Partenariat. C'est l'une des plus grandes tragédies maritimes de l'époque contemporaine. C'est aussi un tournant dans l'histoire des médias en Russie. Survenu le 12 août 2000 en mer de Barents, le naufrage du plus moderne des sous-marins russes, le lanceur d'engins K-141, a traumatisé le pays de Vladimir Poutine. Outre le lourd bilan humain, 118 morts, la dimension tragique de cette histoire réside dans la fin terrible des survivants aux deux explosions qui avaient envoyé par le fond le bâtiment. Les 23 survivants ont ainsi attendu jusqu'à épuisement de leur réserve d'oxygène d'être secouru par les forces russes... C'est ce compte à rebours oppressant que raconte le nouveau film de Thomas Vinterberg, "Kursk", porté notamment par Matthias Schoenaerts, Léa Seydoux et Colin Firth. . C'est aussi lui qui a donné un écho mondial à cette catastrophe toujours entourée d'un halo de mystère.
Racontée quasiment heure par heure par les médias internationaux à l'époque, l'agonie des derniers survivants du "Kursk" (Koursk en français) est incarnée à l'écran par Matthias Schoenaerts (Mikhail Averin). Le combat des familles, dont Léa Seydoux, femme de Mikhail Averin, est le visage, a lui aussi fait la Une de l'actualité. Exaspérées par l'attitude de leurs autorités qui refusaient d'accepter une aide internationale symbolisée à l'écran par le capitaine David Russell (Colin Firth), les femmes et les mères des sous-mariniers n'ont pas hésité à crier leur colère devant les caméras du monde entier. Dans le film, Tanya Averina (Léa Seydoux) devient ainsi leur meneuse, mobilisant la presse pour que leur histoire soit relayée dans le monde entier, et faire ainsi pression sur les pouvoirs publics russes. En vain.
Personne n'a ainsi oublié l'image, bien réelle celle-là, de Nadejda Tylik, la mère du lieutenant Sergueï Tylik. En pleine réunion entre les familles des victimes et les autorités russes en août 2000, elle s'en était pris devant la presse à l'état-major russe, dénonçant leurs incompétences et leurs mensonges. Voyant qu'elle ne se taisait pas, une femme en civil s'était placé derrière elle et lui avait injecté à travers ses vêtements un puissant sédatif, avant qu'elle ne soit emportée hors de la salle, inconsciente. Le silence plutôt que l'image choc.
Car cette tragédie du "Kursk" a bel et bien marqué un tournant dans l'histoire des médias en Russie. Agacé des critiques émises par les journalistes russes et étrangers contre l'organisation des secours, le nouveau président d'alors, un certain Vladimir Poutine, a tout fait pour verrouiller la communication autour de la catastrophe. Si la scène avec Nadejda Tylik a ému le monde entier, elle n'a ainsi pas été diffusée à l'époque dans les médias russes. A l'époque, les journalistes avaient d'ailleurs été évacués de la salle juste après l'incident.
Dans les années qui suivront la tragédie du Koursk, l'État russe s'emploiera à renforcer son emprise sur les médias nationaux, mettant ainsi un terme à la libéralisation qui avait suivi la chute de l'URSS au début des années 1990. Via sa filiale Gazprom média, l'État élargira son contrôle actionnarial sur un ensemble de médias, dont certains réputés proches de l'opposition comme la radio Écho de Moscou. En 2005, l'État a même créé une chaîne Russia Today pour défendre sa vision de la Russie à l'étranger. L'Etat se ferait désormais organisateur du bruit médiatique pour mieux couvrir le pesant silence des morts du Koursk.