Interview
Anne Sinclair ("Fauteuils d'orchestre") : "Il y en a marre de l'audience"
Publié le 15 novembre 2019 à 14:09
Par Christophe Gazzano
A l'occasion du retour de l'émission ce soir sur France 3, la journaliste est revenue auprès de puremedias.com sur ce concept qui lui tient à coeur.
Anne Sinclair présente "Fauteuils d'orchestre" sur France 3 Anne Sinclair présente "Fauteuils d'orchestre" sur France 3© DR
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La musique classique et l'opéra s'invitent de nouveau en prime time sur France 3. La chaîne propose ce soir à partir de 21h05 le 6e numéro de "Fauteuils d'orchestre", produit par Morgane Groupe et présenté par Anne Sinclair depuis le Théâtre des Champs-Elysées. En présence de nombreux invités, elle sera notamment entourée de la comédienne Muriel Robin et du chanteur Mika qui évoqueront tous deux leur passion pour les deux domaines mis à l'honneur tout au long de la soirée, la musique classique et l'opéra. Les artistes - Natalie Dessay, Karine Deshayes, Edgar Moreau, Emmanuel Ceysson, Karl Paquette, Vannina Santoni et bien d'autres - qui se produiront sur scène seront accompagnés par l'Orchestre de Chambre de Paris, sous la direction de Laurent Campellone. puremedias.com a interrogé la journaliste quelques jours après l'enregistrement de ce nouveau numéro.

Que peut-on dire à ceux qui sont éloignés de l'univers de la musique classique et de l'opéra pour les convaincre de regarder "Fauteuils d'orchestre" ?
Premièrement, qu'on s'amuse ; deuxièmement, que c'est du plaisir et troisièmement, que c'est incroyablement accessible. Je pense que si cette émission a trouvé son identité et qu'elle existe, c'est d'abord parce qu'elle est très cohérente. On fait de la musique classique et de l'opéra, mais avec de jeunes instrumentistes ou chanteurs qui ont entre 22 et 30 ans et qui sont très doués, tout en étant des jeunes comme tout le monde. Ils aiment le jazz, le rock, ils aiment faire des vidéos Instagram dans la fosse d'orchestre où ils jouent... La musique classique, ce n'est pas un monde à part. On n'a pas besoin d'être initié. Je pense que c'est très instinctif. C'est un plaisir des sens. Quand vous allez dans une exposition de tableaux, il faut déjà avoir un peu de connaissances pour accéder à une oeuvre, tandis que la musique vous pénètre tout entier. C'est très sensuel.

Quels seront les temps forts de ce nouveau numéro ?
Le harpiste Emmanuel Ceysson a expliqué le fonctionnement d'une harpe à la cantatrice Karine Deshayes. Il y aussi un moment où Muriel Robin s'amuse de la phrase prononcée par son attachée de presse, qui lui a dit "La semaine prochaine, tu fais une émission avec Anne Sinclair sur la musique classique". Pour elle, il y avait une erreur dans la phrase (sourire). Elle a commencé à vouloir m'interroger et elle a aussi voulu à tout prix essayer de me faire chanter, mais elle n'y est pas arrivée. Et puis il y a eu des moments de musique admirables avec un magnifique quintet ou pour la première fois à la télévision la fille de Natalie Dessay, qui a une voix extraordinaire à la Barbra Streisand.

"Il y a une sorte d'homogénéité joyeuse et accessible" Anne Sinclair

Il y a en moyenne seulement deux numéros de "Fauteuils d'orchestre" par saison sur France 3. Pourquoi si peu ?
J'aime bien que ce soit irrégulier. Je ne veux pas encombrer les écrans cathodiques, je trouve qu'il faut de la place pour tout le monde. Et puis France 3 fait un gros effort. C'est une émission de plus de deux heures en prime time, tournée cette fois au Théâtre des Champs Elysées, dans un cadre somptueux. En avril prochain, nous serons par exemple pour la première fois à l'Opéra-Comique. "Fauteuils d'orchestre" est une émission assez lourde à monter. Surtout et c'était la condition pour que j'y participe : il s'agit vraiment d'une émission de musique et pas de promotion. Ce n'est pas un mélange des genres. Je trouve qu'on fait assez de mélanges partout, sur toutes les émissions. Là, il y a une sorte d'homogénéité joyeuse et accessible.

Cette diffusion irrégulière n'empêche-t-elle pas de fidéliser le public ?
La fidélité auprès du public est soit quotidienne, soit hebdomadaire. En-dehors de cela, il n'y a pas de fidélité. Si je faisais une émission tous les mois, elle serait sans doute moins bien et elle aurait sans doute sacrifié un peu d'identité. Mais je ne l'aurais pas fait. France 3 fait un travail formidable et Morgane est une maison de production extrêmement professionnelle avec de grands spécialistes de la musique. Si vous saviez le nombre d'émissions qu'on m'a proposé et que j'ai refusé. D'abord, j'ai toujours refusé les émissions politiques parce que j'ai donné et qu'il ne faut jamais refaire ce qu'on a déjà fait. Les émissions grand public de divertissement, ce n'est pas mon truc et je ne sais pas faire. Quand France 3 et Morgane sont venus me proposer "Fauteuils d'orchestre" il y a quatre ans, j'ai trouvé ça formidable. C'était la première fois de ma vie qu'on me proposait quelque chose qui correspond à ce que j'adore. C'est différent de ce qu'on voit ailleurs. Personne ne connaissait ma passion pour la musique classique.

"Ce serait beaucoup moins cher et beaucoup plus facile de diffuser une série !" Anne Sinclair

Malgré la qualité de l'émission et les bonnes notes obtenues au Quali TV (le baromètre qualitatif de France Télévisions), ses audiences sont assez faibles, avec par exemple seulement 1,08 million de téléspectateurs (5,7%) pour le dernier numéro...
Ce n'est pas mon problème, mais on fait en moyenne entre 1,2 million et 1,5 million de téléspectateurs, ce qui est quand même énorme pour de la musique classique, surtout sur France 3. C'est la force du service public que de faire des émissions qui ne soient pas absolument corrélées à une audience forte. Ce serait beaucoup moins cher et beaucoup plus facile de diffuser une série !

Comment "Fauteuils d'orchestre" a-t-elle évolué depuis son lancement ?
Auparavant, on était davantage centrés sur un invité avec Ruggero Raimondi, Gauthier Capuçon ou sur des familles de musiciens. Depuis quelques émissions, on s'est plus recentrés sur l'ADN de cette émission, c'est-à-dire des jeunes qui font partager leur passion avec des médiateurs tels que Mika, Natalie Dessay, Muriel Robin ou encore Karl Paquette qui a été danseur étoile à l'opéra de Paris et la présence d'instrumentistes formidables comme Edgar Moreau, qui est aujourd'hui, à 25 ans, le violoncelliste le plus demandé dans le monde. L'ADN de l'émission désormais est donc de donner la parole et les instruments à des jeunes qui font partager leur passion.

"Il y en a marre de l'audience" Anne Sinclair

On peut donc dire que vous sentez à l'aise sur France 3 dans cet exercice ?
Oui. J'ai eu cette proposition à laquelle je n'aurais jamais pensé. Ils m'ont donné la possibilité de partager ce que j'aime particulièrement. Si j'ai accepté, c'est parce que c'était différent et que ça correspondait à ce que j'ai toujours aimé. Quand on aime ça, on se dit toujours qu'on le fait peut-être mieux partager aux gens. Il y en a marre de l'audience. Il y a plein de manières différentes d'en faire. Quand Busnel fait "La grande librairie" (sur France 5, ndlr), on ne lui demande pas de faire de l'audience, on lui demande de faire une émission de qualité.

Avez-vous été tentée de proposer des projets à la chaîne ?
Non, je ne propose jamais rien. J'ai été très gâtée dans ma vie professionnelle et je ne suis pas à la recherche de quoi que ce soit. J'ai pu quitter la télé sans le moindre regret pour faire autre chose. J'ai fait de l'internet, de la radio, de la presse écrite, j'écris... Ma vie est très pleine et donc, non, je n'ai rien proposé à France 3.

A l'inverse, la chaîne ne vous a pas proposé d'autres émissions ?
Je pense que France 3 aimerait me voir animer des émissions telles que les "Chorégies d'Orange", mais je traîne un peu des pieds parce que le luxe de l'expérience, c'est de pouvoir dire non. Je ne suis pas en demande. Je n'ai jamais été en demande de faire de la télé. Le trio entre France 3, Morgane et moi marche merveilleusement bien.

"Je n'ai jamais beaucoup regardé la télé" Anne Sinclair

Restez-vous une téléspectatrice assidue malgré votre prise de recul ?
Non. Je n'ai jamais beaucoup regardé la télé. Il y a eu récemment une rétrospective sur LCP autour de "Sept sur sept" avec un très bel hommage où j'ai confié que c'était la première fois que je revoyais ces émissions. Je n'ai jamais regardé les émissions que je faisais car je n'ai aucun plaisir à me voir à l'écran. Je regarde de l'info, des émissions politiques, culturelles et des séries sur Netflix, comme tout le monde.

En tant que journaliste, comment avez-vous vécu le récent fiasco médiatique autour de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès ?
C'est un fiasco à la fois du côté médiatique et du côté policier. Je pense que tout le monde s'est fait avoir. La course pour donner l'info le plus vite possible fait qu'on n'a pas le temps de vérifier. C'est un épiphénomène qui montre à quel point il faut être vigilant. Quand j'ai lancé le "Huffington Post", j'ai dit à mes journalistes : "Je préfère qu'on loupe un scoop et qu'on prenne le temps plutôt que d'annoncer quelque chose à tort et à travers".

Pourquoi avoir arrêté votre chronique hebdomadaire dans le "Journal du dimanche" ?
J'ai besoin de me concentrer sur l'écriture. On verra, mais il y aura probablement un livre à la clé. Je ne sais pas faire 36 choses en même temps. Quand je fais quelque chose, je le fais à fond. La fréquence irrégulière de "Fauteuils d'orchestre" me va très bien parce qu'entretemps, j'ai le temps de travailler.

Vous ne fermez cependant pas la porte à un retour éventuel dans le "JDD" ?
On verra si je reprends ma chronique. Ils seraient tout à fait contents que je continue ou que je contribue d'une manière ou d'une autre. Je trouve que c'est un très bon journal. Il s'est densifié, il y a énormément à lire et le "JDD" est à la fois un hebdomadaire et un quotidien.

"La politique s'est incroyablement banalisée" Anne Sinclair

En tant qu'ancienne présentatrice de "Sept sur sept", est-ce-que vous ne vous dîtes pas qu'il est aujourd'hui devenu impossible de faire une émission avec un invité politique, quand on voit le peu d'intérêt des téléspectateurs pour ce genre d'offre ?
Il y a un problème, c'est que la politique est partout. Elle est partout, tout le temps, il y a des débats politiques partout sur les chaînes info, à toute heure du jour et de la nuit et donc la politique s'est incroyablement banalisée. Je pense que les interlocuteurs politiques se sont eux-aussi banalisés, que ce soit dans leur discours avec les éléments de langage et par ailleurs, j'ai l'impression qu'il y a moins de personnalités exceptionnelles qu'il n'y en avait autrefois. Mais quand je faisais "Sept sur sept", au début il n'y avait que trois chaînes, ensuite il y en a eu six et puis, surtout, la politique était un rendez-vous. Même si j'ai aussi reçu des artistes, des intellectuels ou des écrivains, les gens savaient que le dimanche soir à 19h, l'homme ou la femme politique était là pour donner de l'information ou sa vision du monde. Aujourd'hui, la vision du monde des politiques est à la fois réduite, parce que le personnel politique est peut-être moins exceptionnel, et surtout la politique est tellement banalisée que les gens n'écoutent pas. Ils sont lassés du débat politique. Pour leur redonner de l'envie, il faudrait des hommes ou des femmes politiques de grand calibre. Quand j'ai revu "Sept sur sept" sur LCP, il y avait Mitterrand, Rocard, Juppé, Sarkozy, Pasqua...

Les politiques d'alors s'exprimaient de façon plus soutenue qu'aujourd'hui...
Le langage était de qualité. Aujourd'hui, il s'est beaucoup relâché. Et puis c'étaient des caractères : Delors, Simone Veil... étaient des personnages extrêmement puissants et forts. J'ai l'impression qu'il y en a moins et que leur parole est distribuée tous azimuts. Jean-Michel Blanquer est un très bon ministre de l'éducation nationale mais ce n'est plus un événement de le faire parler parce qu'il parle beaucoup.

"Je trouve incroyable que TF1 n'ait pas d'émission politique régulière" Anne Sinclair

Depuis l'arrêt de "Sept sur sept", il n'y a plus eu d'émission politique régulière sur TF1, hors période électorale. Trouvez-vous ça normal ?
Ca m'attriste parce que TF1 fait partie des grandes chaînes européennes et je trouve incroyable qu'ils n'aient pas d'émission politique régulière. Ca n'existe dans aucun pays du monde. Même aux Etats-Unis où on sait à quel point ils sont accro à l'audience, le dimanche matin, vous avez cinq émissions politiques, vous ne savez plus où donner de la tête ! Que TF1 n'ait d'émission qu'au moment des élections, c'est énorme. De la même manière que les bureaux à l'étranger se sont amenuisés alors que le monde est de plus en plus global. A mon sens, cela participe du manque d'intérêt des Français pour la chose publique.

Que pensez-vous de ces nouveaux dispositifs dans lesquels les politiques sont directement interpellés par les citoyens ?
Ce sont des citoyens choisis pour la télévision. Donc quelle est leur représentation ? C'est très compliqué. Je suis très convaincue que les systèmes politiques, ce n'est pas simplement les citoyens face à la population. C'est un système qui plaît parce que c'est populiste, parce que c'est de la démocratie faussement directe, mais la politique, la vie publique, se font par des représentants que les gens élisent pour les représenter et qui sont habilités à discuter des sujets. Un parlementaire qui s'est plongé pendant des mois sur le problème de l'école, il sait de quoi il parle. Aujourd'hui, la tendance, c'est de dire "moi qui connaît rien au sujet que vous connaissez, j'en sais autant que vous sur ce sujet-là". Ce n'est pas vrai. Toutes les formules sont bonnes, à condition qu'il y ait des gens qui soient capables de les tenir.

"Léa Salamé n'a pas besoin de moi" Anne Sinclair

Lors d'une récente interview que vous avez accordé au "Parisien" en duo avec Léa Salamé, vous avez lancé l'idée d'interroger toutes les deux la chancelière allemande Angela Merkel. Etait-ce une simple boutade ou le projet avance-t-il ?
On a dit toutes les deux qu'on trouvait Angela Merkel formidable et intéressante. Le projet de l'interviewer ensemble était une boutade. Léa Salamé fait mille choses, elle se débrouille très bien et n'a pas besoin de moi. C'était un jeu mais ça voulait dire que nous avions toutes deux de l'admiration pour des personnages qui se révèlent et on ne peut pas dire qu'Angela Merkel ne se soit pas révélée. Elle est devenue quelqu'un de considérable en Europe et un chef de gouvernement fort. Remarquez qu'on n'a pas eu le même réflexe sur Trump...

puremedias.com vous propose de découvrir la bande-annonce du numéro de "Fauteuils d'orchestre" qui sera diffusé ce soir sur France 3 :

© France 3
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