L'article de la discorde. Saisi le 9 avril 2023 par un requérant, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a épinglé "Le Point" dans une décision datée du 13 juin 2023 et relayée massivement sur les réseaux sociaux ce week-end. Le CDJM estime, en effet, qu'un article, publié le 3 avril 2023 sur le site de l'hebdomadaire et intitulé "Sainte-Soline : Non, le Samu n'a pas été interdit d'accès aux blessés", a contrevenu aux "règles déontologiques d'exactitude et de respect de la véracité des faits, d'une part, et d'offre de réplique, d'autre part". L'une des auteures de cet article, Géraldine Woessner, se défend.
Le 25 mars 2023, le terrain censé accueillir un projet contesté de méga-bassine a été le théâtre d'une manifestation, à l'issue de laquelle plusieurs dizaines de manifestants et de gendarmes ont été blessés. L'article du "Point" a été particulièrement commenté au vu du contexte abrasif. Aussi, il battait en brèche les informations du "Monde", de "Libération" et de "Mediapart" en leur donnant un autre sens.
Le requérant, parmi d'autres choses, estime en effet que "l'article du 'Point' met en cause à tort trois médias – 'Libération', 'Le Monde' et 'Mediapart' -, qui, selon cet article, ont accusé les autorités publiques 'd'avoir refusé (au Samu) d'apporter des soins aux blessés' ou 'de (l')avoir empêché d'accomplir (sa) mission".
"Vérification faite", valide le CDJM, "aucun des trois médias mis en cause par 'Le Point' n'a effectivement affirmé que les autorités publiques avaient refusé d'apporter des soins aux blessés (...) En fait, comme le note le requérant, les médias incriminés par Le Point s'interrogent sur le fonctionnement des secours et les délais d'intervention et non sur un empêchement stricto sensu d'apporter des soins aux blessés". Le CDJM considère donc que "Le Point" "n'a effectivement pas fait preuve d'exactitude en accusant, à tort, 'Le Monde', 'Libération' et 'Mediapart'".
Le deuxième grief retenu par le CDJM à l'encontre du "Point" a trait à la "véracité des faits". Selon le requérant, "les journalistes du 'Point' 'n'apportent aucune preuve que les violences n'ont pas d'abord été du côté des forces de l'ordre'". "Ces mêmes journalistes", poursuit-il, "sous-entendent, sans l'étayer, 'que la manifestation aurait eu dès le départ une intention violente'".
Là encore, le CDJM approuve : "aucun argument ne figure dans l'article du 'Point' à l'appui de l'accusation selon laquelle la violence aurait été méthodiquement préméditée à Sainte-Soline". Il considère, à ce sujet également, que "la comparaison effectuée en fin d'article entre les événements de Sainte-Soline et les méthodes d'action du Hamas a une portée plus calomnieuse qu'informative", relève-t-il. Avant d'enfoncer le clou : "Il y a oubli de l'impératif déontologique d'éviter 'l'accusation sans preuve et l'intention de nuire'".
Le CDJM confirme, enfin, que "l'obligation déontologique d'offre de réplique n'a pas été respectée". "Les médias accusés dans l'article du 'Point' ne semblent pas avoir été interrogés pas plus que les organisations mises en cause (LFI, les Soulèvements de la terre, Bassines non merci), exceptée la LDH", conclut le conseil tripartite, composé de représentants des journalistes, des éditeurs et des publics.
La publication de cet avis a fait réagir la profession. "Non-respect de la véracité des faits", "accusation sans preuve", "absence de contradictoire"... Autoproclamée spécialiste de la réinformation sur les sujets environnement, Géraldine Woessner est de nouveau épinglée par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation, a fait remarquer le présentateur de "Complément d'enquête", Tristan Waleckx, sur X, nouveau nom de Twitter, postant dans la foulée des échanges datés de 2020 faisant état de désaccords profonds.
Prise à partie, Géraldine Woessner a défendu son travail dans un long thread, publié ce dimanche 23 juillet 2023 sur les réseaux sociaux. "L'article jugé 'non-déontologique' a été rédigé pour rétablir un peu de raison, à la suite de la reprise d'un enregistrement de la LDH réalisé pendant les violences de Sainte-Soline", rappelle-t-elle avant de répondre point par point aux reproches formulés par le CDJM.
Par exemple, au sujet de "la comparaison entre les événements de Sainte-Soline et les méthodes d'action du Hamas", que lui reproche d'avoir fait le CDJM, Géraldine Woessner ironise : "Le CDJM ignore sans doute que non seulement, les liens de (Andréas) Malm, grand admirateur du Hamas, avec LFI sont avérés...".
Géraldine Woessner critique, plus globalement, le CDJM, qu'elle dépeint comme "une instance non-représentative et non-reconnue par l'écrasante majorité de la profession, autoformée sous le statut loi de 1901". "Elle représente sa centaine de membres, c'est tout", assure-t-elle. La liste des adhérents au CDJM est accessible ici.
Avant de conclure : "Je plaide depuis longtemps pour la création d'un tel conseil, mais il n'aura de sens que s'il est reconnu par tous, et ses membres non-cooptés. La Belgique a su le faire. la France, non... À la place, nous avons une poignée d'individus non-neutres, peu professionnels, qui ont choisi de créer leur propre officine, et en viennent à valider la diffusion d'authentiques fake-news".
Sur son site, le CDJM se présente à la fois comme "un organe professionnel d'autorégulation, indépendant de l'Etat, une instance de médiation et d'arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics et une instance de réflexion et de concertation pour les professionnels et de pédagogie envers les publics". Il se défend, en revanche, d'être "un conseil de l'ordre" ou un "tribunal de la pensée".