Les premiers jours, à RTL, je regardais bêtement sur mon téléphone avant de me souvenir qu'hélas, à la radio,n il n'y a pas de résultats d'audience au quotidien comme à la télé. Ça ne m'avait pas manqué cette longue attente entre chaque vague. J'aimerais qu'il y ait un outil quotidien de mesure à la radio. Le système actuel est anachronique et on peut même s'interroger sur sa fiabilité. Je peux le dire tranquillement maintenant, sans qu'on m'accuse d'avoir des arrières pensées, car après la première vague, ce sera trop tard !
À la télé, quand vous présentez le "20 Heures", en quoi ça vous aide de connaître son audience ?
C'est un outil de travail intéressant qui permet de valider ou pas des choix. On fait beaucoup d'international au "20 Heures" de France 2. Parfois, on prend des risques dans le choix des sujets. Quand, le lendemain, vous voyez que les téléspectateurs n'ont pas décroché, ça veut dire quelque chose. Je pense quand même qu'il faut garder une distance par rapport aux audiences. La courbe ne doit jamais être le directeur éditorial. Je sais que certains travaillent avec les audiences en direct. Je pense que c'est mortifère.