Interview
Toma de Matteis ("Un si grand soleil") : "Nous sommes la série quotidienne la plus aboutie des trois"
Publié le 7 juin 2019 à 14:24
Par Christophe Gazzano
Après une première saison à l'antenne, le producteur du feuilleton de France 2 dresse un bilan positif dans une interview à puremedias.com.
Toma de Matteis Toma de Matteis© Philippe LE ROUX - FTV
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L'homme derrière "Un si grand soleil", c'est lui. Toma de Matteis est le producteur du feuilleton quotidien lancé par France 2 en août dernier dans une case inédite, celle de 20h40, juste avant le prime time. Il préside donc aux destinées de la série aux côtés d'Olivier Szulzynger, producteur associé du programme produit par France TV Studio, filiale du groupe France Télévisions. Un homme qui était d'ailleurs, jusqu'en 2018, directeur de collection de "Plus belle la vie", le doyen des feuilletons français qui fête ses 15 ans cette année, tout comme Toma de Matteis en était le producteur artistique.

Côté chiffres, chaque soir, "Un si grand soleil" réunit en moyenne et en audience consolidée 3,7 millions de téléspectateurs pour 15,6% de part de marché, selon Médiamétrie (chiffres arrêtés au 3 juin). Une quarantaine de rôles récurrents gravitent à Montpellier, la ville du sud de la France qui accueille les intrigues, pour une équipe technique forte de plus de 200 personnes.

Propos recueillis par Christophe Gazzano

France 2 a diffusé vendredi dernier le 200e épisode d'"Un si grand soleil". Après quasiment une saison de diffusion, quel bilan tirez-vous du lancement de ce nouveau feuilleton quotidien ?
Le bilan est très positif. La part de marché de la case a clairement été améliorée cette année par rapport à l'année dernière. Je pense que le groupe France Télévisions est très satisfait aussi même si je ne peux pas parler à leur place. On a eu une collaboration hyper positive avec les gens de la chaîne. Le fait qu'une deuxième saison soit en cours d'écriture est plutôt le signe qu'il s'agit d'un pari réussi. De notre point de vue de producteur, on a aussi une vraie satisfaction sur le plan de la qualité de l'objet proposé aux téléspectateurs, que ce soit en terme de narration, visuellement et en terme de musique. On va continuer à se retrousser les manches parce qu'il s'agit d'une aventure longue et complexe, qui se fait au prix de beaucoup d'énergie investie.

France Télévisions vous avait-il fixé un objectif d'audience ?
Cela n'a jamais été super clair. L'objectif était globalement d'améliorer la case mais pour Delphine Ernotte-Cunci (la présidente du groupe public, ndlr), je pense que le vrai objectif était beaucoup plus que le programme soit une vraie rencontre populaire, qu'il y ait un vrai échange qui existe. Je pense que de ce point de vue-là, elle est satisfaite. Aujourd'hui, un rendez-vous existe autour d'"Un si grand soleil". Maintenant, il reste tout un tas de zones d'amélioration. On peut être à la fois contents et critiques, c'est ce qui nous fait avancer.

"D'un point de vue artistique, nous sommes la série la plus aboutie des trois" Toma de Matteis

Visuellement, "Un si grand soleil" se distingue des deux autres feuilletons quotidiens par son image soignée et ses décors de très bonne facture. Comment y parvenez-vous avec un budget inférieur aux autres ?
Ce sont des projets qui n'ont pas été montés de la même manière. Nous avons un budget inférieur aux deux autres feuilletons avec 29 millions d'euros par saison, ce qui signifie qu'on est 10 à 15% moins financés que nos camarades. Notre équipe tourne plus de jours que les équipes de "Plus belle la vie" et potentiellement que les équipes de "Demain nous appartient". Avec des budgets limités et sur des séries qui se produisent au quotidien, je trouve que la meilleure facture qui existe des trois programmes, c'est la nôtre. C'est mon constat : notre lumière est meilleure, notre image est meilleure, la qualité de la musique que nous diffusons et l'emploi que nous en faisons est meilleur. Au final, le public est d'accord sans être forcément d'accord puisqu'on est sur des parts de marché qui se ressemblent avec un nombre de téléspectateurs quotidiens assez voisin. Mais j'ai tendance à penser que d'un point de vue artistique, nous sommes la série quotidienne la plus aboutie des trois.

La formule consacrée consiste à dire que vous tournez l'équivalent d'un épisode par jour.
On fait tous ça, mais ça veut tout dire et rien dire. La vraie question, c'est combien de temps vous passez pour chacun de ces épisodes à faire travailler vos équipes. Globalement, nous avons trois équipes qui tournent en permanence, donc un épisode se fait en trois jours. Je ne connais pas la méthodologie de production des autres, mais je vais être assez clair : je n'ai aucune envie et intention de me comparer avec les deux autres séries quotidiennes. J'ai tendance à penser que la seule chose qui nous unisse vraiment, c'est notre format et le fait qu'on est dans un domaine général qui est le soap : nous racontons donc la vie des individus. Après, j'ai la sensation qu'on a tous des angles un peu différents, qu'on a une manière de percevoir les personnages, les comédiens.
Mais je trouve presque limitant le principe du comparatif. La problématique qu'on soit tous diffusés au quotidien ne suffit pas à nous définir. Il y a des séries qui sont diffusées à raison de deux épisodes par soirée, on n'en conclut pas pour autant que "Clem" d'un côté et "Candice Renoir" de l'autre sont la même chose.

"On est dans un Montpellier fantasmé, une sorte de Los Angeles à la française" Toma de Matteis

Vous préférez le terme de "série quotidienne" à celui de "feuilleton quotidien". Pourquoi ?
Le mot "feuilleton" n'est pas du tout dégradant, mais pour moi dans cette notion, il y a quelque chose qu'on retrouve dans la littérature et à l'époque dans les journaux, qui de l'ordre du mille-feuilles. C'est-à-dire qu'on a des personnages qui cohabitent dans un même espace et à qui il arrive des histoires qui ne sont pas toutes liées entre elles. Quand on est sur des séries comme "Coronation Street" ou "EastEnders" (diffusées en Grande-Bretagne, ndlr), on a des gens qui vivent tous dans un espace réduit. Nous, à l'inverse, on est probablement une des seules séries quotidiennes à ne pas avoir d'entité physique centralisée, comme la rue Coronation ou le quartier du Mistral, dans laquelle tous les personnages interagissent. Dans notre série, on est dans un Montpellier fantasmé, de la Grande Motte au Pic Saint-Loup, une espèce de Los Angeles à la française dans lequel on aurait à la fois de l'urbain et de la nature. Ce qui unit nos personnages, c'est plutôt leurs destinées et les histoires dans lesquelles ils vont agir les uns avec les autres. Beaucoup plus que le fait qu'ils soient tous "captifs" d'un même espace physique.

Votre série est moins consommée en replay que ses concurrents avec en moyenne 240.000 téléspectateurs par épisode. Comment l'expliquez-vous ?
La chronologie de journée peut être un début de réponse. Les gens ne sont pas forcément chez eux à 19h30, contrairement à 21h. On fait donc un petit peu plus le plein devant l'écran. Après, si on parle de comparatif : c'était quoi le replay de "Plus belle la vie" la première année ? Et quelle était l'audience la première année ? Dès le deuxième mois, on a commencé à parler de nous comme si on était là depuis 15 ans. La vraie réussite pour nous, elle est là.

Avec le recul, regrettez-vous de ne pas avoir pu nommer votre série "Demain tout est possible", comme cela était prévu à la genèse du projet ? Vous avez finalement opté pour "Un si grand soleil" pour vous éloigner du titre du feuilleton de TF1...
Je ne regrette rien. "Un si grand soleil" est un titre qui nous a accompagnés bien avant la mise à l'antenne. Je fais plutôt partie des gens qui voient le verre à moitié plein et force est de constater que le morceau "Sun" qu'on utilise pour le générique fonctionne assez bien avec le titre.

"Il n'y a aucun sujet qu'on s'interdise de traiter" Toma de Matteis

Vous avez récemment traité de l'antisémitisme dans la série. Y a-t-il des thèmes que vous vous interdisez d'aborder ?
Nous n'avons pas parlé de l'antisémitisme du jour au lendemain. C'est quelque chose qui vient sur des personnages qu'on connaît - Alexandre Levy et sa soeur Davia - et auxquels on s'est déjà attachés à travers d'autres histoires. C'est même une thématique qu'on a voulu bien avant les dérapages avec Alain Finkielkraut et les Gilets jaunes. Il n'y a rien qu'on s'interdise de traiter mais, pour tous les sujets qu'on a en tête, l'objectif c'est de trouver le bon moment et les bons personnages. Je pense que le jour où l'on parlera du terrorisme, on ne le fera de manière ni manichéenne, ni simpliste. Il sera intéressant de traiter de qui sont les jeunes Français devenus terroristes, sans jamais chercher à les excuser. Dans notre mission de série quotidienne de service public, il doit y avoir une forme de décodage du social et du réel dans lequel on évolue même si cela se fait à travers des choses totalement irréelles et fictionnées.

"Un si grand soleil" a des arches narratives en moyennes plus courtes que celles proposées par les autres feuilletons, puisqu'elles changent toutes les 5 à 6 semaines. Cela a-t-il été la volonté dès le départ ?
C'est possible. Sur une des séries qu'on a bien connu Olivier et moi, on a eu parfois un peu l'impression de tirer un peu à la ligne. Il y a une dimension derrière, qui n'est pas celle qu'on a le plus envie de présenter aux téléspectateurs, c'est que plus les arches sont longues, moins vous avez d'histoires à écrire. Avec deux fils narratifs par épisode dans '"Un si grand soleil", cela sous-entend énormément d'histoires qui existent au fil de l'année et du coup, énormément d'enchaînements le plus logique possibles pour passer d'une histoire à une autre. Nous essayons d'avoir des histoires très fortes pendant une période courte, tout en ayant la capacité d'avoir une petite phase d'amorce et une petite phase de sortie. Comme on a envie que nos personnages aient une vie au long cours, il faut aussi qu'on puisse traiter des conséquences des histoires qu'ils viennent de traverser.
Et en même temps, si vous faites ça avec des histoires qui sont déjà hyper longues, à un moment, vous perdez votre public. Mais cela ne nous empêche pas de développer des intrigues au long cours, comme avec le personnage de Virgile, dont on découvre le passé peu à peu. On se laisse plus guider par la narration elle-même que par un formatage pré-déterminé de ce que doit être une histoire ou sa durée, pour laisser plus de place à la créativité des auteurs.

"Il faut que les morts restent exceptionnelles" Toma de Matteis

Dans votre Montpellier de fiction, le taux de mortalité est moins élevé qu'à Marseille ou qu'à Sète (lieux de tournage de "Plus belle la vie" et de "Demain nous appartient", ndlr) avec seulement neuf décès recensés depuis le lancement. Un choix assumé ?
C'est un vrai parti pris. Dans la réalité, la France n'est pas le pays où l'on s'assassine ou où l'on meurt le plus. On pense qu'il s'agit d'événements hyper importants et structurants pour les personnages. Il faut que cela reste exceptionnel. Pour moi, les meurtres et les morts sont quand même l'apanage du polar. Quelqu'un qui, à part un flic, se retrouverait avec plus de deux-trois cadavres autour de lui, cela transformerait probablement sa psyché et qui il est. Nous sommes dans un genre très digne qui est le soap et qui s'intéresse à l'intimité des gens. Dans cette idée-là, la mort existe mais la mort violente ne frappe pas tous les jours à la porte.

Le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) a annoncé une réforme des aides versées aux fictions, avec une baisse de l'enveloppe attribuée aux feuilletons. Quel impact pour "Un si grand soleil" ?
Cela aura un impact limité pour nous la saison prochaine en raison de la manière dont nous avons structuré notre plan de financement. Nous avons anticipé cette baisse en ne demandant pas la totalité des aides auxquelles nous avions droit pour la première saison. Mais à l'évidence, ce n'est pas une réforme hyper positive pour les séries quotidiennes. Il ne faut pas oublier qu'on forme des gens dans le métier, qu'on leur met leur pied à l'étrier à tous les postes, techniques comme artistiques.
A mon sens, les séries quotidiennes sont des outils nécessaires à la bonne santé d'une industrie audiovisuelle elle aussi en bonne santé. Pour schématiser et faire une petite image footballistique, les séries quotidiennes sont certainement les centres de formation des équipes qui jouent ensuite la Ligue des Champions. Il y a quelque chose de cet ordre-là avec des comédiens comme Blandine Bellavoir qu'on a découvert dans "Plus belle la vie" et qui a ensuite fait des séries de prime time, des téléfilms unitaires... De la même manière, aux Etats-Unis, la fiction télé a permis l'émergence de tout un tas de comédiens et de réalisateurs.

"La série quotidienne française ne jouit d'aucune image de marque" Toma de Matteis

"Un si grand soleil" parvient-il à s'exporter à l'international ?
Par le truchement de TV5 Monde, nous sommes présents dans une centaine de territoires. Nous sommes en discussion avec des chaînes en Amérique du sud, une chaîne au Moyen-Orient... Ca fait partie de nos ambitions aujourd'hui. Mais la série quotidienne française ne jouit d'aucune image de marque. Il faut bien connaître l'univers des acheteurs : les gens qui cherchent des séries quotidiennes pour remplir des grilles sont plutôt focalisés sur les producteurs sud-américains et turcs qui sont les gros producteurs traditionnels. Ils ne se tournent pas forcément vers la France. Il y a donc un vrai travail de conviction et de démonstration à faire, ce à quoi on s'attelle depuis un long moment.

"On pense à un prime time" Toma de Matteis

"Plus belle la vie" passe en prime time plusieurs fois par saison et "Demain nous appartient" va faire le grand saut le lundi 10 juin sur TF1. Et vous ?
On y pense, on l'a tous en tête. Mais on a un grand luxe, c'est de pouvoir réfléchir au meilleur moment pour faire les choses. Il n'y a rien de décidé, cela fait partie des choses qui arriveront à un moment ou à un autre. Je rappelle que nous en sommes à seulement 9 mois de diffusion. Neuf mois après leur lancement, "Demain nous appartient" ou "Plus belle la vie" n'avaient pas lancé de prime non plus. L'idée n'est pas de se tirer une balle dans le pied en allant trop vite.

"Le jour où il n'y aura plus de grande chaîne généraliste, les séries quotidiennes auront du mal à survivre" Toma de Matteis

Le doyen des feuilletons français quotidiens, "Plus belle la vie", fêtera ses 15 ans cet été. Selon vous, quel sera le paysage des feuilletons français en 2034, autrement dit dans 15 ans ? Y en aura-t-il toujours trois à l'antenne ?
Je pense que c'est tout à fait possible. Il y en aura peut-être un ou deux de plus. Est-ce-que ce seront les mêmes que ceux qui sont là aujourd'hui ? Peut-être qu'on aura des séries quotidiennes moins ancrées dans le réel. Pour les trois séries dont on parle, s'il y a quelque chose qui les unit, c'est de parler de la société d'aujourd'hui. Je dis peut-être une bêtise, mais dans 15 ans, il n'est pas impossible qu'on ait un soap quotidien dans un vaisseau spatial. A l'inverse, on pourrait aussi avoir une série quotidienne en costumes. Cela dépendra de la capacité des chaînes à investir.
Mais une chose est claire, le jour où il n'y aura plus de grande chaîne généraliste, si un jour cela doit arriver, les séries quotidiennes auront du mal à survivre ou alors dans des genres très particuliers du type "Amour, gloire et beauté". Pour résumer, est-ce-que dans 15 ans "Plus belle la vie", "Demain nous appartient" ou "Un si grand soleil" seront encore là ? Je ne le sais pas.

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