Interview
Alexandre Moix, réalisateur du documentaire de France 2 : "Je voulais dépoussiérer Anne Frank, pas la laisser en noir et blanc"
Publié le 4 mars 2025 à 11:23
Par Benjamin Rabier | Rédacteur en chef
Addict aux audiences, Benjamin Rabier a choppé le virus de la télévision grâce à la « Star Academy ». Intrigué par l’envers du décor, il a décidé d’en faire son métier. 20 ans plus tard, s’il ne rate (presque) jamais un prime de « The Voice », il peut vibrer devant une compétition sportive, se passionner pour un documentaire ou dévorer une série en un week-end.
Puremédias s'est entretenu avec Alexandre Moix, auteur et réalisateur du documentaire "Anne Frank, Journal d'une adolescente", diffusé à 21h10 sur France 2 ce mardi 4 mars 2025.
Bande-annonce du documentaire "Anne Frank, Journal d'une adolescente" diffusé sur France 2 le mardi 4 mars 2025. © Anne Frank Fonds - Basel
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Un documentaire dont vous ne ressortirez pas indemne. Ce mardi 4 mars 2025, dès 21h10, France 2 diffuse en première partie de soirée "Anne Frank, journal d'une adolescente", documentaire inédit écrit et réalisé par Alexandre Moix. En collaboration avec le fonds Anne Frank, le producteur de documentaires - il a créé en 2018 Zoom Production, une société de production de documentaires - raconte sous un angle inédit l'histoire bouleversante de cette adolescente devenue "une figure mythique, voire mythologique du XXe siècle". "Mon objectif, c'était de faire un film sur Anne Frank par Anne Frank, qu'elle se raconte à travers son journal. Je ne voulais pas faire intervenir des historiens, je voulais que ce soit elle la voix", décrypte-t-il.

À travers la voix de Suliane Brahim, de la Comédie-Française et l'interprétation de Salomé Guneslik, Alexandre Moix livre un film dur, presque angoissant mais nécessaire. "Je voulais que le documentaire soit le plus immersif possible", précise celui qui a recréé, "au centimètre près", l'annexe secrète où Anne Frank a vécu recluse avec sa famille et quelques-uns de ses proches pendant 761 jours de 1942 à 1944. Anne Frank est morte du typhus dans le camp de Bergen-Belsen, quelques mois avant la fin de la guerre, en 1945.

Un film empreint de modernité grâce à des images d'archives inédites restaurées, et même une vidéo de 10 secondes d'Anne Frank encore jamais vue, pour faire un pont avec "la nouvelle génération". Pour Puremédias, Alexandre Moix a accepté de revenir sur la réalisation de ce documentaire poignant, "Anne Frank, Journal d'une adolescente".

Propos recueillis par Benjamin Rabier

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Puremédias : Pourquoi se lancer dans la réalisation d'un nouveau documentaire sur Anne Frank en 2025 ? 
Alexandre Moix : J'ai commencé à travailler sur ce documentaire il y a deux ans. J'avais anticipé les 80 ans de sa disparition. Je trouvais que c'était une manière de rappeler notre histoire à une période où les rescapés de la Shoah disparaissent les uns après les autres. Je voulais que la nouvelle génération ne l'oublie pas et se souvienne de notre histoire. Ma principale préoccupation a été d'ancrer Anne Frank dans la jeunesse. Je trouvais intéressant qu'il y ait une résonance, un pont entre deux générations.

Comment faire pour intéresser la nouvelle génération justement ? 
Anne Frank est une figure mythique, voire mythologique du XXe siècle. C'était une adolescente donc il n'y a pas mieux pour parler aux adolescents. Dans son journal, elle s'adresse à Kitty, une amie imaginaire qu'elle invente pour mieux se livrer. C'est pour cela que j'ai voulu donner un visage à Kitty à travers cette jeune génération de lycéennes qui découvre son journal. 

Mon objectif c'était de faire un film sur Anne Frank par Anne Frank. Étonnamment, ça n'avait jamais été fait. Dans ce documentaire, je voulais qu'Anne Frank se raconte à travers son journal. Que le film soit immersif, qu'on soit dans sa tête, dans son écriture, qu'elle nous parle, qu'elle nous prenne par la main et qu'elle nous fasse parcourir son histoire et sa vie. C'est pour ça que tout le film est raconté par elle, à la première personne du singulier. Je ne voulais pas faire un film sur Anne Frank avec des sachants et des historiens qui viennent nous parler d'elle. Je voulais que ce soit elle la voix de la jeunesse.

Pourquoi vouloir à ce point "moderniser" Anne Frank ?
Je voulais dépoussiérer Anne Frank. Je ne voulais pas la laisser en noir et blanc. Je ne voulais pas la laisser dans une époque, il y a 80 ans. Elle était adolescente et elle avait les mêmes questionnements et les mêmes problématiques qu'une adolescente d'aujourd'hui. Et je voulais vraiment que la jeunesse soit le porte-drapeau, le passage de relais de la mémoire, de notre mémoire commune à tous et de la mémoire d'Anne Frank. Je voulais faire un film jeune, frais, si possible, qui parle aux plus jeunes. C'est vraiment Anne Frank qui s'adresse à la jeunesse actuelle.

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Vous avez colorisé certaines archives. C'était aussi pour attirer un public plus jeune ? 
Effectivement, le fait de coloriser certaines archives participe à l'immersion du film. On est avec Anne Frank et également avec son époque. Et ça rend beaucoup plus violents, plus saisissants, plus vrais, certains passages. Quand on voit des Juifs se faire tabasser à coups de bâton, c'est encore plus insoutenable en couleur je trouve car le noir et blanc marque une distance. Je voulais l'abolir.

Comment avez-vous choisi la jeune femme qui l'interprète ? 
On a fait des castings. Pour moi il y avait deux choses très importantes : la voix et le visage. Je déteste le genre docu-fiction. En général, au bout de cinq minutes, je n'y crois plus. Parce que c'est des scènes inventées, des dialogues imaginés. On n'était pas là pour savoir ce qu'ils se disaient réellement donc le but, c'était vraiment de faire parler Anne Frank à travers son journal et d'avoir une jeune fille qui lui ressemble suffisamment pour qu'on y croit.

Dès que j'ai vu Salomé Guneslik, je me suis dit, 'ah mais c'est elle'. Je crois que c'est au niveau des yeux où des sourcils mais il y a quelque chose, elle lui ressemble. Puis je l'ai rencontrée et même intérieurement, elle lui ressemble. C'est-à-dire qu'elle a cette impertinence, cette intelligence, cette maturité qu'avait Anne Frank. Ce n'est pas une comédienne, c'est une lycéenne donc c'est une actrice, une vraie, qui lit le livre.

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De qui s'agit-il ?
De Suliane Brahim, de la Comédie-Française. Elle a vraiment vécu la lecture du livre dans sa chair. J'ai envie de dire qu'elle ne le lit pas mais qu'elle le vit. Sa voix est absolument incroyable. On a l'impression que c'est une adolescente alors que Suliane a 46 ans. 

Dans le documentaire, vous dévoilez des images inédites d'Anne Frank. Comment les avez-vous trouvées ?
Premièrement, il a fallu convaincre le fonds Anne Frank de faire ce film. Ce fonds gère le nom, la mémoire et l'œuvre d'Anne Frank dans le monde entier donc ils sont très vigilants. Quand je leur ai proposé le film, ils ont tout de suite été emballés parce qu'ils voulaient relier Anne Frank à la jeunesse. Ils ont trouvé l'idée de faire interpréter Kitty par de jeunes adolescentes d'aujourd'hui fantastique. Du coup, ils nous ont accordé l'exploitation exclusive du journal d'Anne Frank pendant plusieurs années. Ils nous ont également ouvert toutes leurs archives dont des photos totalement inédites.

Il faut savoir qu'Anne Frank a été photographiée plus de 500 fois par son père. J'en montre pas mal dans le film. Des photos de toute beauté. On a eu le droit à l'exclusivité du journal, de l'emploi du journal, qui je le précise, est à la virgule près dans le film.

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Il y a même une vidéo d'Anne Frank de quelques secondes dans le documentaire....
C'est la seule vidéo d'Anne Frank inédite qui existe. Elle dure 10 secondes. Elle a été retrouvée par hasard il y a quelques années. On la voit à son balcon, sourire, pleine de vie, alors qu'elle assiste de loin au mariage de ses voisins. On a également eu une autre exclusivité : pouvoir tourner dans la maison d'Anne Frank, la vraie. Dans le documentaire, il y a donc un passage où justement l'une de nos Kitty va visiter la maison d'Anne Frank. C'est une des premières fois qu'une caméra pénètre dans l'annexe, là où elle était cachée.

Qu'avez-vous ressenti au moment de pénétrer dans ce lieu chargé d'histoire ?
C'est très émouvant parce qu'on a tourné de nuit en dehors des visites (le lieu est devenu un musée ouvert à tous, ndlr). On était en équipe réduite. On était cinq. Au début, on se dit, 'bon, c'est comme un musée'. Mais très vite, on est rattrapé par l'histoire. On se retrouve dans ce lieu exigu, on a l'impression d'être un peu isolé du monde. Et c'est vrai que de passer, d'aller et venir à travers cette porte bibliothèque qui cachait l'entrée, d'emprunter les vrais escaliers, se dire qu'ils étaient cachés là, ça remue. 

Comment raconter son histoire, résumer son journal, en seulement 90 minutes ?
Tout est bien dans le journal d'Anne Frank mais j'ai dû choisir les passages les plus pertinents pour me permettre de suivre le fil narratif de ce que je voulais raconter en une heure et demie. J'ai choisi les passages les plus représentatifs possibles de la vie d'Anne Frank et de son caractère. Ceux avec des anecdotes de comment ça se passait à l'intérieur, de comment ils vivaient cachés, mais également toutes ses analyses sur l'extérieur qui est terrifiant. Je montre dans le documentaire qu'elle savait. Elle savait que les gens allaient se faire gazer. Elle voyait à travers sa fenêtre que les gens se faisaient déporter et embarquer jour et nuit. Et donc il y a tout ça qu'il fallait que je mélange avec son évolution. Parce qu'en réalité, c'est aussi le journal d'une jeune fille qui devient une femme. 

J'ai également voulu montrer des passages qui n'avaient jamais été exploités. Je me suis inspiré d'une réédition du journal parue en 2009. La dernière édition à date. Dans celle-ci, Anne Frank parle de la sexualité, du féminisme et du corps de la femme, etc. Et ça, c'est des choses qui n'avaient jamais été exploitées dans un film. 

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Vous dites une réédition du journal de 2009, ça veut dire qu'il y a encore des écrits d'Anne Frank qui n'ont jamais été publiés ? 
Oui. A l'époque, Otto Frank, son père, avait un peu expurgé le journal de sa fille. Il avait enlevé tous les passages qui étaient un peu trop intimes selon lui. Il ne voulait pas que le public connaisse tout ça. En 2009, le fonds Anne Frank a fait publier le journal dans son intégralité. Enfin quasiment, il reste encore quelques pages inédites. Il y a deux ans, ils ont publié une nouvelle page où elle parle de son corps, décrit la sexualité, ses émois, ses envies. C'est ces passages-là que j'ai exploités. 

Comment avez-vous fait pour reconstituer cette annexe secrète où elle s'est réfugiée avec sa famille ?
On a pris les mesures, repris les codes couleurs... On a reconstitué au centimètre près les pièces au nord de Paris, dans un château. Je voulais de la vraie matière, je ne voulais pas tourner en studio. Et je vous avoue que lorsqu'on a installé les acteurs autour d'une table pour filmer la scène de repas, alors qu'ils portaient tous l'étoile jaune sur leur manteau, ça nous a pris aux tripes. À travers ce film, je voulais qu'on se sente contraints, comme Anne Frank l'était. Je voulais que le téléspectateur vive 90 minutes de manière confinée. Je voulais que la caméra elle-même soit contrainte et qu'elle ne puisse pas être libre et aller filmer n'importe comment avec des plans larges. Je voulais que ce soit le plus immersif possible.

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