Édito
A-t-on le droit d'aimer David Guetta ?
Publié le 17 septembre 2011 à 14:35
Par Eddy Chevalier
Il ne sera jamais en couverture des Inrocks et, rien que pour ça, il force le respect. Pourtant, bon nombre de Français prennent un malin plaisir à dénigrer le Daddy DJ. Qui sommes-nous pour conspuer un battant aussi souriant ?
L'album "Nothing but the Beat" de David Guetta L'album "Nothing but the Beat" de David Guetta
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Il ne sera jamais en couverture des Inrocks et, rien que pour ça, David Guetta force le respect. Pourtant, bon nombre de Français prennent un malin plaisir à dénigrer le Daddy DJ. Qui sommes-nous pour conspuer un battant aussi souriant ? Oui, bon, d'accord, le frère siamois de Cathy porte des Converse. Mais il est le roi de l'électro mainstream. C'est un fait. Pourquoi alors ne pas s'incliner et le féliciter, au lieu de s'insurger ?

Just a Little More Love

Mon très cher David,

Pour Victor Hugo, "le plus beau patrimoine est un nom révéré". A en croire le vieux barbu romantique, il te manquerait donc quelque chose malgré tes millions gagnés à trafiquer la voix des Black Eyed Peas. Soyons honnêtes : si ton nom est devenu une marque internationale, tu es un peu, en France, le Raymond Domenech de la House. Dieu sait qu'on pourrait t'admirer, pourtant : tu es parti de rien et tu as construit un empire à grands coups de scratch, tu es le rêve américain fait homme, tu as conquis le monde. Mais ils te le font payer. Comme Jésus, une autre star chevelue exclue et crucifiée, dis–toi : "Pardonne-leur, Père, ils ne savent pas ce qu'ils font". Si je te compare au DJ résident de Nazareth, David, c'est que, toi aussi, tu es une figure biblique.

Il suffit de relire le Cantique des Cantiques en écoutant "Just a Little More Love" : David, en hébreu, veut dire le bien-aimé. Permets-moi, s'il te plaît, de rendre grâce à ton nom. Pourquoi bien t'aimer ? Parce que tu es un modèle de réussite. Tu es l'anti-Lindsay Lohan : tu ne bois pas et tu ne fumes pas, tu n'es pas roux, tu n'as pas été incarcéré pendant 84 minutes et tu ne montres pas ta culotte en sortant d'une Cadillac Escalade. Ce n'est pas tout : tu travailles beaucoup. Et tu as la banane – c'est d'ailleurs peut-être pour ça que ton fils s'appelle Tim Elvis. Tu es généreux, en plus : chez David Pujadas, le diablotin du JT de France 2, tu as même dit que tu voulais être plus taxé. Peu importe que tu gagnes plus que tous les habitants de l'Ille-et-Vilaine réunis, tu payes tes impôts en France, toi. Pas comme Florent Pagny. Et, contrairement à lui, tu ne mets pas de poncho. Alors, chapeau.

Nul n'est pro-fête en son pays

Si tu es biblique, David, c'est aussi parce que tu illustres tragiquement ce vieil adage de l'Evangile selon Saint Luc : nul n'est prophète en son pays. Sauf que toi tu es un pro-fête. Mais ne t'inquiète pas trop : l'oncle Sam t'aime, lui, tu es le Français qui vend le plus de disques à l'étranger – prends-toi ça, Charles Aznavour – et tu as presque 24 millions de fans sur Facebook, soit environ 23 998 000 de plus que Cécile de Ménibus.

Tu accomplis des miracles, ne multipliant pas les pains mais les hits. Et des pseudo-Ponce Pilate te crucifient, toi aussi. Il y a quelques jours, le simili écrivain Patrick Besson a "écrit" un édito éreintant de bêtise intitulé "Le monde selon David Guetta". Pour lui, la fête "contamine tous les lieux et toutes les générations". S'amuser, mais quelle horreur ! Quel boute-en-train, ce Patrick... En anglais, on le qualifierait volontiers de "party pooper", qui veut dire rabat-joie mais signifie littéralement "celui qui défèque sur la fête". On lui conseillera simplement, au lieu de fustiger des D.J., de (re)lire La naissance de la tragédie de Nietzsche. Il pourra alors apprécier la nature créatrice et dionysiaque de cette fête qu'il redoute tant. On ne parlera même pas du torchon de Christophe Con-te des Inrocks, aussi injurieux que mal écrit. Tous ceux qui te critiquent, David, se prennent aussi au sérieux que Charlize Theron dans la nouvelle pub Dior et laisse-moi te dire qu'ils sont aussi ridicules qu'elle.

Autre qualité : tu sais d'où tu viens, voilà pourquoi tu es allé si loin. Tu n'as pas peur de dire que tu dois tout à un club gay, ce que seule Mylène Farmer pourrait affirmer sans mourir de honte – ce qu'elle fait de plus en plus rarement d'ailleurs, l'éleveuse de vautours étant aphone 6 jours sur 7. N'hésite pas, pour remercier tous les homos qui aiment se trémousser dès qu'ils aperçoivent tes aisselles, à poser en micro slip noir comme Cristiano Ronaldo ou David Beckham. Je suis sûr qu'il n'y aura même pas besoin de te photoshoper.

La bande-son de vies horriblement ordinaires

Tes chansons ne sont pas que des couplets entrecoupés de refrains, elles sont aussi la bande originale de millions de vies horriblement ordinaires. Combien d'adolescents, de kidultes et autres clubbers en manque affectif se seront fait larguer et/ou emballer sur "Where Them Girls At" cet été ? Combien de litres de vomi sur "Sexy Bitch" ? Combien de grossesses non désirées sur "Who's That Chick ?" David Guetta, c'est de la sueur sur la tempe, des cheveux dans la bouche – pas forcément les siens d'ailleurs – et de grands sourires hystériques – gingivaux ou pas – en boîte ou dans sa chambre. Sache une chose : les pseudo-intellectuels qui te méprisent tentent désespérément, en te critiquant, de mettre à distance un peuple qu'ils haïssent autant qu'eux-mêmes. Imagine : toute leur vie s'est érigée sur un semblant de supériorité qui les différencie, pensent-ils, de cette fosse commune. Les Inrocks, c'est Marie-Antoinette. Ils ont une peur bleue d'être assimilés à cette foule glauque, voilà pourquoi ils redoutent tant ton nouvel album tout rouge. Je suis agrégé et j'ai écrit une thèse mais j'apprécie sincèrement la simplicité de ta musique : mes diplômes ne sont pas une seconde peau ignifugée me protégeant de l'enfer de la populace. Oui, on peut lire Stendhal en écoutant Armin Van Buren et aller voir "Destination Finale 5" après un colloque sur la poétique de l'illisible. Ton ignominie, David, celle qu'a décrétée une élite blanche hétérosexuelle parisienne qui ne supporte pas qu'on puisse être soi-même, est finalement politique : elle est l'oeuvre d'une snobictature qui n'a que trop duré. Mais tu finiras par terrasser ce Goliath, David, j'en suis sûr.

Sia suffit maintenant !

Sia n'est pas qu'un magasin de déco offrant un rapport qualité/prix encore pire qu'Habitat (oui, c'est possible), c'est aussi une délicieuse chanteuse australienne. Et si elle a accepté de collaborer avec toi, c'est très certainement parce qu'elle voulait bénéficier de ta popularité planétaire pour être enfin reconnue dans la rue – merci beaucoup, d'ailleurs, d'avoir donné à cette bonne vieille Kelly Rowland un semblant de carrière pendant un an. Sia a bien fait : votre duo, Titanium, est une merveille d'une efficacité rare. Le tour de force de l'album, en point d'orgue : une vague électrique douce et pourtant si puissante. Un gentil petit tsunami. Quant aux paroles... comment pourraient-elles ne pas être autobiographiques ? "Tu vocifères mais je n'entends pas un mot de ce que tu dis [...] tu me critiques mais toutes tes balles ricochent, tu m'abas mais je me relève". Lorsque Sia hurle doucement "je suis en titane", elle parle de toi. Permets-moi d'aller plus loin. Tu es dur, malléable, ductile, rare et précieux : tu es de platine.

Je t'aime David.

Merci,

Eddy

La semaine prochaine, dans l'Eddyto, vous découvrirez que le magazine Vogue est malheureusement complètement démodé.

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