Ce soir, Aïda Touihri, ex-M6, prend un pari fou : installer une émission culturelle sur France 2 et la rendre accessible au plus grand nombre. Beaucoup s'y sont risqués comme Elizabeth Tchoungui et Franz-Olivier Giesbert. Sans succès. "Grand Public", c'est son nom, a pour ambition de casser les codes du format de l'émission culturelle à la télévision. Pour y parvenir, la journaliste évolue dans un décor de cinéma, les chroniqueurs ont laissé la place à de longs reportages. Pour la première ce soir, la journaliste reçoit Lambert Wilson, Pierre Palmade, Michèle Laroque et Jean-Christophe Grangé. Entretien.
Propos recueillis par J. Lalande et J. Bellver.
puremedias.com : La case culturelle est très compliquée sur France 2 depuis l'arrêt de "Bouillon de culture" de Bernard Pivot. Beaucoup d'émissions se sont succédé sans jamais convaincre. Vous êtes un peu maso ou vous aimez relever ce type de défi ?
Aïda Touihri : Je ne suis pas maso, je tiens à mettre les choses au clair (rires) ! Je ne suis pas suicidaire mais j'aime relever ce type de défis, d'autant plus qu'il s'agira d'une émission très différente. C'est un nouveau challenge après sept années passées à M6.
Quelle est votre mission à la tête du nouveau pari culturel de France 2, "Grand Public" ?
Elle est très claire : faire différent. On sait ce qui n'a pas marché, on ne veut pas refaire la même chose. France 2 nous a donné carte blanche, en nous demandant de casser les codes. D'où ce décor totalement inédit notamment. Par exemple, avec Lambert Wilson, j'ai mené une interview (l'enregistrement a eu lieu mercredi, NDLR) sur un banc public. Au bout d'un moment, on a complètement oublié qu'on enregistrait une émission, on a obtenu des moments rares. Chaque semaine, nous aurons des entretiens exceptionnels où je partirai à la rencontre de mes invités : ce soir François Cluzet, dans les semaines à venir Pierre Arditi et Valérie Lemercier. Ils auront la possibilité de s'exprimer longtemps, ce qui est rare en télé.
Faire différent, ça se traduit comment concrètement ?
Nous aurons beaucoup d'images, les deux tiers de l'émission seront constitués de reportages. Nous voulons donner envie aux téléspectateurs. Dans notre décor, je recevrai des invités où il sera évidemment question de promo, c'est l'angle de tir. Mais si je prends l'exemple de Lambert Wilson, nous avons parlé de bien d'autres sujets, à l'instar de son attirance pour la religion. Je trouve intéressant de montrer des artistes sous un jour nouveau.
Quand on est journaliste culturel, ça veut dire quoi "être grand public" ?
Être grand public, c'est parler de sujets très pointus (comme l'art contemporain) et des sujets qui fédèrent tout le monde. A mon avis, on peut intéresser les téléspectateurs à tous les sujets dès lors qu'on choisit un angle intéressant.
Une des spécificités de l'émission, c'est qu'il n'y a pas de chroniqueurs en plateau. Certains pensent que les chroniqueurs tuent la culture à la télévision, c'est votre avis ?
Dans une première partie de l'interview avec l'invité, je suis seule. Dans une seconde partie, on rentre un peu plus dans un domaine de spécialisation. Pour avoir ce côté large et ouvert, un spécialiste du domaine abordé me rejoindra. Pour la première, lorsque j'ai reçu Pierre Palmade et Michèle Laroque, une spécialiste théâtre était là. Mais elle ne sera pas présente toutes les semaines bien évidemment. Les gens tournent et ce ne sont pas des gens célèbres qu'on a l'habitude de voir sur les plateaux de télévision.
Elizabeth Tchoungui vous a précédée, une animatrice qui, comme vous, fait partie de cette fameuse "minorité visible". France 2 est venue vous chercher pour ça ?
Si France 2 était venue me voir en me disant "On cherche une minorité visible", c'est clair que je leur aurais dit "merci et au revoir". C'est une question qui ne s'est jamais posée dans ma carrière. Je ne suis ni porte-parole, ni porte-drapeau, je ne suis pas pour les quotas, je ne fais pas partie du club Averoes. Pour moi, c'est le travail qui compte. France 2 n'est pas venue me chercher pour ça, et je m'en suis assurée.
La saison dernière, "Avant-première" a réalisé de très faibles audiences, inférieures au précédent format de Franz-Olivier Giesbiert. Quel objectif vous a été fixé ?
Curieusement, nous n'avons pas de clause d'audience. Nous avons donc toute la saison pour nous installer. Quand on est venu me chercher, on m'a dit "il faut que tu fasses une émission accessible". Je leur ai répondu : "Ca tombe bien, je ne suis pas une spécialiste de la culture". Après, bien évidemment, j'ai envie que cette émission touche le maximum de personnes. Mais je préfère une émission qui ait du sens, dont je sois fière, plutôt qu'une émission regardée par des millions de téléspectateurs et que je ne recommanderais même pas à mon fils.
Pourquoi quitter l'actualité pour la culture ?
Au début de ma carrière, j'ai débuté par le sport avant de bifurquer sur les infos générales. Dans le JT que je présentais sur M6, j'essayais d'apporter une patte assez culturelle en fin de journal, lorsque nous étions dans une partie plus magazine. Pareil dans "66 minutes". J'ai toujours veillé à aller voir des pièces de théâtre, des films, lire des livres. Mais je ne suis pas spécialiste. Je m'intéresse à tout, je suis curieuse de tout. La culture, ce n'est pas une affaire de spécialistes.
Quitter M6 alors que vous êtiez en CDI, c'est risqué non ?
Je n'étais pas à la recherche d'une nouvelle chaîne, je n'avais aucune raison de quitter un CDI. Mais quand France 2 est venue me chercher avec ce projet, j'ai dit "pourquoi pas". M6 m'a fait une contre-proposition, j'ai un peu réfléchi, mais pas beaucoup en fin de compte. J'avais notamment envie d'arrêter le JT pour pouvoir m'occuper davantage de ma famille. M6 a respecté ma décision, je leur en suis reconnaissante. En partant animer cette émission sur France 2, j'ai envie de relever ce challenge. Je peux me planter bien sûr, mais ce n'est pas grave.