Après Thierry Ardisson fin octobre, Denis Brogniart est le deuxième invité spécial de la saison de puremedias.com. L'animateur de TF1 prend la parole à l'occasion de l'arrivée ce soir en prime time de "District Z", la super-production d'Arthur. Dans cette deuxième partie de l'entretien, Denis Brogniart revient sur la saison de "Koh-Lanta" qui vient de se conclure et dévoile à quoi va ressembler celle qu'il vient de tourner en Polynésie.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Quel bilan faites-vous de la dernière saison de "Koh-Lanta" ?
Denis Brogniart : Si on ne parle que des audiences, on peut dire que c'est une excellente saison. C'était une saison originale et très française dans sa conception avec ce système de quatre équipes correspondant aux quatre grandes régions françaises.
Cette répartition par région a été abandonnée assez tôt dans la saison. A-t-elle fonctionné pour autant selon vous ?
Oui, elle a super bien marché ! Brice par exemple, dit jusqu'au bout qu'il est de la Creuse. Loïc et Alexandra disent au moment des poteaux qu'ils sont des représentants de l'Est. Jusqu'au bout, cette logique de région a marqué les candidats.
Certaines régions rassemblaient cependant des gens venant de contrées très différentes...
Certes, mais les candidats s'en fichaient ! Le candidat de Pau n'était pas dérangé d'être avec un Normand parce qu'ils étaient tous les deux "de l'ouest".
Cette formule régionale pourrait-elle revenir lors des prochaines saisons ?
A court terme non. Plus tard, pourquoi pas. Lors de la prochaine saison (déjà tournée en Polynésie, ndlr), nous aurons une autre nouveauté de taille qui marche très bien. Et pour revenir à votre première question sur le bilan de cette saison, nous ne pouvons que rappeler qu'elle a malheureusement été marquée par une triste première pour nous avec le décès d'un candidat au cours de la diffusion. Ce candidat, Bertrand-Kamal, était charismatique et a marqué la saison par ses performances, sa bonhomie, sa capacité à fédérer, et puis son départ terrible du jeu sur une épreuve d'immunité à élimination directe.
"En quelques mois, Bertrand-Kamal est devenu un ami"
Que s'est-il passé sur cette épreuve où il s'effondre ?
C'est une épreuve terrible. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Bertrand-Kamal n'a pas ramené une seule pièce. Il a dû paniquer en voyant les autres candidats terminer l'épreuve les uns après les autres. C'est ce jour-là qu'il s'est passé quelque chose entre nous d'ailleurs. J'ai dès le début trouvé ce type très attachant sur le tournage. Je me suis toujours dit que son côté biculturel avait fait un très beau mélange. Mais je m'en suis particulièrement rendu compte durant le quart d'heure que j'ai passé avec lui après son élimination. Traditionnellement, je passe toujours un peu de temps avec les aventuriers qui viennent d'être éliminés. Certains aventuriers s'attendent parfois à sortir, pas lui. Il venait de signer un pacte avec Dorian et les autres garçons. Dans sa tête, il allait au bout de l'aventure... Il sort. Il est sous le choc. Il perd les 100.000 euros - il comptait beaucoup sur "Koh-Lanta" car il voulait se lancer ensuite dans le one-man-show -. On discute pendant un quart d'heure et il me parle de l'amour qu'il a pour ses parents, de l'envie qu'il a de se rapprocher de son frère, de la futilité de cette élimination par rapport à l'importance de la vie. C'est là que je me rends compte que ce type a un truc en plus. Ca n'arrive pas toutes les saisons, mais ce mec... Il s'est passé quelque chose ce jour-là qui n'a fait que se renforcer par la suite.
Quand a-t-il appris qu'il souffrait d'un cancer du pancréas ?
Quelques semaines après son retour du tournage de "Koh-Lanta". Le monde s'est effondré... Je suis très attaché à la recherche contre le cancer. Je suis le parrain de la fondation Arc. J'ai perdu mon père très jeune d'un cancer. Quand j'apprends qu'il est malade, c'est terrible, d'autant que je sais la difficulté de traiter ce genre de cancer. Il n'y a ensuite pas une journée sans qu'on ne se parle. On se voit chez moi, chez lui, chez ses parents. J'ai peu d'amis dans la vie, et je pense que les gens lucides ont peu d'amis. On peut avoir beaucoup de copains, de connaissances, mais on a peu d'amis. Ce type-là, en quelques mois, est devenu un ami. On s'est battu ensemble, on a tout tenté pour l'aider.. C'était un type brillant, généreux. On a coutume de dire des gens qui sont partis qu'ils étaient formidables mais dans son cas, croyez-moi, c'était vrai. Deux jours avant sa mort, on était allé le voir à l'hôpital avec ma femme et la première chose qu'il m'a demandé, c'est des nouvelles de mes enfants... Il est même parvenu à avoir un trait d'humour par rapport à l'épisode de "Koh-Lanta" de la veille qu'il n'avait pas encore pu voir car il était trop fatigué. Ce type était un exemple, tout comme sa famille.
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Pourquoi avoir décidé de créer en sa mémoire un fonds dédié à la recherche contre le cancer du pancréas ?
On en avait parlé ensemble avant sa mort. Il m'avait dit qu'il voulait vraiment s'impliquer pour que nous trouvions des solutions pour lutter contre cette "merde". C'était son but. Une fois parti, c'était le mien, celui de ses parents, du professeur Fabrice André et de Julien Magne, le producteur de "Koh-Lanta", qui a beaucoup oeuvré pour Bertrand-Kamal durant cette période. Je me suis juré le jour de sa mort de faire quelque chose. On est passé par la fondation Arc et on a contacté les cinq plus grands spécialistes mondiaux de cette maladie. Ils ont identifié des protocoles et des axes de recherche en France. On espère avoir les moyens de ces ambitions. J'espère que la recherche va progresser. Je n'aime pas cette expression mais si la mort de Bertrand-Kamal peut servir à quelque chose dans la lutte contre cette maladie, il restera à tout jamais une étoile qui brille.
"Nous sommes les seuls à avoir réussi à tourner 'Koh-Lanta' en temps de crise sanitaire"
Comment s'est passé le tournage en pleine crise sanitaire de la prochaine saison de "Koh-Lanta" ?
Très bien ! Il n'y a eu aucune contamination. TF1 et ALP, le producteur, ont mis en place des conditions de tournage extrêmement rigoureuses. Nous avons dû faire deux tests Covid avant de partir - un à 10 jours, un à 3 jours -, un test en arrivant sur place, un test quatre jours après être arrivé et avoir passé une quarantaine où nous ne sortions pas de l'hôtel. Au bout de quatre jours, nous avons pris l'avion pour aller dans l'archipel de Raiatea, à 40 minutes de vol, notre lieu du tournage. Une fois là-bas, avant de monter sur le bateau qui nous servait de bulle sanitaire, nous avons fait un nouveau test Covid avec le médecin de "Koh-Lanta". Ca faisait cinq tests au total ! Force est de constater que ça a fonctionné.
Tous les techniciens étaient par ailleurs masqués ?
Oui, nous avions 80.000 masques ! C'était masque en permanence pour tout le monde, sauf pour les candidats, et pour moi, mais uniquement pendant le tournage. Les cameramen, les ingénieurs du son, les constructeurs, tout le monde avait un masque, sur le bateau, pour aller à table, etc... On a aussi rallongé les distances de sécurité entre les techniciens et les candidats. On n'a rien sans rien. Nous sommes d'ailleurs les seuls à avoir réussi à tourner "Koh-Lanta" durant cette période. Tous les autres pays, États-Unis compris, ont renoncé. Il faut rendre un coup de chapeau aux équipes d'ALP. Il fallait être couillu pour partir tourner cette saison ! Si tu avais eu seulement cinq personnes de l'équipe contaminées, c'était terminé ! Un tournage comme "Koh-Lanta", on ne peut pas l'arrêter et le reprendre deux mois plus tard. On aurait dû tout jeter à la poubelle. Ce qui est génial en plus, c'est que vous découvrirez en 2021 un tournage rigoureusement identique à ce qu'il aurait été sans le Covid.
Rien ne changera à l'écran ?
Rien ! Etant dans une bulle sanitaire, sans contamination possible, les candidats ont pu évoluer comme d'habitude. Vous les verrez se prendre dans les bras comme dans n'importe quelle saison de "Koh-Lanta".
Ce tournage a tout de même dû être particulièrement stressant ?
Oui, je ne vous cache pas qu'il a été compliqué et stressant. Je peux même vous dire que je n'ai jamais été autant soulagé lors des applaudissements qu'on se donne traditionnellement à la fin du tournage du conseil du jury final (rires). Mais on y est arrivé ! Tout le monde a joué le jeu. Moi par exemple, j'ai passé le mois précédent sans embrasser mes enfants. J'ai passé les 15 jours avant le départ à manger à côté d'eux, au bar de la cuisine, tandis que mes enfants et ma femme dînaient à table. Quand je suis rentré de Polynésie, j'ai serré mes enfants dans mes bras pour la première fois en presque trois mois !
"Un producteur m'a dit : ''Koh-Lanta', c'est le programme du siècle'"
Y'aura-t-il des nouveautés marquantes dans la nouvelle saison attendue en 2021 ?
Oui.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Non, malheureusement. C'est encore trop tôt.
La finale sera-t-elle de nouveau découpée en deux épisodes ?
Je ne sais pas. Je ne sais jamais à l'avance quand une saison va être diffusée ni comment elle va être découpée.
Les polémiques durant le premier confinement sur ce redécoupage de la saison de "Koh-Lanta : L'île des héros" vous ont-elles agacé ?
Franchement non. Et puis les gens n'étaient pas si mécontents que ça en réalité. Nous, ce qu'on voulait à tout prix, c'était pouvoir organiser la finale en direct et en plateau. Les Américains ont tourné la finale dans le garage de l'animateur, Jeff Probst. On le voyait tout seul avec ses vélos en arrière plan. J'ai beau avoir un beau garage, je ne voulais pas y tourner la finale de "Koh-Lanta" (rires). Vous ne pouvez pas savoir quel bonheur on a eu de pouvoir regrouper tous les aventuriers de cette saison tellement marquante pour faire cette grande finale dans de bonnes conditions...
"Koh-Lanta" est sans doute le programme télé qui a connu le plus de drames dans son histoire : des morts tragiques, une affaire d'agression sexuelle, le coronavirus... . Ce jeu s'est pourtant toujours remis de tout. Comment expliquez-vous qu'il soit autant insubmersible ?
Un producteur m'a dit il n'y a pas très longtemps : "'Koh-Lanta', c'est le programme du siècle". Je n'aurais jamais osé dire une chose pareille mais cela m'a touché. Il est vrai qu'il existe peu de programmes qu'on puisse mettre à l'antenne deux fois par an - soit près de 30 soirées ! -, qui soient leaders à tous les coups, avec des scores énormes sur la cible commerciale et le public jeune. Ca n'existe pas ailleurs en réalité, et cela dure depuis 20 ans. Malgré les drames, les turpitudes, les soubresauts... J'essaye toujours de comprendre....
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Justement, quel est le secret selon vous ?
Je pense qu'il y a trois éléments forts. Le premier, c'est le voyage. "Koh-Lanta" emmène les téléspectateurs dans des endroits où ils n'iront sans doute jamais dans leur vie. Nous permettons aux gens de voyager par procuration. Le deuxième élément est selon moi que c'est le divertissement le plus pur de la télévision. Vous mettez une vingtaine de personnes ensemble et à la fin il n'en reste qu'une. Il n'y a aucune intervention extérieure, de qui que ce soit. Les candidats vivent ensemble, ils jouent, gagnent, perdent et s'éliminent ensemble. Ils choisissent aussi ensemble le gagnant parmi les deux meilleurs. Je ne vois pas beaucoup d'autres programmes où vous avez cette pureté. Concernant le troisième élément qui peut expliquer la pérennité du programme, il y a aussi, je crois, l'aventure par procuration qu'il offre aux gens. En tant que téléspectateurs, vous vous mettez à la place d'un Claude, d'un Loïc, d'une Alexandra. On est devant la télé dans son canapé et on a ses favoris, ceux qu'on aime moins, ceux qu'on découvre ou qu'on apprend à aimer au fur et à mesure des épisodes. C'est comme dans la vie. "Koh-Lanta" est ainsi l'un des rares programmes où tu ne sais jamais qui va gagner. Peu de gens par exemple pouvaient imaginer une victoire d'Alexandra à l'issue du premier épisode de la dernier saison...
"J'ai la prétention de croire que j'arrive à gérer les réseaux sociaux"
C'est vrai que ça partait mal pour elle...
Je vais vous faire une confidence. J'ai regardé le premier épisode de "Koh-Lanta" avec ma femme. Et comme beaucoup de monde, elle ne croyait absolument pas aux chances d'Alexandra. Elle était tellement remontée que j'ai fini par lui dire, et c'est la première fois que je le faisais, qu'elle serait sur les poteaux. D'habitude, je ne dis absolument rien à ma famille sur le déroulé de la saison. J'ai même tendance à leur raconter des bêtises et à les mettre sur des fausses pistes (rires). Mais dans le cas d'Alexandra, j'ai été obligé de lui jurer que je disais la vérité car elle ne me croyait vraiment pas (rires).
"Koh-Lanta" a existé sans les réseaux sociaux à ses débuts. Qu'ont-ils changé dans votre manière de travailler ?
Pour moi, ça n'a rien changé. J'ai la prétention de croire que j'arrive à gérer les réseaux sociaux. C'est à dire que les cons, je les bloque ou n'y fais pas attention. Pour le reste, je prends ce qu'il y a de bon dans les réseaux sociaux, c'est à dire la liberté et la communication directe avec les gens. Pour les candidats, c'est un peu plus compliqué à gérer parfois parce que ça leur tombe dessus brutalement. On essaye de leur dire de prendre de la distance mais c'est difficile quand on n'a pas l'habitude. Mais les réseaux sociaux leur offrent aussi la possibilité de devenir un personnage public, et de le monnayer ensuite. C'est donc aussi du positif pour eux. Mais je n'ose imaginer ce qu'il se serait passé si les réseaux sociaux avaient existé à l'époque de Moundir ! (rires)
Où en est l'affaire d'agression sexuelle ayant entraîné l'annulation du tournage d'une saison de "Koh-Lanta" en 2018 ?
Je n'en ai aucune idée.
"J'ai le plus beau métier du monde"
On dit que vous connaissez l'âge auquel vous allez arrêter "Koh-Lanta". Est-ce vrai ?
Ce n'est pas tout à fait cela. Ce que je sais, c'est que j'ai 53 ans et que je n'irai pas au-delà de la retraite.
Est-ce à dire qu'il vous reste au maximum encore une dizaine d'années de tournage de ce programme ?
Oui, si vous voulez. Mais je n'ai jamais fait de plan de carrière. Est-ce qu'on voudra encore de moi pendant 10 ans ? Est-ce que j'aurai encore envie pendant dix ans ? Je n'en sais rien.
Vous n'êtes toujours pas lassé d'animer "Koh-Lanta" ?
Comment pourrais-je l'être ?! Ce concept me colle à la peau. Les lieux changent, les candidats aussi. Je travaille avec une équipe que j'aime sur un programme qui marche bien et qui me permet de vivre très confortablement. "Koh-Lanta", c'est une épopée des temps modernes ! Je souhaite d'ailleurs à tous les gens qui entament un boulot d'avoir autant de lassitude que moi (rires). J'ai le plus beau métier du monde. Ce serait bégueule que d'en être blasé.