"En ce moment, c'est free style total pour tout le monde !". C'est ainsi qu'un cadre d'une grande chaîne privée commente les déprogrammations en cascade auxquelles l'ensemble du PAF procède depuis quelques jours. Strictement encadrée en temps normal, cette pratique des "dépros" s'est très largement libéralisée depuis le début de la crise du coronavirus et le confinement général imposé par les autorités françaises.
En témoigne hier soir la déprogrammation sauvage par TMC du blockbuster "Rogue One", au profit d'une rediffusion du "Retour de la momie". Dimanche soir déjà, TF1 avait choisi de retirer de l'antenne au dernier moment la comédie "Rien à déclarer" pour la remplacer par "Moi, moche et méchant". En access, TF1 a aussi dû remplacer en catastrophe "Demain nous appartient", dont les tournages sont à l'arrêt, par une version quotidienne de "Sept à huit" montée en seulement une semaine.
Sur M6, Cyril Lignac a pour sa part remplacé samedi des rediffusions de "Chasseurs d'appart'" avec un programme de cuisine participative inédit. "Suite aux commentaires très positifs après la première diffusion", la Six a fait savoir dans un communiqué qu'elle programmerait l'émission chaque jour en access à partir de ce soir. La chaîne de Nicolas de Tavernost n'a pas non plus hésité à déprogrammer hier en prime time un inédit de "Patron incognito" au profit d'une énième rediffusion du "Gendarme de Saint-Tropez". De son côté, C8 faisait de même en diffusant "La vache et le prisonnier" en lieu et place d'"Instinct de Survie", le film inédit prévu initialement. Procédé que la chaîne réitérera le 30 mars avec les déprogrammations de "Hunger Games" et "Instinct de Survie" au profit de "La Dilettante" et d'une rediffusion d'"Enquête sous haute tension".
Le service public n'est pas non plus en reste avec la programmation chaque après-midi, y compris les jours traditionnellement "interdits" au cinéma, de films patrimoniaux. Le groupe public n'a pas non plus hésité à déprogrammer "Surprise sur prise", prévu samedi 21 mars sur France 2, au motif que Michel Cymes figurait parmi les personnes piégées et aurait offert une image trop décalée par rapport à son rôle de médecin en première ligne pour commenter la crise sanitaire actuelle. Une décision déjà prise pour justifier la déprogrammation de "Ça ne sortira pas d'ici", son talk show de deuxième partie de soirée.
Agaçant souvent les téléspectateurs, ces nombreuses déprogrammations ne semblent pas toujours répondre aux règles strictes qui encadrent cette pratique. En temps normal, seule une poignée de cas de figures permettent ainsi de remplacer un programme annoncé trois semaines à l'avance par un autre. Parmi eux, "un évènement important lié à l'actualité immédiate", une "décision de justice", un incident technique imprévisible, une "contre-performance d'audience" très précisément évaluée, ou encore "un intérêt manifeste pour le public".
"Disons qu'en ce moment, tout le monde ferme un peu les yeux", avoue un cadre d'un grand groupe privé. D'habitude si promptes à dénoncer les infractions de leurs concurrentes, toutes les antennes ont compris qu'elles avaient collectivement intérêt à se faire discrètes durant cette période troublée. "Il y a un problème inédit d'approvisionnement en programmes et les chaînes doivent bien le résoudre comme elles peuvent !", fait valoir un cadre d'une chaîne interrogé. Un état de fait qui justifie notamment les déprogrammations des feuilletons quotidiens, malgré le courroux des fans, ou encore le raccourcissement des numéros de "The Voice" pour maintenir le programme plus longtemps à l'antenne.
Mais outre la gestion du stock de programmes, une bonne partie des annulations actuelles est tout simplement le fait d'impératifs économiques. "Pour pallier la chute de nos revenus publicitaires, nous devons absolument faire des économies sur toute la grille", confiait ainsi la semaine dernière un cadre d'une régie d'une grande chaîne privée. Un dernier motif qui justifie notamment les nombreuses déprogrammations en matière de cinéma, les chaînes préférant ne pas gâcher d'onéreuses cartouches dans le contexte publicitaire morose actuel.
Elles préfèrent ainsi dégainer de vielles munitions au coût de revient bien moindre. "Si M6 rediffuse 'Le gendarme de Saint-Tropez' hier, c'est que cela ne lui coûte pas cher, les droits de diffusion du film appartenant à SND, sa filiale de distribution. Idem pour C8 avec 'La vache et le prisonnier', qui appartient à Studio Canal", témoigne un observateur bien informé du secteur.
Il faut dire que les chaînes auraient tort de se priver. Dans un courrier en date du 19 mars, le Conseil supérieur de l'audiovisuel informait ainsi officiellement les chaînes qu'il ferait "preuve de tolérance et de compréhension" face aux "difficultés nombreuses" qu'elles rencontrent pour "alimenter leurs antennes" et face à la "contraction brutale de leurs recettes publicitaires". C'est dans cette même logique que le régulateur a donné son accord à France 2 pour la diffusion à 14h de films patrimoniaux, y compris les jours interdits comme le samedi et le dimanche après-midi. "Les jours interdits servent à protéger les salles de cinémas. Celles-ci sont fermées actuellement", fait-on valoir dans les couloirs de France Télé.
Ces déprogrammations peuvent-elles pour autant durer ? "Elles vont même s'accentuer !", croit savoir un cadre d'une grande chaîne privé prédisant "une boucherie" dans les jours à venir. "Nous n'avons que quelques semaines de programmes frais devant nous. Il va falloir continuer à nous adapter", tient à rappeler l'un de ses concurrents. Les téléspectateurs vont donc sans doute devoir s'habituer à faire preuve de souplesse.