Interview
Augustin Trapenard : "C'est triste d'envisager le journalisme par le prisme de l'agression" (Médias le mag, l'interview)
Publié le 22 janvier 2016 à 17:04
Par Prune P.
Chaque semaine, retrouvez sur puremedias.com "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5.
Augustin Trapenard © Youtube
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Chaque semaine, retrouvez "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5. Julien Bellver, co-rédacteur en chef de puremedias.com et chroniqueur dans "Médias le mag" le dimanche à 12h35 interroge une personnalité des médias toutes les semaines. Pour ce 19e numéro, Julien Bellver reçoit Augustin Trapenard, à la tête de "Boomerang" sur France Inter et chroniqueur dans "Le Grand Journal" de Canal+.

"Je lis cinq à six livres par semaine"

Vous lisez combien de livres par semaine pour alimenter votre émission sur Inter et votre chronique sur Canal+ ?
Vous avez remarqué que, autant j'ai commencé en tant que critique de livres, autant aujourd'hui, je me suis ouvert à d'autres médias, en particulier le cinéma et la musique. Du coup, je pense que je lis cinq à six livres par semaine. Si vous faites le calcul, j'ai pas mal de temps entre le matin et le soir.

Vous avez des fichistes, des assistants chargés de lire les livres ou écouter les albums pour vous ?
Non, et je pense que si ça arrive un jour, je changerai de métier, je deviendrai libraire !

"Boomerang" sur France Inter est un joli succès avec un million d'auditeurs en moyenne. C'est la deuxième émission culturelle de radio la plus écoutée. Votre objectif, c'est de devenir numéro un, devant RTL ?
Ce sont deux émissions totalement différentes. Le parti pris de France Inter est très fort : c'est, après le tunnel de la matinale de Patrick Cohen, faire le pari d'une demi-heure d'entretien avec un artiste. C'est une autre parole, trébuchante, tremblante, une autre voix et un autre regard sur le monde. Il me semble que le concurrent dont vous parlez est plus séquencé, propose une vision de la culture un peu différente...

Un peu plus populaire, aussi ?
Je ne crois pas parce que si vous regardez les invités que j'ai eus cette semaine, Daniel Auteuil est un invité que pourrait tout à fait recevoir RTL. C'est juste une autre façon d'envisager la parole de l'artiste.

"'Boomerang' est dans la drague, le sexe même parfois"

Grâce à ces bonnes audiences, tout le monde se presse dans votre émission ou il y a encore des invités qui font de la résistance ?
Là, Leonardo DiCaprio, on ne l'a pas eu ! (Rires) On se bat beaucoup, j'ai une équipe formidable, avec ma programmatrice, on construit une programmation que je veux extrêmement éclectique. Il y a des invités qui sont faciles à avoir parce qu'on les fait découvrir, et d'autres qui sont plus complexes. En même temps, vous avez raison, le succès relatif de l'émission fait que la plupart des invités sont heureux de venir. Par ailleurs, je crois que je les accueille pas mal.

Il y a un invité que vous rêveriez d'avoir ?
Mon rêve, c'est d'interviewer Joni Mitchell, la chanteuse de folk, qui par ailleurs est assez malade donc je ne sais pas si je l'aurai un jour.

Vous receviez Charlotte Rampling ce matin. Elle vous a un peu dragué, non ?
Toujours ! "Boomerang", c'est une émission qui est dans la drague, dans la caresse, dans le sexe même quelquefois !

Elle a dit que vous l'inspiriez...
Oui, c'est un très beau compliment ! Je ne sais pas si elle le pensait vraiment mais effectivement, c'est une émission que j'ai trouvée belle. Elle s'est livrée.

Vous ne recevez que des gens que vous aimez ?
Que des gens qui m'interpellent, qui m'interrogent, ce qui est complètement différent. Le "C'est bien", "c'est pas bien", c'est une problématique très nineties, ça n'a pas grand intérêt. Ma grand-mère peut vous le dire, ma tante aussi. Ce qui est intéressant, c'est de contextualiser et de s'interroger sur la culture.

"C'est triste d'envisager le journalisme par le prisme de l'agression"

La culture à la télévision a un nouveau visage sur France 5, Claire Chazal à la tête d'"Entrée libre". Vous êtes plutôt Laurent Goumarre ou Claire Chazal ?
Je connais beaucoup mieux Laurent Goumarre, qui a travaillé comme moi sur France Culture puis sur France Inter. Je n'ai pas vu l'émission de Claire Chazal. Ca m'intéresse de la voir. Ce qui m'intéresse aussi, c'est qu'il y a beaucoup de journalistes qui viennent d'ailleurs et qui finissent par la culture, ou qui viennent vers la culture. Ca montre bien le côté un peu tremblant de ce journalisme culturel.

C'est une femme de culture Claire Chazal. C'est un bon choix de l'avoir mise à cette place ?
Je ne sais pas très bien comment ça s'est passé surtout... J'ai lu des choses à droite à gauche mais ça ne m'intéresse pas trop, je ne suis pas journaliste média et je n'ai pas le temps surtout de regarder. Ca m'a l'air d'être un bon choix mais je suis triste pour Laurent, ça a dû être compliqué pour lui.

Est-ce que la télévision parle bien de culture ? Le Figaro écrivait lundi que les émissions culturelles d'aujourd'hui incarnées par Claire Chazal, François Busnel ou Frédéric Taddéi étaient trop consensuelles...
Je m'interroge beaucoup sur cette notion de consensuel. C'est très triste d'envisager le journalisme, et le journalisme culturel, par ce prisme de l'agression, de la tension, du percutant, de l'incisif. Je crois que les gens n'ont pas envie de ça.

Vous répondez souvent à vos auditeurs qui vous reprochent de ne pas aller assez loin, comme ce matin avec Charlotte Rampling...
Toujours. Moi, ce qui m'intéresse, c'est que je lui ai posé la question. Après, elle répond. Elle a répondu. Je capitalise sur l'intelligence de l'auditeur qui peut, avec sa propre finesse, voir très bien ce qu'elle a voulu dire. Je crois au contraire que la culture doit être dans le partage. Je crois que les gens ont envie d'entendre du sens, et pas seulement des petites pastilles d'une minute où il y a un buzz, une petite phrase... C'est ringard !

"Un ministre interchangeable, ça me pose problème"

Renaud Capuçon invité de votre émission il y a quelques jours disait : "A la Culture, je rêverais d'avoir un duo de ministres. Bruno Lemaire et Fleur Pellerin par exemple". Et vous, qui aimeriez-vous voir à la Culture ?
Un nom, Christiane Taubira, peut-être.

C'est une bonne ministre de la Culture, Fleur Pellerin ?
Je pense qu'elle a effectivement fait un assez bon travail. Il y a eu un problème de communication et de statut. Ce qui me pose problème avec Fleur Pellerin, c'est qu'elle pourrait être ministre des Sports demain, ministre de la Santé après-demain... Un ministre interchangeable. Et ça me pose toujours problème. La Culture, on doit l'incarner, surtout en France. Christiane Taubira l'incarne déjà.

Hier, dans "Le Petit Journal" de Yann Barthès, Alain Chamfort a dit qu'il ne reconnaissait pas Canal+. Vous qui avez connu toutes les époques, Denisot, De Caunes, Biraben, vous reconnaissez Canal+ ?
Bien sûr que je reconnais le Canal+ que j'ai aimé. Je le vois évoluer aussi ! Il n'y a rien de pire que d'iconiser quelque chose. J'aime le changement ! Je remarque quand même que "Les Guignols" sont toujours là, et je les aime toujours ! Ils n'ont jamais fait l'unanimité.

"Mon drame, ce sont les émissions prometteuses qui s'arrêtent"

Vous êtes heureux au "Grand Journal" ?
Oui, c'est vraiment la rédaction où je me suis le plus amusé et où je m'amuse encore aujourd'hui. J'ai la chance de m'entendre très bien avec Maïtena Biraben. A un moment donné, il faut relativiser. Ca reste une émission d'infotainment, une émission où on s'amuse, où on sourit, et où j'ai la chance chaque soir de parler d'un objet culturel que j'aime.

Vous estimez qu'il y a eu trop de bashing ?
Je pense que c'est votre métier de juger, d'analyser. Mais j'ai vu le passage de Michel Denisot à Antoine de Caunes et souvenez-vous, ça a été difficile aussi. Une émission, quand elle change de présentateur, on doit prendre le temps de l'installer. On l'a pris tous avec beaucoup d'humilité, c'est ce métier aussi, conserver la curiosité, essayer de progresser...

Il faut du temps pour que les audiences décollent ?
Bien sûr ! Moi, je suis toujours favorable au temps. Quand j'ai rencontré Laurence Bloch, la directrice de France Inter, pour lui parler de "Boomerang", je lui ai dit qu'il fallait laisser l'émission s'installer. Et ça vaut pour tout. Mon drame, aujourd'hui, c'est de voir ces émissions prometteuses qui s'arrêtent d'un coup...

C'est la loi des médias...
Mais quelle loi des médias ? C'est vous qui la faites, la loi des médias.

Non, ce n'est pas nous. Une émission, sur une chaîne commerciale, si elle ne fait pas d'audience, elle ne génère pas de recettes publicitaires, donc on la change...
Mais qui dit ça ?

Les patrons de chaîne !
Mais on peut penser autrement aussi ! La culture, ça peut être une vitrine aussi, ça peut être autre chose que de l'audience pour de l'audience.

"Je serais ravi de rempiler au 'Grand Journal' l'an prochain"

Il y a suffisamment de culture dans "Le Grand Journal" aujourd'hui ?
Je crois. Si vous regardez bien, il y en a même beaucoup plus qu'auparavant et moi j'ai de plus en plus de place.

Donc vous serez là l'année prochaine si Maïtena rempile ?
Oui, je serais ravi ! Je passe des très bons moments avec Maïtena. J'attends de voir ce qu'on va me proposer aussi à Canal+.

Vous avez quel âge ?
J'ai 36 ans.

Je vous le demande parce que vous faites partie de ces jeunes talents que France Inter a mis à l'antenne depuis deux ans, avec Charline Vanhoenacker, Sonia Devillers... France Télé est en train de faire à peu près la même chose. C'est du jeunisme ou de la modernité ?
36 ans, ce n'est pas jeune ! C'est ça le problème ! Au "Petit Journal", on a vu des journalistes très jeunes. Je ne dis pas que c'est du jeunisme. Moi, ça fait longtemps que je fais ce métier, ça fait une dizaine d'années que je fais de la radio, la télévision, ça commence à venir aussi.

Vous êtes favorable au changement ?
Oui, toujours, un peu !

Place aux jeunes ?
Oui, mais quels jeunes ? Dites-moi et je vous dirais oui/non...

Julien Lepers remplacé par Samuel Etienne, 44 ans...
Mon drame, c'est que je n'ai pas la télé. Du coup, Julien Lepers, j'ai des vagues souvenirs de ma grand-mère. Si elle était encore là, elle serait furieuse !

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