Mohammed Merah, Amedy Coulibaly, Abdelhamid Abaaoud, les frères Abdeslam... Et désormais Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, auteur de l'attaque de Nice. Les visages de ces terroristes, leurs identités et leurs parcours décortiqués ont fait la Une de la presse française et internationale. Leurs photos diffusées en boucle dans les JT, certains médias n'hésitant pas à publier des clichés personnels et "exclusifs". Ces terroristes sont devenus du jour au lendemain connus de tous, de véritables "stars" médiatiques. Mais pour ne plus faire le jeu de Daesh, les médias doivent-il renoncer à en parler ? C'est l'avis de Fethi Benslama, spécialiste de la radicalisation, qui ouvre le débat dans Le Monde cet après-midi.
"Ceux qui commettent ces actes veulent être connus et reconnus, ils escomptent une gloire planétaire d'autant plus grande qu'elle est sanglante", estime-t-il. C'est pour cette raison selon lui que les terroristes laissent toujours non loin d'eux et avant de passer à l'acte des indices précieux sur leur identité, "pour être en phase avec la vitesse médiatique". Une carte bancaire, un passeport, un titre de séjour... Les enquêteurs doivent pouvoir mettre rapidement un nom sur l'auteur d'un massacre et décortiquer leur profil. L'histoire médiatique du tueur peut alors s'emballer. "Il est temps pour la médiasphère de tirer les conséquences éthiques et politiques face à cette stratégie de la terreur, en refusant leur utilisation comme amplificateurs du crime, en ne leur offrant pas la renommée par l'abjection", estime Fethi Benslama.
Le psychanalyste et professeur d'université suggère la création d'un "pacte" entre médias qui s'engageraient par exemple à ne diffuser que les initiales d'un terroriste, sans photos ou détails biographiques. "Les autorités judiciaires devraient y penser aussi. Le même engagement pourrait être pris par les usagers des réseaux sociaux. Même si tout le monde n'y souscrira pas, nous le savons, ce pacte limitera le rayon de leur action auto-glorifiante", pense-t-il. Car la personnalisation et la starification font aujourd'hui pleinement partie de la stratégie de l'Etat Islamique, elle joue "une puissance attractive (...) sur des esprits labiles, voire - dérangés, pour lesquels devenir célèbre quelques jours vaut un massacre".
Cette réflexion est en cours au sein de certaines rédactions dont celle de BFMTV, très regardée ces derniers jours. "C'est un vrai débat, on va continuer d'y réfléchir, explique Hervé Béroud, directeur général de la chaîne à puremedias.com. Les photos, c'est assez simple comme décision, cela relève de chaque média". Mais ne pas communiquer l'identité d'un terroriste est un sujet plus complexe, les autorités n'hésitant pas à la révéler auprès des médias. "Si François Molins ou Bernard Cazeneuve donne l'identité et le parcours d'un terroriste en direct lors de leurs conférences, notre choix aura peu d'impact", poursuit-il. Seul le pouvoir politique peut donc retenir ces informations ou demander aux médias de ne pas les diffuser sur leurs antennes.